Retour d'éxpériences

Claude Pope, une vie consacrée aux mélanges variétaux

PAR CHANTAL URVOY - Phytoma - n°740 - janvier 2021 - page 44

 Photos : DR

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Si l'utilisation des associations variétales en céréales se développe en France depuis quelques années, le sujet est travaillé depuis plus de trente ans. Leur intérêt a été démontré dans plusieurs pays notamment pour lutter contre l'oïdium de l'orge ou encore la rouille du blé. Pourquoi ne sont-elles pas davantage utilisées et depuis plus longtemps ? Entretien avec Claude Pope qui a travaillé sur le sujet toute sa carrière.

Membre de l'Académie d'agriculture de France et retraitée depuis 2018, Claude Pope a passé quasiment toute sa carrière à l'Inra, avec deux thématiques de prédilection : l'épidémiologie des parasites aériens des céréales, en particulier la rouille jaune du blé, et la gestion des variétés résistantes de blé en association. Cette dernière, très ancienne, jouit aujourd'hui d'un regain d'intérêt tant sur le terrain qu'en recherche. Depuis 2014, l'usage des associations variétales de blé a en effet fortement progressé en France, passant de 2 % à 12 % des surfaces de blé tendre en 2019 et 2020 (plus de 550 000 ha) avec une grande disparité selon les régions. Elles sont en revanche très peu utilisées en orge. Pourtant, la commercialisation de semences d'associations variétales de céréales à paille est autorisée par l'UE depuis 1979. Seules conditions : qu'elles soient efficaces contre la propagation d'organismes nuisibles et que les variétés soient autorisées séparément. La structure les commercialisant doit seulement transmettre la composition du mélange au Service officiel de contrôle et de certification.

Autorisation tardive

Mais la transcription en droit français n'a eu lieu qu'en 2018 ! La réticence des transformateurs à travailler des variétés en mélange semble être une des raisons. Les agriculteurs qui implantaient des mélanges variétaux les réalisaient donc eux-mêmes. « Je ne pense pas que les semenciers vont maintenant vendre des mélanges, précise Claude Pope. Ce sont plutôt les organismes stockeurs qui vont réaliser des mélanges adaptés aux problématiques de leur région. » C'est le cas de Soufflet Agriculture avec ses deux mélanges de variétés de blé meunier MMS 2019 et MMS 2020.

Oïdium de l'orge

Dans de nombreux États membres, l'autorisation européenne a été transposée beaucoup plus tôt mais utilisée essentiellement au Danemark pour lutter contre l'oïdium sur l'orge de printemps jusque dans les années 2000 (9,7 % des surfaces en 1996 et 43 mélanges autorisés). Depuis, les surfaces ont fortement régressé (2,5 % en 2015) à la suite de l'utilisation d'un gène de résistance durable. Le pays, qui comptait également 1,5 % de surfaces en blé en mélange en 2020, connaît un rebond pour la récolte 2021 avec 10 % des surfaces semées et huit mélanges de trois variétés de blé. Plusieurs mécanismes (dilution, effet barrière, compensation...) entrent en jeu pour réduire la propagation d'une épidémie dans les associations variétales. « Mais cela ne fonctionne réellement bien que sur les maladies aériennes qui ont plusieurs cycles par saison comme l'oïdium, les rouilles, et dans une moindre mesure la septoriose. »

Une réponse au contexte climatique

Jusqu'en 2014, peu d'études appliquées ont été réalisées. « Une expérimentation a été conduite par l'Inra en 2000-2002 avec un mélange de quatre variétés sur 190 ha avec douze agriculteurs situés dans le nord de la France, trois chambres d'agriculture et un meunier. La réduction des maladies foliaires, l'augmentation et la stabilité du rendement et de la qualité de la récolte ont ensuite suscité l'intérêt d'agriculteurs de différentes régions. » Une autre étude a été conduite de 2010 à 2012 sur l'effet des mélanges pour gérer la septoriose et sur son application agronomique. De 2014 à 2018, le projet Wheatamix a mobilisé dix laboratoires de recherche, six chambres d'agriculture et trente agriculteurs du Bassin parisien pour étudier de nombreux mélanges de variétés de blé et confirmer qu'un mélange est au moins aussi intéressant que les variétés pures prises séparément.

Un moyen supplémentaire

Ce regain d'intérêt récent s'explique par la nécessité de réduire les intrants notamment phytosanitaires dans le cadre d'Écophyto, mais également de s'adapter à un contexte climatique de plus en plus aléatoire. Le mélange peut tamponner l'effet des stress abiotiques tels que la sécheresse, le froid, le gel par effet de compensation. Depuis la fin du projet Wheatamix, les recherches se poursuivent à l'Inrae pour établir de nouvelles règles d'assemblage des variétés afin d'obtenir des mélanges efficaces et répondre à de nouveaux objectifs : résistance aux stress hydrique et azoté mais également compétition contre les adventices, sélection de bactéries du sol...

« La pratique culturale du mélange variétal présente aussi une grande flexibilité car la composition peut changer chaque année si par exemple une variété est devenue trop sensible à une nouvelle souche de pathogène. Mais son utilisation n'est pas un retour en arrière. C'est un moyen supplémentaire qui s'ajoute à d'autres pour lutter contre les maladies et rendre les résistances plus durables. Parallèlement, il faut que la génétique continue à produire de nouvelles variétés résistantes pour réaliser des mélanges intéressants. »

Question de valorisation

De grands moyens sont ainsi donnés aujourd'hui à la recherche pour travailler le sujet notamment à l'Inrae qui réfléchit à une utilisation de cette pratique non plus à la parcelle, mais à l'échelle d'un territoire. Autre frein : le manque de connaissances sur l'itinéraire technique à adopter. « Les agronomes s'y intéressent plus aujourd'hui et y travaillent. »

Les travaux que Claude Pope a initiés il y a plus de trente ans vont-ils cette fois-ci se concrétiser sur le terrain par un développement pérenne de cette pratique ? « Il est encore trop tôt pour évaluer l'impact de ce regain d'intérêt, souligne-t-elle. Parmi les freins à lever, la question de la valorisation, notamment par la meunerie pour le blé, reste posée même si des initiatives se développent comme celle de Soufflet. »

BIO EXPRESS CLAUDE POPE

1978. Attachée de recherche au CNRS au laboratoire de phytopathologie du Gerdat. Thèse d'État en épidémiologie du Phytophthora des agrumes à Montpellier (Hérault).

1984. Chargée de recherche au CNRS, détachée au laboratoire de pathologie végétale de l'Inra de Grignon (Yvelines). Création et responsable du groupe d'épidémiologie végétale sur les maladies foliaires du blé et la gestion des variétés résistantes.

1994. Intègre l'Inra de Grignon en tant que directrice de recherche. Directrice de l'unité de pathologie végétale et épidémiologie.

1999. Expert en pathologie des céréales au CTPS.

2008. Devient aussi responsable d'études sur la gestion d'associations variétales de blé pour réduire les épidémies.

2009. Membre du conseil scientifique du CTPS.

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