Retour

imprimer l'article Imprimer

dossier - Bonnes pratiques phytosanitaires

Les étiquettes, (ré)-apprendre à lire

Marianne Decoin* - Phytoma - n°644 - mai 2011 - page 24

Déchiffrer aujourd'hui et demain leur volet « sécurité-tox-écotox » pour mieux s'en servir comme outil des bonnes pratiques
 ph. M. Decoin, 2007

ph. M. Decoin, 2007

L'étiquette d'un produit phyto est un outil utile. Elle liste les usages sur lesquels le produit est autorisé et aussi à quelles doses et quelles périodes on doit l'appliquer, combien de fois par an au maximum, en respectant quel DAR (délai entre traitement et récolte), etc. Et puis elle comporte des indications sur les dangers qu'il peut représenter. On peut s'en servir pour choisir les produits ou la façon de les manipuler et les appliquer pour minimiser les risques. Encore faut-il comprendre ces précieuses indications ! Elles sont encadrées par la loi et vont changer en 2015. Cela vaut-il le coup de s'y mettre aujourd'hui ? Mais oui.

Cela fait des années que les étiquettes des produits phytos vendus en France renseignent sur le caractère dangereux des produits, ce danger étant un des deux éléments du risque qu'ils font courir (Encadré 1).

Elles comportent des symboles dessinés dits « pictogrammes de danger », utilisés depuis plus de 20 ans(1) sauf celui sur l'environnement introduit en 2004(2). S'y ajoutent des « phrases de risque » signalant quels dangers se manifestent (leur nature) et avec quelle intensité (leur degré). Si l'étiquette est trop petite, ces phrases sont abrégées en : « R quelque chose » (R suivi d'un chiffre de référence). Il y a aussi des conseils de prudence, abrégés en « S quelque chose », souvent généraux. Les phrases de risque, elles, sont bien spécifiques.

Pictogrammes, les sept d'aujourd'hui

Actuellement, sept pictogrammes de danger (Tableau 1) pour dix classes de ces dangers (parmi les 15 existantes selon le Code du Travail) peuvent concerner les produits phytos.

Deux pictogrammes symbolisent les dangers toxicologiques (pour la santé) « stricts ». Ils correspondent à quatre classes de produits : la tête de mort pour les produits toxiques (T) et très toxiques (T +) et la croix de saint-André pour les produits nocifs (Xn) et irritants (Xi).

Un troisième représente une main et un objet plat attaqués par les gouttes d'un liquide. Il signale le caractère corrosif (classement C) de qui attaque les matières inertes (récipients, plan de travail, etc. : danger physique) mais aussi les tissus vivants (danger toxicologique).

Si l'étiquette d'un produit ne porte ni « tête de mort », ni « croix de saint André » ni « main attaquée » c'est qu'il est non classé au plan toxicologique. Atout pour la santé de l'applicateur.

Mais il reste la sécurité avant l'application et le respect de l'environnement !

Avant l'application, il y a les dangers « physiques » liés au produit durant son transport et son stockage. Trois pictogrammes correspondent à quatre classes de ces dangers. Une gerbe symbolise le caractère explosif (produit classé E), une flamme le caractère inflammable ou très inflammable (F ou F +), et un cercle surmonté d'une flamme le caractère comburant (produit classé O comme oxygène ; comme lui il permet la combustion des corps combustibles).

Le septième symbole, l'« arbre mort-poisson malade » (N) signale des dangers pour l'environnement, quels qu'il soient.

Les neuf de demain

Attention, le 1er juin 2015 la symbolique va changer. C'est exigé par « le CLP », règlement européen de 2008 lui-même lié au « GHS », système mondial de classification et d'étiquetage publié en 2007 (Encadré 2 p. 26). Du reste les substances actives des produits phytos sont déjà classées et étiquetées selon le CLP.

Pour les dangers « physiques », il y aura toujours quatre pictogrammes : « corrosif », « explosif », « inflammable » et « comburant ». Leur signification persiste à quelques nuances près mais leur graphisme évolue (Tableau 1). Un cinquième, figurant une bonbonne de gaz, signalera les gaz sous pression (comprimés, liquéfiés, dissous), cas rare (fumigants).

Pour le danger environnemental, le pictogramme reste le même, seul le cadrage change. En revanche, pour la toxicologie, cela évolue. La tête de mort persiste mais désignera les produits toxiques (ou très toxiques) agissant rapidement et induisant un risque mortel à faible dose : ceux qui ont la pire « toxicité aiguë ». Par ailleurs, la croix de saint André disparaît.

Surtout, il va falloir se familiariser avec deux pictogrammes inédits : un buste attaqué de l'intérieur et un point d'exclamation.

Dont deux inédits et les mots de degré

Le buste attaqué signalera la toxicité aiguë non mortelle et la toxicité subaiguë ou chronique (qui met du temps à se manifester). Par exemple les effets cancérigènes(3), mutagènes et reprotoxiques (sur la reproduction), dits « CMR ». Et puis les effets neurotoxiques, hépatotoxiques (sur le système nerveux, le foie), toxiques ou allergisants sur les voies respiratoires, etc.

On y trouvera des produits classés aujourd'hui très toxiques (T+), toxiques (T) et nocifs (Xn).

Ainsi, le nouvel étiquetage différenciera les risques rapidement mortels des autres au premier coup d'œil. Plus besoin d'aller chercher les « phrases de risque » pour savoir.

Le point d'exclamation signalera les produits nocifs à forte dose, ceux irritants pour la peau, les yeux, le nez ou la gorge, allergisants pour la peau et ceux pouvant provoquer somnolence ou vertige. Ces derniers troubles, pas dangereux pour la santé en eux-mêmes, peuvent faire courir un risque si on conduit un engin par exemple. Des produits classés aujourd'hui Xn et d'autres Xi seront affectés de ce point d'exclamation.

Par ailleurs, un mot sera placé sous certains pictogrammes pour indiquer le degré de danger. « danger », pour le degré le plus grave, « attention », pour un degré moindre.

Le mot « avertissement » était prévu mais il semble qu'il s'agisse d'une erreur du règlement qui devrait être rectifiée.

Phrases de risque et l'Index

Quant aux phrases de risque, elles vont changer aussi ! Leurs abréviations ne commenceront plus par un R mais par un H.

Inutile de tout apprendre par cœur. Les nouvelles phrases, même si elles sont autorisées dès maintenant, ne seront obligatoires pour les spécialités commerciales qu'en 2015.

De plus, la signification de ces « H quelque chose » et leurs équivalences avec les « R quelque chose » est facile à trouver. Peut-être l'avez-vous sous le coude sans le savoir... Voici la piste promise dans l'avant-propos de ce dossier :

– aller sur internet (par ex. sur les sites de l'INRS ou du BIP-CNRS, une unité du CNRS) ; possible si on est au bureau ou si on a un terminal mobile à écran (très) confortable ;

– ouvrir l'Index phytosanitaire 2011(4).

Et oui ! De nombreux possesseurs de l'Index ignorent sa rubrique « Lire et savoir lire une étiquette » ! On la trouve dans ses pages 22 à 34. Elle traduit toutes les phrases R. Nouveau, l'édition 2011 donne les équivalences entre les R et les H... Clair et pratique.

Par ailleurs, les « phrases en S » de conseils de prudence seront remplacés en 2015 par des « phrases en P ». à lire dans l'Index 2012 ?

<p>(1) Source : <i>Index phytosanitaire</i> Acta, édition 1991 mise à jour au 30 juin 2010, p. 14.</p> <p>(2) Le 31 juillet 2004, entrée en vigueur en France de la directive 99/45. Auparavant le pictogramme sur l'environnement n'était utilisé que pour les substances actives.</p> <p>(3) À noter que le cas de produits phytos classés toxiques parce que cancérigènes avérés (= C1, avec aujourd'hui une tête de mort avec R 45 ou R 49 sur l'étiquette, et demain un buste attaqué surmontant le mot « danger » et la phrase H 350), est aujourd'hui théorique. En effet, plus aucun produit phyto de ce type n'est autorisé en France depuis 2001 (le dernier était l'arsenite de soude).</p> <p>(4) Index phytosanitaire Acta, mail acta.publications@acta.asso.fr, 01 40 04 50 50. Phrases R présentes depuis... 1992.</p>

1 - Danger, exposition, risque, de quoi parle-t-on ?

En cherchant les synonymes de « risque » sur le dictionnaire du CRISCO(1), on trouve quatre ex-aequo : d'une part « hasard » et « alea », d'autre part « péril » et « danger ». Alors peut-on écrire : Risque = Danger ?

Non ! En tout cas pas en matière de prévention des risques, pour laquelle on différencie les deux notions.

Le danger désigne le caractère dangereux d'un produit en lui-même. Le risque est celui couru par un « public » (individu, population, environnement) de par l'exposition à un danger. On traduit cela souvent par :

Risque = Danger x Exposition.

(1) Laboratoire CRISCO, Centre de recherches interlangues sur la signification du contexte, créé en 2000 et actuellement Unité de recherche de l'Université de Caen.

2 - étiquettes, pourquoi les changer ?

Rappel historico-réglementaire

La réglementation française de l'étiquetage des produits phytos est inscrite dans le cadre européen par une directive de 1967, suivie d'une autre de 1999(1). Mais aujourd'hui un système mondial de classification et d'étiquetage de tous les produits chimiques se met en place sur toute la planète. Issu d'un travail entamé par les Nations-Unies en 1992, il a été publié en 2007. C'est le GHS, « Globally Harmonized System » en anglais, alias SGH, « Système général harmonisé ».

L'Union européenne a édicté un règlement pour rendre sa réglementation conforme aux recommandations du GHS. Ce règlement du 16 décembre 2008(2) est dit « règlement CLP » comme « Classification, Labelling, Packaging », soit « Classification, étiquetage, conditionnement ». Il complète le règlement Reach(3) pour les questions relatives à la classification et l'étiquetage.

Comme prévu en 2008(4), le respect des règles d'étiquetage du CLP est obligatoire depuis le 1er décembre 2010 pour les substances actives. Il le sera pour les produits commerciaux (terme officiel « mélanges ») le 1er juin 2015. Et, au fait, il ne concerne pas que les produits phytos ! Tous les produits chimiques dont l'évaluation et l'enregistrement sont encadrés par Reach devront voir leur étiquette conforme en 2015. Même des produits « grand public » : peintures, détergents, désinfectants ménagers, adoucisseurs d'eau...

(1) Directive 67/548 du 27 juin 1967 parue au JOCE (Journal officiel des Communautés européennes) du 16 août 1967. Directive 1999/45 du 31 mai 1999 parue au JOUE (JO de l'Union européenne) le 30 juillet 1999.

(2) Règlement 1272/2008 paru au JOUE du 31 décembre 2008. Modifie et abroge les directives 67/548 et 1999/45.

(3) Registration, Evaluation, Authorisation and Restrictions of CHemicals = enregistrement, évaluation, autorisation et restrictions des produits chimiques. Règlement n° 1907/2006 du 18 décembre 2006, JOUE le 30 décembre 2006, entrée en vigueur le 1er juin 2007.

(4) « GHS, la valse des étiquettes » dans « La saga des substances », Phytoma n° 616, juin 2008, p. 4 à 7.

3 - L'étiquette pour résoudre un problème de masques

L'étiquette peut aider à décider de bonnes pratiques à mettre en œuvre face au danger présenté par un produit. Voici l'exemple de ceux dangereux par inhalation c'est-à-dire qui font courir un risque si on en respire.

Certains préventeurs ne jurent que par la « tenue de cosmonaute » pour manipuler et appliquer tous les produits phytos. Notamment le port d'un masque à cartouche filtrante contre vapeurs et particules de type A2P3. Mais, question de confort, ces masques sont peu utilisés. Or, parfois, on peut s'en passer.

Plutôt que d'asséner un conseil maximaliste autant qu'irréaliste, ne vaut-il pas mieux conseiller ces masques pour les seuls cas où ils sont vraiment utiles ? Autrement dit, quand n'y a pas d'autre moyen de diminuer l'exposition face à un produit dangereux par inhalation ?

Le conseil peut alors être en deux étapes, et la 1re est de lire l'étiquette. Si celle-ci comporte :

– une « tête de mort », avec la mention T+ et la phrase R 26 (très toxique par inhalation),

– une « tête de mort », avec la mention T et la phrase R 23 (toxique par inhalation),

– ou une « croix de saint André » avec la phrase R 20 (nocif par inhalation) ou R 37 (irritant pour les voies respiratoires)...

... Il faut mettre en œuvre des pratiques pour diminuer l'exposition des voies respiratoires. On peut alors préconiser, 2e étape, de :

– préparer la bouillie protégé par un masque filtrant en bon état (si on sent les odeurs à travers, il faut changer le filtre ou le masque) ; à défaut, certains pensent que rester en plein air et éloigner le visage du bidon peut suffir pour un produit R 37 (irritant) ;

– traiter avec une cabine filtrante en bon état (là encore pas d'odeurs à l'intérieur) et non polluée (ne pas y entrer avec des gants souillés) ou, à défaut (cabine non filtrante, application sans cabine), garder son masque pour les produits R 23 et R 26 toxiques et très toxiques par inhalation, sachant qu'il n'y en a que trois utilisables en France actuellement(1), et aussi, si l'on traite sous serre ou en verger, pour les R 20 ; pour les R 37 cela se discute.

Il reste deux questions :

D'abord, que dire des masques à poussière ? Ils sont utiles pour préparer des produits en poudre, pour les poudrages et pour tout travail « poussiéreux » sur l'exploitation(2). Mais, perméables aux gaz, ils ne servent à rien vis-à-vis des produits dangereux par inhalation.

Ensuite, que fera-t-on en 2015 ? Les conseils actuels pour les « têtes de mort R26 et R23 » s'appliqueront aux « têtes de mort H330 et H 331 » (s'il en reste), ceux des nocifs « croix de St André R20 » iront aux « !-attention H332 » et ceux des irritants « croix de St André R37 » aux « ! H335 » (voir l'Index 2011, pp. 31 à 34).

(1) Carbazinc Flash et Vydate L qui sont T + R 26, et jusqu'au 30 octobre 2011 Dicarzol 200 (T R 23) dont l'AMM est retirée et le délai d'écoulement des stocks en cours.

(2) Certaines poussières fines et abondantes sont nocives même si le matériau d'origine ne l'est pas. Ainsi la poussière de bois des scieries et autres entreprises de travail du bois entraîne un risque de « cancer des travailleurs du bois », reconnu comme maladie professionnelle (source : Service Santé au travail du Limousin).

Résumé

Les étiquettes des produits phytos renseignent sur les dangers spécifiques de chaque spécialité, et savoir les lire peut permettre de gérer les risques de façon adaptée à la nature du danger : bonnes pratiques adaptées pour diminuer l'exposition par exemple.

Ces étiquettes seront modifiées d'ici juin 2015 du fait d'une directive européenne de 2008 intégrée dans un système général publié en 2007 (références dans l'article).

Les pictogrammes symbolisant le danger vont évoluer. Les abréviations des phrases de risque seront complètement revues. Les sept pictogrammes actuels et les neuf prévus sont présentés, ainsi que les moyens de trouver les actuelles phrases de risque et leurs équivalents futurs.

Mots-clés : bonnes pratiques phytosanitaires, réglementation, sécurité des applicateurs, étiquettes, danger, risque, pictogrammes, phrases de risque.

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :