En mots et en pratiques

Protéger les cultures en agriculture de conservation des sols

PAR CHANTAL URVOY - Phytoma - n°738 - novembre 2020 - page 56

Abandon du labour, semis direct, strip-till, couverts, cultures associées, plantes compagnes, les composantes de l'agriculture de conservation des sols (ACS) ont le vent en poupe. Mais qu'en est-il de la gestion des adventices, maladies et ravageurs dans ces systèmes différents de l'agriculture conventionnelle ? Entretien avec Frédéric Thomas, agriculteur pionnier en ACS.
Agriculteur en Sologne et fondateur de la revue TCS(1), Frédéric Thomas est l'un des pionniers et acteurs du développement de l'ACS en France. Photos : C. Urvoy

Agriculteur en Sologne et fondateur de la revue TCS(1), Frédéric Thomas est l'un des pionniers et acteurs du développement de l'ACS en France. Photos : C. Urvoy

Comment en est-on arrivé à l'ACS en France ?

Frédéric Thomas : Nous avons démarré il y a plus de vingt ans par l'abandon du travail du sol au profit de techniques culturales simplifiées afin de réduire les coûts de mécanisation. Par la suite, se sont additionnés d'autres objectifs comme l'amélioration du fonctionnement des sols en termes de fertilité, structure et vie, ou encore la réduction de l'érosion qui nous ont conduits à implanter des couverts. Puis s'y sont ajoutés l'allongement des rotations, l'introduction de l'élevage... Et tout cela nous a conduit à une agriculture de conservation des sols.

Quel est l'impact du passage à l'ACS sur la gestion des adventices ?

F. T. : Le plus difficile c'est l'enherbement. On peut avoir le pire comme le meilleur. Si les parcelles étaient propres avant l'abandon du travail du sol, elles devraient normalement le rester, et inversement. Le semis direct évite la remontée des graines enfouies en profondeur, mais ce n'est pas suffisant pour maîtriser les adventices. Il faut absolument y associer une rotation diversifiée et des couverts. Au départ, il faut être intransigeant sur le désherbage via la chimie ou une autre technique (succession des cultures par exemple) pour ne pas être envahi par la suite. Le désherbage chimique devient un outil de rattrapage et non la base de la gestion des adventices. Le faux-semis recommandé en agriculture conventionnelle ne peut être utilisé car il travaille le sol. Or c'est ce que nous voulons éviter pour ne pas perturber la vie du sol.

Qu'en est-il des maladies et des ravageurs ?

F. T. : Avec le maintien des résidus de récolte en surface et le non labour, nous avons effectivement plus de risque de fusariose, de limaces et de campagnols. La fusariose est gérée en implantant une orge entre un maïs et un blé. Quant aux limaces, au bout de quelques années, des auxiliaires se développent, notamment des carabes prédateurs.

Il faut cependant rester vigilant et protéger la culture si besoin. J'utilise très peu d'insecticides contre les autres ravageurs. Le gros problème, ce sont surtout les apions sur les trèfles graines qui nécessitent un insecticide quasi systématique. Côté maladies, le risque piétin verse et piétin échaudage diminue. De plus, les pratiques utilisées pour gérer les adventices (rotation diversifiée et couverts notamment) réduisent également les maladies. Il faut surtout éviter d'implanter toujours les mêmes cultures, aux mêmes dates. La répétition fait que les adventices, ravageurs ou champignons s'adaptent. La réussite passe par le changement.

Qu'en est-il une fois que l'ACS est bien installée sur son exploitation ?

F. T. : À moyen terme, on quitte les problématiques de l'agriculture conventionnelle pour aller vers d'autres propres à l'ACS. C'est ainsi que j'ai vu apparaître une augmentation des sangliers attirés par les vers de terre. Autre problématique surprenante : celle des arbres quand les parcelles en sont bordées. Les rhizomes n'étant plus coupés par le travail du sol, des repousses sont observées dans les champs. Au final, les problèmes d'adventices, de maladies ou de ravageurs sont peut-être moindres qu'en conventionnel mais il faut toujours rester vigilant.

Le semis de colza sous couvert, pratique récente, permet-il de mieux gérer les adventices ?

F. T. : Oui, mais pas autant qu'on l'espérait. En revanche, cette pratique permet une forte réduction des insectes d'automne (charançons, altises) et ça, c'est une bonne surprise. Les ravageurs des crucifères repèrent le colza grâce à sa couleur et à son odeur. Quand il est implanté dans du fenugrec, et que le voisin ne sait plus trop ce que vous avez semé dans votre champ, l'objectif est atteint : les ravageurs du colza sont également perturbés !

Quelles nouvelles pratiques pourraient voir le jour ?

F. T. : Les associations de cultures comme le triticale et la féverole sont de plus en plus travaillées. Avant de les implanter, il faut des parcelles propres car nous n'avons pas ou peu d'herbicides sélectifs des deux cultures. Ces associations permettent de mieux gérer les ravageurs et maladies ainsi que le risque climatique. C'est une des solutions qui peut s'ajouter aux autres pour réduire au maximum les fongicides et insecticides et un peu les herbicides. L'objectif est d'abord économique mais également environnemental. Mais je ne pense pas que je basculerai en bio car je veux conserver la possibilité d'utiliser tous les outils à ma disposition, y compris toute la palette de produits phyto, pour gérer les problématiques rencontrées. De plus le bio entraînerait un retour au travail du sol pour désherber, une solution que je préfère proscrire dans mes sols fragiles.

Quel conseil donneriez-vous à ceux qui voudraient franchir le pas ?

F. T. : L'ACS n'est ni compliqué, ni magique. Ce qui est compliqué, c'est changer de référentiel. C'est comme se lancer dans une nouvelle culture : il faut apprendre et se donner les moyens de bien le faire.

(1) Voir aussi https://agriculture-de-conservation.com

Difficile de supprimer le glyphosate

Aujourd'hui, nous n'avons pas d'alternatives aussi efficaces. Le glyphosate reste un outil de rattrapage précieux quand les autres techniques n'ont pas fonctionné suffisamment. Les doses ont déjà été beaucoup réduites. J'utilise aujourd'hui de 1 l à 1,5 l/ha en moyenne au lieu de 3 à 4 l/ha il y a une vingtaine d'années. Mais descendre en-dessous de 1 l/ha tout en gérant efficacement l'enherbement est quasi impossible. Nous allons continuer de chercher des solutions mais je ne pense pas qu'un jour on puisse s'en passer totalement sans recours au travail du sol.

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