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dossier - Méthodes alternatives

Les phytoséiides dans les vergers français de pommiers

Marie-Stéphane Tixier*, Ivson Lopes*, Guy Blanc**, Jean-Luc Dedieu** et Serge Kreiter* - Phytoma - n°652 - mars 2012 - page 38

Un inventaire dans 26 départements montre leur biodiversité, et révèle des évolutions
 ph. M. -S. Tixier

ph. M. -S. Tixier

Dans les vergers, face aux acariens phytophages ravageurs, on peut utiliser des acariens prédateurs, les phytoséiides, en favorisant ces auxiliaires présents naturellement. C'est de la lutte biologique par conservation. En agriculture biologique comme conventionnelle, il s'agit de préférer les pratiques culturales favorisant les auxiliaires : éviter l'emploi de produits phytos(1) agressifs, agir sur l'aménagement parcellaire, etc. Mais les espèces sur lesquelles on teste les produits et pratiques sont-elles bien celles rencontrées dans les différentes régions ? Les espèces de phytoséiides sont-elles réparties de façon homogène, ou a-t-on affaire à une forte biodiversité ? Pour le savoir, un inventaire a été réalisé. Résultats.

Les acariens de la famille des Phytoseiidae sont des prédateurs connus pour leur rôle dans la régulation des acariens ravageurs dans de nombreux agrosystèmes (McMurtry et Croft 1997 ; Gerson et al., 2003).

La grande majorité des espèces de Phytoseiidae sont des prédateurs généralistes, susceptibles de se nourrir à partir de leurs proies préférentielles (tétranyques) mais aussi d'autres nourritures : pollen, miellat, sucs végétaux, petits insectes (Kreiter et al., 2005). La famille comprend aujourd'hui plus de 2 000 espèces valides distribuées dans le monde entier (Moraes et al., 2004 ; Tixier et al., 2012).

En France, plus d'une centaine d'espèces ont été répertoriées.

Moins bien connus en vergers que sur vigne

La présence de Phytoseiidae n'a toutefois pas été étudiée de façon égale dans tous les agrosystèmes français. La faune de Phytoseiidae la plus connue est certainement celle des vignobles. Les travaux de Kreiter et al. (2000, 2002), Tixier et al. (2002, 2005) et Barbar et al. (2006) ont permis de cartographier les Phytoseiidae des vignobles français, identifier des facteurs explicatifs à leur présence et abondance et appréhender ainsi les évolutions de faune.

Au contraire malgré l'importance de la pommiculture en France, seuls quelques travaux ponctuels existaient sur les Phytoseiidae des vergers (Fauvel et Gendrier, 1992 ; Fauvel et al., 1993). Le travail le plus exhaustif est celui conduit par Bourgouin et al. (2002). Ce travail montre la prédominance de Typhlodromus (Typhlodromus) pyri Scheuten dans la haute vallée du Rhône et sa présence dans le Val-de-Loire, ainsi que la prédominance de Neoseiulus californicus dans le Sud-Est et le Sud-Ouest.

Depuis lors, des observations font état de la présence d'Amblyseius andersoni Chant et de N. californicus (McGregor) aux côtés de T. (T.) pyri ces 8 dernières années en Val-de-Loire. Dans le Sud-Ouest et le Sud-Est, ces 10 dernières années, Kampimodromus aberrans (Oudemans) est apparu dans les vergers du Sud-Est, et A. andersoni dans ceux du Sud-Ouest. Dans les pays voisins, notamment en Italie, Espagne et Suisse, on trouve les mêmes espèces dans les vergers étudiés (Linder 2001 ; Minarro et al., 2002 ; Iglesia et al., 2005 ; Duso et al., 2009).

Le travail présenté ici a pour objet de dresser un premier inventaire des espèces de Phytoseiidae présentes en vergers de pommiers en France.

Du choix des parcelles à l'identification

Cent vingt-neuf parcelles présentant des Phytoseiidae ont été considérées dans 26 départements de 12 régions administratives. Le nombre des parcelles par région et par département est présenté dans le tableau 1.

Dans chaque parcelle, 50 feuilles ont été prélevées entre mai et septembre 2011. Chaque feuille a été observée séparément et tous les Phytoseiidae comptabilisés et collectés. Les femelles ont été montées entre lame et lamelles dans du liquide de Hoyer. Elles ont été ensuite identifiées à l'aide d'un microscope à contraste de phase, en utilisant la bibliographie adéquate pour chacun des genres rencontrés.

Résultats

Effectifs de Phytoseiidae

Le nombre moyen de Phytoseiidae observés était assez élevé dans toutes les régions (Figure 1). Il varie de 0,02 (Alsace) à 4 (Basse-Normandie) individus par feuille mais ces extrêmes ne représentent pas la réalité : une seule parcelle a été échantillonnée dans chacune de ces deux régions (Tableau 1). Ailleurs, autour d'un Phytoseiidae par feuille a été trouvé dans les parcelles échantillonnées, et des tétranyques n'ont été observés que très sporadiquement.

La figure 2 représente le nombre moyen de Phytoseiidae trouvé sur les principales variétés de pommiers échantillonnées. Certaines variétés présentent des effectifs plus importants que d'autres mais, même si le facteur variété est important, il n'est certainement pas le seul apte à expliquer les effectifs présents.

Les variétés les plus communes, Golden, Gala, Pink Lady, Granny et Breaburn, ont présenté des effectifs assez importants de Phytoseiidae, de l'ordre de 1 à 2 Phytoseiidae par feuille.

Il est également intéressant de noter les effectifs importants sur la variété Chanteclerc, suivie uniquement dans le Languedoc-Roussillon et colonisée uniquement par K. aberrans.

Onze espèces dont quatre principales

On a pu monter 1 623 individus entre lames et lamelles, et identifier ainsi 11 espèces de Phytoseiidae. Quatre sont majoritaires : A. andersoni, T. (T.) pyri, K. aberrans et dans une moindre mesure N. californicus (Figure 3).

Amblyseius andersoni, espèce dominante en effectifs, est rencontrée dans 65 % des départements et 55 % des parcelles échantillonnées. Une distribution large, donc (Tableau 2).

Intéressant : T. (T.) pyri a été trouvé dans 77 % des départements mais seulement 25 % des parcelles. Ceci montre que T. (T.) pyri semble présenter une distribution géographique plus large que les autres espèces mais ne serait présent que dans certaines parcelles (Tableau 2).

Kampimodromus aberrans et N. californicus sont bien plus localisées. Elles ne sont présentes que dans 9 départements sur les 26 échantillonnés. Toutefois, K. aberrans est plus fréquente que N. californicus et ses effectifs sont plus importants (Tableau 2).

Localisation des espèces dominantes de Phytoseiidae

C'est dans la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur qu'a été observée la diversité maximale de Phytoseiidae (10 espèces sur les 11 échantillonnées durant l'étude) (Figure 4). Mais c'est dans cette région que le nombre de parcelles échantillonnées a été le plus grand (51 parcelles).

Neoseiulus californicus n'a quasiment été observée qu'en Provence-Alpes-Côte-d'Azur (99 individus parmi les 106 de l'espèce identifiée). Il a été rencontré dans trois autres régions (Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes) mais de façon sporadique.

Dans la représentation de la distribution des espèces de Phytoseiidae dans les parcelles de pommiers en France, nous n'avons donc fait figurer que A. andersoni, K. aberrans et T. (T.) pyri. Pour chaque région, la figure 5a représente la proportion de ces trois espèces sur le nombre total de Phytoseiidae échantillonné, et la figure 5b représente la proportion des parcelles avec présence d'une de ces trois espèces. Amblyseius andersoni est majoritaire dans 7 régions sur les 12 échantillonnées. A souligner : dans toutes les régions où cette espèce a été échantillonnée, elle est majoritaire en effectifs. En terme de parcelles concernées, elle est majoritaire dans le Sud-Ouest (Midi-Pyrénées, Aquitaine) mais pas seulement. On la rencontre également en régions Provence-Alpes-Côted'Azur, Alsace, Centre et Rhône-Alpes.

Il faut aussi noter que dans la majorité des régions dans lesquelles cette espèce n'a pas été observée, une seule parcelle a été échantillonnée (Limousin, Poitou-Charentes, Franche-Comté, Basse-Normandie). On peut se demander si cette espèce aurait été observée si le nombre de parcelles échantillonnées avait été supérieur. Une région échappe à ce schéma : Languedoc-Roussillon, dans laquelle A. andersoni a été observé en effectifs réduits mais dans un nombre relatif de parcelles assez important.

Dans cette région, l'espèce majoritaire, en effectif et en nombre de parcelles colonisées, est K. aberrans. Cette espèce n'est présente que dans 3 autres régions (Pays de Loire, PACA et Franche-Comté). Elle est hégémonique en Franche-Comté, mais avec une seule parcelle échantillonnée dans cette région.

Typhlodromus (Typhlodromus) pyri a été observée dans toutes les régions, excepté en Franche-Comté et Centre mais avec une seule parcelle échantillonnée dans chacune de ces régions. On peut se demander si ces résultats auraient été identiques si le nombre de parcelles échantillonnées avait été supérieur. De plus, même si T. (T.) pyri semble présent partout en France, il n'est majoritaire qu'en Rhône-Alpes.

Les espèces dominantes de Phytoseiidae : moins d'« effet variété » que d'« effet région »

Le tableau 3 présente l'occurrence des quatre espèces de Phytoseiidae majoritaires sur les différentes variétés échantillonnées dans les 12 régions. Comme déjà montré, la structuration de la diversité semble davantage liée à la région dans laquelle les Phytoseiidae ont été échantillonnés qu'à la variété. Il est en effet intéressant de noter que les variétés principales (Breaburn, Fuji, Gala, Golden et Granny) sont colonisées par les quatre espèces de Phytoseiidae de façon différente selon les régions.

Au fait, ces quatre espèces majoritaires co-habitent-elles dans une même parcelle ? La réponse à cette question et le détail des associations sont présentés dans le tableau 4.

On voit que, dans la majorité des parcelles, les trois espèces A. andersoni, T. (T.) pyri et K. aberrans sont trouvées seules. Ce pourcentage est particulièrement élevé pour K. aberrans. En revanche, il est à noter que N. californicus n'est que très rarement rencontrée seule (une seule parcelle dans les Bouches-du-Rhône, avec effectifs faibles).

Discussion et conclusion

Constat : la faune a évolué

Ce travail représente l'étude la plus complète jamais conduite sur les Phytoseiidae des vergers de pommiers. Elle montre clairement des modifications de la faune par rapport à ce qui était connu jusqu'à présent.

Il y a en particulier la présence assez généralisée de A. andersoni. Même si cette espèce reste dominante dans le Sud-Ouest, on voit qu'elle colonise également les autres régions, notamment Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

En revanche, en Languedoc-Roussillon, A. andersoni a été très rarement rencontré et l'espèce majoritaire est K. aberrans, comme dans les vignobles de cette même région.

Cependant, le seul facteur climatique ne peut expliquer la prédominance de K. aberrans en Languedoc-Roussillon. En effet, cette espèce a également été rencontrée en Franche-Comté et, hors de nos frontières, elle est très commune dans les vergers de pommiers en Autriche.

Il est aussi intéressant de noter la faible présence de N. californicus par rapport aux études précédentes, et son cantonnement quasi-exclusif à la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

Explication : ni la variété de pomme, ni l'âge du verger, ni les proies

À partir de ce constat, on peut émettre des hypothèses pour expliquer la distribution des espèces de Phytoseiidae dans les régions françaises et les modifications de faune constatées.

La diversité des Phytoseiidae ne semble pas être liée à la variété de pommier, ni à l'âge des parcelles et encore moins à la présence de proies, ce dernier élément étant tout à fait logique et prévisible pour des espèces de prédateurs généralistes (prédateurs de protection). De plus, ceci montre que les effectifs observés dans les parcelles étudiées devaient être suffisants pour éviter le développement des acariens phytophages.

Et les facteurs climatiques ?

Les facteurs climatiques pourraient influer sur l'occurrence de telle ou telle espèce. Les éléments bibliographiques disponibles montrent que K. aberrans serait plus tolérant aux faibles hygrométries (RH50 des œufs = 56 %) que T. (T.) pyri (RH50 des œufs = 58 %), lui-même plus tolérant que A. andersoni (RH50 des œufs = 62 %) (Duso et Camporese 1991 ; Genini et al., 1991). Ceci pourrait expliquer pourquoi K. aberrans est préférentiellement trouvé en Languedoc-Roussillon et A. andersoni dans les régions plus humides (pluviométries plus importantes).

Cependant, notre travail montre qu'il existe d'autres facteurs, étant donné que K. aberrans est trouvé dans des régions septentrionales et que A. andersoni est observée en grande quantité en Provence-Alpes-Côte-d'Azur, région moins humide que le Sud-Ouest.

Un rôle probable des pratiques

Il semble donc clair que d'autres facteurs pourraient expliquer les changements de faune observés, par exemple le mode d'irrigation des parcelles mais aussi et surtout les pratiques phytosanitaires dont le rôle prépondérant a été mis en évidence lors du recensement des Phytoseiidae de la vigne (Kreiter et al., 2000).

Il a été souvent annoncé que N. californicus était une espèce plutôt présente en parcelles fortement traitées, de par sa capacité à mieux résister aux insecticides pyréthrinoïdes notamment.

Le fait que cette espèce recule devant notamment K. aberrans et A. andersoni qui se développent, pourrait suggérer que les modifications des fréquences de traitements et l'usage de produits plus respectueux de la faune auxiliaire pourraient avoir eu un rôle majeur. Des études complémentaires sont nécessaires pour tester et appuyer cette hypothèse.

De même, il a été montré dans d'autres pays le rôle des aménagements parcellaires pour augmenter la présence de prédateurs (Papaioannou-Souliotis et al., 2000 ; Fitzgerald et al., 2004). Ces aménagements peuvent en effet influer sur la présence de nourriture alternative. Ainsi on sait que A. andersoni a une meilleure capacité de développement que K. aberrans en présence de T. urticae ; en revanche si du pollen est offert à K. aberrans, ses capacités de développement s'accroissent fortement. Ainsi, des études complémentaires pourraient être réalisées dans ce sens.

Enfin, certaines régions n'ont été que très peu échantillonnées et des travaux complémentaires sont donc nécessaires pour augmenter la représentativité des parcelles étudiées.

<p>* Montpellier SupAgro, UMR CBGP (INRA/IRD/CIRAD/SupAgro), Campus international de Baillarguet, CS 30 016, 34988 Montferrier-sur-Lez cedex.</p> <p>** Bayer S.A.S Bayer CropScience, 16, rue Jean-Marie-Leclair, CS 90106, 69266 Lyon cedex 09.</p> <p>(1) Phytopharmaceutiques.</p>

Bibliographie

La bibliographie de cet article (20 références) est disponible auprès de ses auteurs.

Remerciements

Nous remercions les techniciens régionaux de Bayer ainsi que les agriculteurs ayant participé à l'échantillonnage des parcelles et à l'envoi des échantillons, sans eux l'étude n'aurait pas été possible.

Figure 1 - Densité des populations.

Nombre moyen de Phytoseiidae par feuille observé dans chaque région.

Figure 2 - Un effet variété ?

Nombre moyen de Phytoseiidae par feuille sur les principales variétés de pommiers échantillonnées.

Figure 3 - Diversité, mais dominances.

Proportion des 11 espèces de Phytoseiidae observées dans les vergers de pommiers en France en 2011, toutes régions confondues.

Figure 4 - Un effet régional ?

Nombre d'espèces différentes de Phytoseiidae observé dans chaque région.

Figure 5 - Géographie des trois espèces majoritaires

(a) - Proportion de ces trois espèces dans les vergers de pommiers de chaque région.

(b) - Nombre de parcelles (%) dans lesquelles ces espèces ont été observées dans les 7 régions où l'on a trouvé plusieurs espèces différentes.

Résumé

La famille des Phytoseiidae comprend des espèces prédatrices utiles dans le contrôle biologique de divers arthropodes ravageurs, en premier lieu des acariens phytophages. La faune des Phytoseiidae des vergers français est peu connue car peu de travaux ont été réalisés jusqu'à présent sur elle. Ce travail a pour objectif de caractériser la biodiversité des Phytoseiidae en vergers de pommiers.

L'étude a été réalisée dans 129 parcelles dans 26 départements de 12 régions administratives. Cinquante feuilles par parcelle ont été prélevées entre mai et septembre 2011. Mille six cent vingt-trois individus ont été montés entre lames et lamelles et 11 espèces de Phytoseiidae identifiées.

Quatre de ces espèces sont majoritaires. Il s'agit d'Amblyseius andersoni, Typhlodromus (Typhlodromus) pyri, Kampimodromus aberrans et dans une moindre mesure Neoseiulus californicus, observé essentiellement en région PACA (Provence-Alpes-Côte d'Azur). Amblyseius andersoni est majoritaire dans le Sud-Ouest (Midi-Pyrénées, Aquitaine) mais on la rencontre également en régions PACA, Alsace, Centre et Rhône-Alpes.

Kampimodromus aberrans est l'espèce majoritaire en Languedoc-Roussillon mais aussi en Franche-Comté où une seule parcelle a toutefois été échantillonnée.

Typhlodromus (Typhlodromus) pyri a été observée dans toutes les régions sauf en Franche-Comté et dans le Centre, mais n'est majoritaire qu'en Rhône-Alpes.

A souligner, ces espèces sont en général rencontrées seules dans les parcelles et pas en association, excepté pour N. californicus.

Des éléments de discussion sont développés pour expliquer cette distribution.

Mots-clés : méthodes alternatives, pommiers, Phytoseiidae, prédateurs, auxiliaires, inventaire, biodiversité.

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