Une nouvelle résine pour protéger les plaies de taille vient d'être autorisée sur vigne contre l'eutypiose en même temps que sur arbres et arbustes d'ornement contre « maladies diverses ». L'Inra avait réalisé des essais avant l'autorisation sur vigne. En voici les résultats.
Ce qu'est ce nouveau produit
Un mastic supplémenté
Il s'agit d'un nouveau mastic protecteur formulé par la société Protecta, récemment autorisé sur le marché (AMM n° 2130178(1)). Nommé Phytopast® V, il est l'évolution du Phytopast ® G, lequel est un mastic souple qui se solidifie en séchant sans craqueler et qui agit par un effet de barrière.
Comme son aîné, le nouveau produit est essentiellement constitué de résines et d'huile végétale, mais supplémentées par deux substances fongicides, le cyproconazole (0,2 %) et le thiophanate-méthyl (0,19 %), pour renforcer son effet de protection.
Recommandations d'emploi
Ce mastic doit être appliqué soigneusement au pinceau (photo) et en quantité suffisante pour bien recouvrir les plaies et éviter des petites cavités. Il est préférable de l'appliquer par beau temps, au moins le temps du séchage.
Il est conseillé d'éviter les tailles rases et, au contraire, de laisser un chicot suffisamment long (taille adaptée à celle de la plaie). Ce chicot se dessèchera et ne grossira pas ou peu avec le temps, limitant le craquellement du produit. Les tissus sous-jacents cicatriseront mieux, ce qui évite un trop rapide développement naturel de nécroses (Lecomte et al., 2008).
À noter : ce nouveau mastic n'est pas phytotoxique. Il est l'égal de nombreux autres produits équivalents diffusés de par le monde comme le Garrison. Son potentiel de protection a été évalué par l'UMR SAVE 1065 (Inra-Bordeaux sciences agro) sur le Centre Inra de Bordeaux, d'abord au laboratoire puis en enceinte climatisée et au vignoble.
L'étape du laboratoire
Effets sur la croissance testés sur six champignons, germination des spores sur deux d'entre eux
L'effet de l'association des deux matières actives fongicides a été évalué sur la croissance de six champignons lignicoles, soit :
– Eutypa lata, principal agent responsable de l'eutypiose, également parfois présent dans des nécroses d'esca ;
– Phaeomoniella chlamydospora (Pch), Phaeoacremonium aleophilum, Fomitiporia punctata, trois champignons les plus souvent associés au syndrome de l'esca ;
– Diplodia seriata et Neofusiccocum parvum, associés aux dépérissements à Botryosphaeria et aussi très fréquents dans les nécroses d'esca.
Les isolats utilisés sont des champignons de référence dans notre collection.
L'effet sur la germination des spores n'a été testé qu'avec Eutypa lata et P. chlamydospora. Il s'agit des deux principaux pathogènes détectables en hiver dans les tissus des plaies de taille récentes.
Une méthodologie classique
Le principe de l'étude est classique. Les produits sont dilués extemporanément dans de l'eau stérile, le mélange est incorporé dans un milieu de culture malt-agar en surfusion en boîtes de Petri. Puis, après la prise en masse, c'est l'inoculation : les champignons sont inoculés sur les boîtes de culture sous forme de pastilles de mycélium ou de spores en suspension. Enfin, c'est l'observation, après incubation, du développement des mycéliums ou de la germination.
Résultats obtenus : un potentiel prometteur
Les résultats obtenus sont simples : avec de telles concentrations en matières actives, l'association a inhibé complètement le développement mycélien ainsi que la germination des champignons étudiés.
Cette association a donc manifesté un excellent potentiel de contrôle. Ceci confirme des travaux antérieurs réalisés au sein du laboratoire dirigé alors par B. Dubos.
Mais établir qu'un produit est actif in vitro, dans le verre des boîtes de culture, ne garantit pas qu'il sera efficace in planta, c'est-à-dire sur les plantes ! Cela indique simplement qu'il vaut la peine de le tester sur ces plantes...
Sur vigne, en enceinte climatisée puis au vignoble
Principes communs aux tests in planta
Aussi, après incorporation des matières actives au produit de base, l'aptitude à la protection du Phytopast V a été testée en conditions artificielles d'infection sur jeunes sarments de vigne, toujours sur les deux principaux parasites hivernaux des plaies de taille : Eutypa lata et P. chlamydospora (Pch). Le produit a été testé en préventif avant inoculation, et en curatif après.
L'efficacité a été jugée en fonction du nombre de plaies de taille permettant l'isolement d'au moins une colonie des champignons inoculés et par comparaison à un témoin non protégé. Le produit de référence est le Phytopast G (référence des essais menés par l'Inra à Bordeaux depuis le retrait de l'Escudo).
Enceinte climatisée pour deux pathogènes, vignoble ensuite pour un seul
L'expérimentation a été effectuée sur cépage sensible, le cabernet-sauvignon, à l'aide de suspensions de spores préparées au laboratoire et déposées sur des plaies récentes de taille (25 à 26 sarments par modalité en répétitions de 8 à 9 sarments, 150 à 200 spores déposées par blessure pour E. lata, 2 500 pour P. chlamydospora). Elle comprend trois essais :
– deux en chambre (enceinte) climatisée sur les effets préventif et curatif (4 heures avant et après contamination) contre les deux champignons, avec une procédure rapide d'évaluation (deux mois), pour vérifier si le potentiel in vitro se confirme in planta.
– puis un essai au vignoble (préventif et curatif 24 heures avant et après contamination, évaluation après d'un an d'incubation) selon une méthode standard internationale, sur E. lata seulement.
Les procédures, détaillées dans la méthode CEB 155 (révisée en 2006), ont été également décrites par Lecomte et al. en 2004. Les ascospores d'E. lata proviennent de périthèces (identité vérifiée par PCR) et les conidies de Pch d'un isolat de référence cultivé sur milieu. Les résultats sont analysés avec StaboxPro 5.0.
Contre E. lata, efficace en préventif et prometteur en curatif
Contre E. lata, tous les tests effectués en préventif montrent que ce produit peut assurer une protection préventive maximale (Figure 1).
En revanche l'effet curatif est inférieur, les substances actives ne pouvant probablement pas beaucoup migrer en profondeur. Mais l'effet curatif affiché jusqu'à 24 heures après inoculation au vignoble (Figure 1) est éloquent. Il tend à montrer que ce produit pourrait contrôler le développement de spores n'ayant pas encore pénétré profondément dans les vaisseaux et/ou inhiber le développement de mycéliums issus de poussières ou débris de bois porteurs de champignons et déposés par les outils de taille (ex. : scies de type égoïne).
Certes ce résultat ne permet pas encore de revendiquer un effet curatif sur eutypiose. Il faudra le vérifier dans d'autres conditions expérimentales et sur un délai plus long entre infection et traitement.
Résultats sur P. chlamydospora
Avec P. chlamydospora, aucun effet curatif n'a été observé dans le seul test réalisé, celui en enceinte climatisée. Le nombre plus important de spores déposées ou la taille plus petite de ces spores pourraient expliquer ce résultat.
Conclusions
Préventif eutypiose acquis, des espoirs par ailleurs
Le mastic, utilisé seul dans Phytopast G, assurait déjà un très haut niveau de protection (barrière physique). En effet, il est utilisé, depuis 2009, comme produit de référence pour les essais menés au vignoble avec une efficacité préventive moyenne de 96 % pour E. lata (9 essais : 93 à 100 % d'efficacité) et de 81 % pour Pch (9 essais aussi : 63 à 100 % d'efficacité). L'ajout de substances actives au Phytopast G dans le Phytopast V peut représenter l'assurance de contribuer à un effet curatif non négligeable... Attention, seulement vis-à-vis d'E. lata selon cette étude, et seulement quelques heures après la contamination et en l'absence de migration profonde !
Un réel potentiel à mettre à l'épreuve dans des essais de longue durée
Le travail réalisé tant au vignoble qu'en enceinte climatisée a largement confirmé le potentiel exprimé in vitro dans l'étude précédente par Phytopast V. Ce produit a un intérêt manifeste pour réduire les possibilités d'installation hivernale d'E. lata et P. chlamydospora. Il est recommandé par ailleurs pour les opérations de recépage et regreffage (ou surgreffage).
Bien entendu, il conviendra de compléter cette étude par des tests pour évaluer la durée de protection avec divers champignons associés aux maladies du bois. Il serait très utile de mettre en place une expérimentation de longue durée comme celle réalisée il y a quelques années dans les Charentes (Boureau, 2007 ; Dumot et al., 2012), d'une part pour confirmer l'intérêt pratique de cette méthode de lutte, d'autre part pour mieux préciser les limites, déjà citées ailleurs (Lecomte, 2009), de la protection des plaies de taille de façon générale.
<p>(1) Autorisations : « Vigne*Trait. Parties aériennes*Eutypiose » et « Arbres et arbustes d'ornement*Trait. Parties aériennes*Maladies diverses ».</p>
Fig. 1 : Efficacité sur vigne, synthèse de trois essais
Au vignoble sur E. lata, les deux traitements Phytopast V (préventif et curatif 24 h) sont statistiquement équivalents entre eux et avec la référence Phytopast G en préventif.
En enceinte, Phytopast V est équivalent à la référence sur E. lata en préventif, pas en curatif ; sur Pch, Phytopast V n'a agi qu'en préventif.