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Sur le métier

Isabelle Thouvenin évalue le risque phyto pour l'homme

PAR CHANTAL URVOY - Phytoma - n°683 - avril 2015 - page 60

Après quinze ans en tant que salariée, Isabelle Thouvenin est toxicologue indépendante depuis quatre ans. Une compétence qui l'amène à travailler principalement pour des firmes phytosanitaires ou des syndicats. Objectif ? Évaluer l'exposition des opérateurs à un produit donné dans le cadre d'un dossier d'homologation ou de réhomologation. Ses outils ? La modélisation et des tests en situation réelle.
 Photo : C. Urvoy

Photo : C. Urvoy

Pharmacienne de formation doublée d'un DEA en toxicologie, Isabelle Thouvenin met un pied dans l'évaluation de risque de produits phytosanitaires chez Rhône-Poulenc en 1997. Puis elle se spécialise dans ce domaine au fil du temps pendant dix années passées dans une entreprise de consultants en toxicologie et environnement. Forte de cette expérience, depuis 2011 elle vole de ses propres ailes, avec sa société HumExpo, pour évaluer les risques des produits de santé végétale pour l'homme.

« Mes clients sont des firmes phytosanitaires et des syndicats (UIPP(1), UPJ(2)...), surtout dans le cadre de dossiers d'homologation ou de réhomologation quand les évaluations de risque sont complexes à réaliser », explique Isabelle Thouvenin.

Des modèles publics ou spécifiques

Le risque d'un produit phytopharmaceutique pour l'homme étant la combinaison de sa toxicité et de l'exposition à ce produit, il faut évaluer cette dernière donnée. Deux moyens pour Isabelle Thouvenin : la modélisation et les mesures sur le terrain.

« J'ai accès à des modèles publics, explique notre consultante. Mais certaines cultures et/ou modes d'application peuvent ne pas être pris en compte. C'est le cas pour les applicateurs en jardins amateurs et professionnels. J'ai donc participé pour l'UPJ à la création de modèles spécifiques à partir de données mesurées dans ces situations particulières et qui peuvent être extrapolées à d'autres produits. »

Ces mesures en situation réelle coûtent cher, d'où le recours à la modélisation (quand cela est possible) qui permet de calculer les niveaux d'exposition en faisant varier de multiples paramètres (type de produits manipulés, quantité, type d'épandage, avec ou sans ÉPI...). L'exposition peut être également calculée pour le travailleur qui va entrer dans la parcelle après le traitement, de même que celle de personnes passant à proximité pendant le traitement et celles des habitants résidant dans le voisinage des parcelles traitées (notamment les enfants).

Peau et voies respiratoires

Quand le risque est supérieur à la dose tolérée (AOEL(3)) définie pour chaque substance, des mesures d'exposition sur le terrain sont nécessaires pour déterminer si le risque est acceptable en situation réelle.

« Une étude de mesures est aussi nécessaire quand un type d'application n'est pas couvert par un modèle accessible. C'est le cas par exemple des traitements de semences. »

Ces tests regroupent plusieurs types de mesure : la dosimétrie cutanée externe, l'exposition par inhalation, voire un biomonitoring urinaire.

Pour mesurer l'exposition de la peau, l'opérateur est équipé de sous-vêtements longs qui représentent la peau, puis de vêtements et/ou des ÉPI qu'il portera pendant son travail. Il est également souvent équipé d'un capteur fixé au col pour piéger les particules, gaz, ou vapeurs qu'il peut inhaler.

« À la fin de la journée de travail, nous collectons les dosimètres. Les vêtements sont découpés pour mesurer l'exposition des différentes parties du corps. Les eaux de lavage des mains et les nettoyages du visage et du cou (voire un chapeau) sont également récupérés. »

Dans le cas d'une matière active absorbée et rejetée par l'organisme sans modification, ou bien transformée en un métabolite majoritaire, un biomonitoring urinaire peut être réalisé.

« Nous collectons les urines de l'opérateur un jour avant le traitement puis pendant plusieurs jours qui suivent selon la cinétique d'élimination de la substance tracée. »

Des essais et analyses BPL

Pour toutes ces mesures terrain, Isabelle Thouvenin s'appuie sur la société Staphyt, accréditée BPL, qui recherche des agriculteurs-opérateurs et supervise la phase terrain.

« Il nous faut au minimum dix à douze opérateurs pour une étude. J'accompagne toujours Staphyt sur le terrain, y compris hors de France. »

Les analyses de résidus sur les diverses matrices (vêtements, gants, eau de lavage des mains...) sont réalisées par des laboratoires accrédités BPL.

« Les méthodes d'analyse sont validées pour chaque type de matrice avant la phase terrain. Comme il peut s'écouler plusieurs mois entre le prélèvement sur le terrain et les analyses, nous pouvons aussi vérifier dans le temps la stabilité de la substance au sein de l'échantillon. »

Isabelle Thouvenin met ensuite en relation les données terrain et d'analyses pour rédiger un rapport et conclure sur l'exposition de l'opérateur au produit étudié.

« Pour évaluer l'exposition de la personne entrant dans la parcelle après le traitement, je procède de la même façon. »

Quatre études par an

Depuis 2011, l'activité d'Isabelle Thouvenin se développe.

« Nous ne sommes pas très nombreux à conduire ces études terrain en indépendant, peut-être une dizaine en Europe, souligne notre consultante. Elles sont surtout réalisées par des structures qui gèrent également la partie opérationnelle terrain ou analyses. Certaines firmes phytosanitaires, qui disposent de toxicologues, le font également en partie en interne. »

Notre toxicologue peut conduire au maximum quatre études par an.

« Si l'activité venait à se développer davantage, je ne pense pas embaucher mais plutôt m'appuyer sur des partenaires pour effectuer les prestations que je peux externaliser », conclut Isabelle Thouvenin qui ne regrette pas le confort du salariat.

(1) Union des industries de la protection des plantes. (2) Union des entreprises pour la protection des jardins et des espaces publics. (3) ou Neao en français (niveau d'exposition acceptable pour l'opérateur).

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ISABELLE THOUVENIN

1994. Diplômée en pharmacie à Limoges (Haute-Vienne) et titulaire d'un DEA en toxicologie à Paris.

Directrice d'études préclinique de Pharmakon Europe, à L'Arbresle (Rhône).

1995. Assistante scientifique dans les laboratoires Virbac (produits vétérinaires), à Carros (Alpes-Maritimes).

1997. Directrice d'études précliniques chez Rhône-Poulenc, à Sophia-Antipolis (Alpes-Maritimes).

2001. Toxicologue et évaluateur de risque chez CEHTRA, à Nice (Alpes-Maritimes).

2011. Crée sa société (HumExpo) pour devenir consultante indépendante, à Draguignan (Var).

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