Retour

imprimer l'article Imprimer

dossier - Méthodes alternatives

L'avifaune du vignoble en Côte-d'Or

Jean-Charles Bouvier*, Gilles Sentenac** et Claire Lavigne* - Phytoma - n°652 - mars 2012 - page 34

Impacts des systèmes de protection phytosanitaires et de l'environnement proches des parcelles
 ph. G. Sentenac

ph. G. Sentenac

Les parcelles étudiées sont situées dans trois types d'environnements paysagers différents : en lisière d'un bois (Type 1), bordées d'une haie (Type 2) ou entourées d'autres vignes (Type 3). ph. Jean-Charles Bouvier, INRA Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

Les parcelles étudiées sont situées dans trois types d'environnements paysagers différents : en lisière d'un bois (Type 1), bordées d'une haie (Type 2) ou entourées d'autres vignes (Type 3). ph. Jean-Charles Bouvier, INRA Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

1 à 4- Les ceps de vigne peuvent être utilisés par les oiseaux pour faire leur nid. Hors réseau d'expérimentation, nous avions trouvé en 2002 un nid de merle noir (3) et en 2011 des nids d'espèces de la famille des fringillidés comme le serin cini (1), la linotte mélodieuse (2) et le pinson des arbres (4). Le merle noir, la linotte mélodieuse et le pinson ont niché dans des parcelles de « Type 1 », et le serin cini s'est installé dans une de « Type 2 ». Photo 1 : Marion Claverie IFV Rhône-Méditerranée/Photos 2 à 4 : Gilles Sentenac, IFV Bourgogne-Beaujolais-Jura-Savoie

1 à 4- Les ceps de vigne peuvent être utilisés par les oiseaux pour faire leur nid. Hors réseau d'expérimentation, nous avions trouvé en 2002 un nid de merle noir (3) et en 2011 des nids d'espèces de la famille des fringillidés comme le serin cini (1), la linotte mélodieuse (2) et le pinson des arbres (4). Le merle noir, la linotte mélodieuse et le pinson ont niché dans des parcelles de « Type 1 », et le serin cini s'est installé dans une de « Type 2 ». Photo 1 : Marion Claverie IFV Rhône-Méditerranée/Photos 2 à 4 : Gilles Sentenac, IFV Bourgogne-Beaujolais-Jura-Savoie

Parmi les méthodes alternatives de protection des plantes figurent les actions visant à favoriser les auxiliaires présents dans les cultures. Parmi ces auxiliaires, il y a les insectes et acariens prédateurs et parasitoïdes, mais aussi les oiseaux insectivores. De plus, l'abondance et la diversité des oiseaux (l'avifaune), est un indicateur de la qualité biologique et écologique des milieux. Mais que sait-on de l'avifaune ? Voici une étude sur celle du vignoble bourguignon. Où, semble-t-il, le type de protection phytosanitaire importe moins - si l'on compare à l'agriculture biologique une vraie protection intégrée - que l'environnement des parcelles. Lequel, lui, compte beaucoup. Résultats préliminaires mais stimulants.

Parmi les facteurs d'accroissement des rendements agricoles ces 50 dernières années, figurent l'augmentation de l'emploi des pesticides et engrais chimiques mais aussi la spécialisation et la mécanisation associées à la simplification de la structure des paysages. Longtemps vues comme facteurs de progrès, ces pratiques interrogent sur leurs impacts vis-à-vis de l'environnement. Ces derniers peuvent être appréhendés au moyen d'indicateurs biologiques, espèces ou groupes d'espèces rendant compte par leur présence, abondance ou diversité de la qualité des agro-écosystèmes.

La plupart des taxons étudiés parmi les vertébrés, invertébrés et plantes, indiquent une biodiversité plus importante en agriculture biologique que conventionnelle. Toutefois, la diversité biologique peut aussi être modulée par l'environnement local des parcelles agricoles telles que la présence de zones non productives naturelles ou semi-naturelles (dont les zones de compensation écologique).

Ainsi, la biodiversité des agro-écosystèmes peut être affectée à la fois par les modes de production, en particulier le type de protection phytosanitaire, et par les caractéristiques de l'environnement paysager.

Pourquoi un suivi des oiseaux de vigne

L'avifaune est souvent utilisée pour évaluer les interactions potentielles agriculture/environnement, pour plusieurs raisons : les oiseaux fréquentent les agro-écosystèmes pour se nourrir et/ou se reproduire, ils sont présents dans presque tous les types d'habitats et faciles à observer et, surtout, la plupart d'entre eux se situent en fin de chaîne trophique et permettent d'avoir une idée de l'effet cumulé des polluants. Par ailleurs, les oiseaux ont tendance à être plus sensibles à certaines catégories de pesticides que d'autres groupes biologiques tels que les mammifères, et leur période de reproduction correspond souvent avec celle des traitements phytosanitaires.

Les espèces fréquentant les campagnes n'ont cessé de décliner depuis l'intensification de l'agriculture (Chamberlain et al., 2000). Mais les études spécifiques sur l'impact des pratiques agricoles en viticulture, et en particulier celles sur les effets des systèmes de protection phytosanitaires sur les oiseaux, sont rares. Sierro et Arlettaz (2003) étudient l'avifaune du vignoble valaisan en Suisse. Ils s'intéressent particulièrement aux liens entre les oiseaux et les différents types d'habitats. Les résultats de leurs travaux indiquent que les vignobles les plus riches sont ceux qui présentent des zones non cultivées type haies basses et talus naturels. Ils soulignent également l'importance des parcelles enherbées pour les oiseaux, en particulier les espèces inféodées aux milieux ouverts ou semi ouverts et qui exploitent surtout la flore et la faune du sol comme l'alouette des champs pour ne citer que la plus connue.

Dans ce contexte, nous avons mis en place un essai au printemps 2011 ayant pour principal objectif de caractériser la biodiversité aviaire d'un vignoble en France. Nous avons travaillé à l'échelle de la parcelle avec comme autre objectif d'évaluer l'impact des modes de protection phytosanitaire et de l'environnement proche sur les communautés d'oiseaux.

L'étude réalisée

18 parcelles choisies

L'étude s'est appuyée sur un réseau de 18 parcelles commerciales de vigne situées en Bourgogne entre Chassagne-Montrachet et Chambolle-Musigny. Ces parcelles sont soumises à des modes de protection et situées dans des environnements locaux différents : 9 sont en agriculture biologique (modalité AB), et les 9 autres conduites en protection intégrée comme définie par l'OILB-SROP en 1973 (modalité PI) ; pour chacune des deux modalités de protection, 3 parcelles sont situées en lisière de forêt (Type 1), 3 sont bordées par une haie (Type 2) et les 3 autres sont entourées d'autres parcelles de vigne (Type 3) (Photo ci-contre).

La protection vise surtout le mildiou et l'oïdium, plus rarement la pourriture grise. Ces maladies sont contrôlées avec des fongicides minéraux et des tisanes en AB, et des produits de synthèse industrielle en PI. La régulation naturelle des acariens phytophages est assurée par les Phytoseiidae. La protection contre les tordeuses de la grappe, quand elle est réalisée, utilise la confusion sexuelle (AB, PI) ou des insecticides biotechniques (AB, PI) ou de synthèse industrielle (PI), avec au maximum une application par campagne en AB comme en PI.

En 2011, l'IFT global varie selon les sites de 7,7 à 12,7 en AB, et l'IFT hors herbicide de 9,02 à 15,9 en PI.

Méthode de suivi de l'avifaune

L'avifaune a été recensée par la méthode des transects d'observation. Cette méthode consiste à identifier et compter les oiseaux tôt le matin en marchant régulièrement sur la périphérie puis sur l'inter-rang du milieu de chaque parcelle. Les oiseaux sont identifiés à partir de leurs chants et cris, et/ou en les observant posés ou en vol. Nous n'avons considéré que les oiseaux ayant un lien avec les parcelles, c'est-à-dire ceux qui venaient y nicher ou s'y nourrir. Une première série de comptages a été réalisée fin avril et une deuxième fin mai. Pour une espèce donnée, on a retenu le plus élevé des effectifs obtenus au cours des deux séries.

A partir de ces données nous avons calculé deux variables, l'abondance (nombre total d'oiseaux toutes espèces confondues) et la richesse spécifique (nombre total d'espèces observées) par parcelle. Ces variables ont été analysées à l'aide d'ANOVA à deux facteurs (modalité de traitement et type d'environnement) et les comparaisons de moyennes faites avec le test PLSD de Fisher.

Résultats

Un cortège de trente espèces d'oiseaux

Trente espèces d'oiseaux ont été recensées sur l'ensemble des 18 parcelles de vignes étudiées (Tableau 1).

Ces espèces sont insectivores (64 %), granivores (23 %) et omnivores (13 %). Pour ces groupes fonctionnels, la structure de la communauté aviaire est très proche de celle du vignoble valaisan (Sierro et Arlettaz, 2003).

Le type de protection importe peu

Contrairement à ce que nous observons en arboriculture fruitière (Bouvier et al., 2011), l'avifaune du vignoble ne semble pas affectée par le type de protection phytosanitaire dans cette étude, aussi bien en termes d'abondance (p = 0,188) que de richesse spécifique (p = 0,561). Les parcelles en agriculture biologique et protection intégrée ne diffèrent pas pour ces deux paramètres (Figure 1).

Les calendriers de traitements montrent que ces différences entre vigne et vergers sont dues à un moindre usage de pesticides, notamment l'absence d'emploi d'insecticides neurotoxiques à large spectre, dans les vignes en protection intégrée par rapport aux vergers conduits sous le même mode de protection.

La part des espèces d'oiseaux insectivores est d'ailleurs deux fois plus élevée en vigne que dans les vergers de pommiers que nous suivons dans le sud-est de la France où sont épandus 15 à 20 insecticides de synthèse par campagne. L'étude de la reproduction des mésanges charbonnières dans ces vergers, espèce qui se nourrit essentiellement de larves de lépidoptères au printemps, montre que ces produits peuvent impacter les oiseaux par toxicité directe, ou indirectement en affectant les ressources alimentaires (Bouvier et al., 2005).

L'environnement compte beaucoup

Pour cette première étude, c'est plutôt l'environnement local des parcelles de vignes, la présence ou pas à leurs abords de structures naturelles ou semi-naturelles, qui auraient une influence sur les oiseaux.

La communauté aviaire diffère significativement entre les trois modalités « Type 1, 2 et 3 » avec respectivement des abondances moyennes de 23, de 7 et de 0,5 individus/parcelle, et des richesses spécifiques moyennes de 12, de 5 et de 0,5 espèces/parcelle (Figure 1). Ces espèces ne sont pas spécifiques des vignobles. Elles présentent des exigences écologiques diverses notamment en termes d'habitats, et leur présence dans l'agro-écosystème dépend essentiellement de celle des milieux requis.

Des espèces différentes selon le type de parcelle

Les parcelles de « Type 3 », entourées d'autres parcelles de vignes sans espace non productif végétalisé tels que les haies ou bosquets, sont les plus pauvres (Tableau 1). On peut y trouver trois espèces d'oiseaux inféodées aux milieux ouverts. Il s'agit de l'alouette des champs, du corbeau freux et de la perdrix rouge.

La plupart des espèces observées dans les parcelles de « Type 2 » sont bien plus ubiquistes en termes d'habitats, avec toutefois une préférence pour les milieux semi-ouverts, buissonnants ou bocagers. Les plus fréquentes sont le bruant zizi, la fauvette à tête noire, le merle noir et la linotte mélodieuse.

La majorité des espèces d'oiseaux observés en parcelles de « Type 2 » se retrouvent dans celles de « Type 1 » avec d'autres plus arboricoles type mésanges charbonnière et bleue, pinson des arbres ou serin cini. Globalement, la fréquence d'observation des oiseaux est plus forte en parcelles de « Type 1 » que dans les autres.

Habiter dans les vignes

L'abondance et la diversité des oiseaux dans les vignobles dépendent donc beaucoup de la structure et diversification végétale des zones non productives. Associées à ces espaces, les parcelles de vignes font alors partie intégrante de l'habitat de la plupart des espèces que nous avons recensées. Les oiseaux peuvent les utiliser pour nicher et/ou se nourrir.

Certains, comme les alouettes ou le tarier pâtre, construisent directement leur nid au sol, le plus souvent au pied des ceps de vigne mais aussi dans l'inter rang. En Suisse, Sierro et Arlettaz (2003) ont montré que la présence d'alouettes était souvent liée à l'enherbement. D'autres espèces, même arboricoles, peuvent directement nicher sur les ceps (photos 1 à 4 ci-après).

S'y nourrir, et en être auxiliaire

Quel que soit leur régime alimentaire, la majorité de ces oiseaux exploitent essentiellement la flore et la faune du sol pour se nourrir. Certaines espèces comme les mésanges vont toutefois rechercher les insectes, en particulier les chenilles, sur les feuilles de vigne. Étant donné que beaucoup d'insectes ravageurs des cultures sont des lépidoptères, le comportement et le régime alimentaire de ces espèces en font des auxiliaires potentiels importants.

En viticulture, aucune étude ne s'est véritablement penchée pour le moment sur le rôle des oiseaux dans la régulation biologique des ravageurs.

En revanche, en arboriculture fruitière, Mols et al. (2005) ont montré que les mésanges peuvent réduire considérablement le nombre de chenilles, en particulier de carpocapse des pommes, le principal ravageur en verger de pommiers. Ce travail confirme le rôle important des zones naturelles ou semi-naturelles pour la biodiversité aviaire des vignobles. Nous espérons qu'il incitera à conserver ou créer des structures végétales diversifiées en bordure des parcelles de vigne.

Il a été montré au moins en Suisse et en Australie qu'elles offrent des refuges à la faune auxiliaire (Genini, 2000 ; Thomson et Hoffmann, 2009). Leur préservation, voire leur rétablissement, peuvent à ce titre être considérés comme des mesures d'intérêts agronomique et environnemental.

<p>* INRA, Unité de Recherche 1115 Plantes et Systèmes de culture Horticoles, Site Agroparc, 84000 Avignon.</p> <p>**IFV, Pôle Bourgogne-Beaujolais-Jura-Savoie, 6, rue du 16ème-Chasseur, 21200 Beaune.</p>

Remerciements

Nous tenons à remercier les viticulteurs de la région de Beaune qui ont mis leurs parcelles à disposition.

Figure 1 - Le poids du voisinage.

Abondance et richesse spécifiques moyennes par parcelle de vignes en protection intégrée et agriculture biologique situées dans des environnements locaux différents (de T1, bordure de bois, à T3, au milieu d'autres vignes). Des lettres différentes indiquent des résultats obtenus significativement différents.

Bibliographie

La bibliographie de cet article (7 références) est disponible auprès ses auteurs.

Résumé

Dans cette étude, nous avons voulu caractériser la faune aviaire dans des parcelles de vignes en Côte-d'Or au printemps, et voir l'influence des modes de protection phytosanitaire et de l'environnement local sur ce groupe biologique.

Pour cela, un essai préliminaire est implanté en situation réelle sur 18 parcelles commerciales en protection biologique (AB) ou intégrée (PI), et situés dans trois types d'environnements différents : en lisière de forêt (Type 1), bordées par une haie (Type 2), ou entourées d'autres parcelles de vigne (Type 3). Trente espèces d'oiseaux ont été recensées sur l'ensemble des parcelles. Les espèces observées sont majoritairement insectivores (64 %), puis granivores (23 %) et omnivores (13 %). Les premiers résultats indiquent que l'avifaune du vignoble ne semble pas être affectée par les modes de protection phytosanitaire. En revanche, elle semble être sous l'influence de l'environnement proche des parcelles puisqu'elle diffère en termes d'abondance et de richesse spécifique entre les trois modalités dans un gradient allant du Type 3 au Type 1. Cela souligne le rôle important des zones naturelles ou semi-naturelles pour la biodiversité aviaire des vignobles.

Ces résultats, acquis au cours d'une seule année et sur un nombre restreint de parcelles, sont à confirmer au cours de plusieurs campagnes d'expérimentation et sur un plus grand nombre de sites.

Summary

In this study we aimed to characterize spring bird communities in vineyards growing in Côte-d'Or (Burgundy, France), and to assess the influence of crop protection and local landscape on these communities.

Bird monitoring was performed in 18 commercial vineyards, either under or ganic or integrated pest management. These fields were distributed in three types of environments : next to forest (Type 1), next to a hedgerow (Type 2), or only surrounded by vineyards (Type 3). First results indicate that 30 bird species were recorded overall. Observed species were mostly insectivores (64%), then granivores (23%) and omnivores (13%). Bird communities did not appear significantly influenced by crop protection practices. On the contrary, they depended on the local environment with increasing abundance and specific richness from Type3 to Type1. This result highlights the importance of natural or semi-natural habitats for vineyard bird species.

These results are, however, preliminary as they were conducted for a single year in a limited number of vineyards and need to be confirmed.

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :