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Biocontrôle

La confusion sexuelle, une alternative aux insecticides

DENIS THIÉRY*, LIONEL DELBAC* ET LAURENCE FROUIN** *UMR Save, UMT Seven, Inrae Centre de recherches de Nouvelle-Aquitaine. **Raisonnance, Groupe Isidore. - Phytoma - n°728 - novembre 2019 - page 45

En viticulture, le recours aux phéromones sexuelles offre une réelle efficacité pour lutter contre les tordeuses, dans le cadre d'une démarche collective.
 1 et 3. D. Thiery - 2. L. Frouin - 4. M. Rauscher

1 et 3. D. Thiery - 2. L. Frouin - 4. M. Rauscher

1. Eudémis sur feuille de vigne.       2. chenille d'eudémis (dégât sur baie de raisin).      3. Femelle Lobesia sur feuille.      4. Femelle eudémis ayant extrudé sa glande à phéromone lors de l'appel sexuel.

1. Eudémis sur feuille de vigne. 2. chenille d'eudémis (dégât sur baie de raisin). 3. Femelle Lobesia sur feuille. 4. Femelle eudémis ayant extrudé sa glande à phéromone lors de l'appel sexuel.

Fig. 1 : Structure des molécules et composition du cocktail      Composition actuelle des glandes à phéromone sexuelle des femelles des deux espèces de tordeuses de la grappe (d'après www.pherobase.com) exprimée en nanogramme de produit par femelle. Les molécules sont des acétates ou alcools (Ac ou OH) à chaîne hydrocarbonée linéaire, de dix à vingt atomes de carbone, plus ou moins insaturée. E et Z indiquent les isoméries de position par rapport aux doubles-liaisons C = C. Outre la fonctionnalité chimique (Ac ou OH) et la longueur de chaîne, la position des doubles-liaisons est un élément clé de la spécificité. Exemple pour le composant majoritaire eudémis, E7Z9-12 Ac : dodécényl acétate, les deux doubles-liaisons sont en position 7 et 9. En rouge : le composé majoritaire attractif pour chaque espèce ; en jaune : les composés communs aux deux espèces.

Fig. 1 : Structure des molécules et composition du cocktail Composition actuelle des glandes à phéromone sexuelle des femelles des deux espèces de tordeuses de la grappe (d'après www.pherobase.com) exprimée en nanogramme de produit par femelle. Les molécules sont des acétates ou alcools (Ac ou OH) à chaîne hydrocarbonée linéaire, de dix à vingt atomes de carbone, plus ou moins insaturée. E et Z indiquent les isoméries de position par rapport aux doubles-liaisons C = C. Outre la fonctionnalité chimique (Ac ou OH) et la longueur de chaîne, la position des doubles-liaisons est un élément clé de la spécificité. Exemple pour le composant majoritaire eudémis, E7Z9-12 Ac : dodécényl acétate, les deux doubles-liaisons sont en position 7 et 9. En rouge : le composé majoritaire attractif pour chaque espèce ; en jaune : les composés communs aux deux espèces.

Fig. 2 : Exemple de parcellaire collectif et gain de traitement engendré par la diminution du morcellement et la continuité pluriannuelle de la confusion sexuelle

Fig. 2 : Exemple de parcellaire collectif et gain de traitement engendré par la diminution du morcellement et la continuité pluriannuelle de la confusion sexuelle

Cochylis accouplés. Plus la surface sur laquelle on diffuse de la phéromone est importante, plus les chances d'inhiber à grande échelle les accouplements sont grandes. Photo :  D. Thiéry

Cochylis accouplés. Plus la surface sur laquelle on diffuse de la phéromone est importante, plus les chances d'inhiber à grande échelle les accouplements sont grandes. Photo : D. Thiéry

Fig. 3 : Incidence de la la confusion sur la lutte insecticide       Comparaison sur trois châteaux d'une même appellation et avec une attente qualitative similaire.

Fig. 3 : Incidence de la la confusion sur la lutte insecticide Comparaison sur trois châteaux d'une même appellation et avec une attente qualitative similaire.

Les vers de la grappe sont encore actuellement les ravageurs majeurs des vignes européennes. Eudémis (Lobesia botrana) et cochylis (Eupoecilia ambiguella) sont des petits papillons nocturnes dont les chenilles se nourrissent des inflorescences et des baies jusqu'à la vendange.

Deux petits papillons, eudémis et cochylis

Difficiles à surveiller et en expansion

L'eudémis et la cochylis effectuent plusieurs cycles reproducteurs par an (le nombre variant selon la latitude, en général deux dans la moitié nord de la France et trois, voire quatre au sud), et sont très difficiles à surveiller et à contrôler (Delbac & Thiéry, 2016 ; Thiéry et al., 2018). Ces insectes sont, de plus, en expansion géographique. L'eudémis colonise les vignes du continent américain depuis 2010 (États-Unis, Chili et Argentine) (Varela et al., 2010 ; Gilligan et al., 2011).

Une phéromone sexuelle spécifique

Une des caractéristiques intéressantes de ces papillons est que la femelle produit une phéromone sexuelle pour attirer le mâle en vue de l'accouplement. Cette phéromone sexuelle, comme les phéromones d'alarme, de piste ou d'agrégation, est d'action interspécifique, c'est-à-dire qu'elle n'agit qu'entre les individus de la même espèce. Elle peut facilement être utilisée en tant que méthode biotechnique de lutte spécifique contre une espèce donnée. Ce type de composé est assez simple à synthétiser, stable chimiquement et assez facile d'usage (Figure 1).

Principe de la confusion sexuelle

Un appel à longue distance

Le principe de la confusion sexuelle (Encadré 1) repose sur l'inhibition de l'accouplement (Frérot et al., 2013). Chez les papillons nocturnes, l'accouplement est essentiellement régulé par la production de phéromone sexuelle uniquement par la femelle qui possède une glande abdominale capable de produire un cocktail de molécules, appelé bouquet phéromonal. Cette phéromone est produite en très faible quantité. Ainsi les femelles de vers de la grappe produisent quelques nanogrammes de phéromone par nuit qu'elles émettent dans l'air au crépuscule dans le but d'attirer les mâles à distance. Une caractéristique de la communication phéromonale chez les papillons est que le composant chimique majoritaire du cocktail phéromonal permet, à lui seul chez la plupart des espèces, d'attirer les mâles à longue distance (plusieurs centaines de mètres à un kilomètre).

Saturer l'air pour désorienter les mâles

Pour cela, les mâles disposent de récepteurs olfactifs adaptés sur leurs antennes et de zones de leur cerveau spécialement dévouées au traitement de cette information olfactive, ce qui les rend remarquablement performants, avec des comportements très précis leur permettant de remonter efficacement le courant d'air véhiculant cette odeur de femelle (Thiéry et al., 2013). Pour schématiser, la régulation de ces comportements dépend de la perception de différences de concentration en avançant selon l'axe du flux d'air, mais aussi en y prospectant latéralement, la comparaison simultanée des signaux envoyés au cerveau par chacune des deux antennes lui permettant de mesurer sa position par rapport à ces différences de concentration. L'action majeure de la confusion sexuelle consiste donc à envoyer suffisamment de composés dans l'air dans lequel volent les papillons pour saturer les récepteurs antennaires du mâle et faire ainsi disparaître ces différences de concentrations. Plus la concentration en molécules dans l'air au-dessus de la culture est forte et homogène, plus la confusion est efficace.

Pour cela, on dispose dans la culture des diffuseurs de phéromone, dont le nombre varie en fonction de la modalité de diffusion, ces diffuseurs correspondant à une très forte quantité de phéromone. Pour fixer les idées, une femelle d'eudémis produit durant sa vie entre 3 et 10 ng de phéromone pure, donc un diffuseur de type RAK (BASF) génération 2019 contient l'équivalent d'une centaine de millions de femelles d'eudémis, et on place 500 de ces diffuseurs par ha. Cette quantité est diffusée entre avril et fin septembre. Chez les vers de la grappe, deux autres mécanismes renforcent celui décrit plus haut. Les diffuseurs peuvent aussi agir comme une « super-femelle » et ainsi les mâles suivent des fausses pistes les conduisant aux diffuseurs (Schmitz et al., 1995). Plus récemment, il a aussi été montré que les femelles détectent cette phéromone et réagissent en fuyant les zones de trop forte concentration (Harrari et al., 2011), ce qui amplifierait encore la forte réduction des accouplements.

Jouer sur la concentration en odeur : contraintes et risques

Un élément du succès : la lutte collective

Des études théoriques ont permis la mise au point pratique de la technique vulgarisée dès le début de son utilisation en 1995 (Stockel & Lecharpentier, 1994). Il ressort de ces travaux que plus la surface sur laquelle on diffuse de la phéromone est importante, plus les chances d'inhiber à grande échelle les accouplements sont grandes. La lutte collective est donc un élément du succès de la technique.

Le morcèlement typique des régions viticoles peut sembler être un frein au développement de cette pratique. Pour y remédier, il faut constituer des îlots de confusion et mettre en oeuvre une gestion collective. Concrètement, il est nécessaire d'identifier un noyau de deux ou trois viticulteurs pouvant constituer un îlot de 10 ha minimum. La technique de confusion est ensuite présentée à l'ensemble des viticulteurs riverains de l'îlot afin que celui-ci s'agrandisse au maximum des limites topographiques, garantissant ainsi l'optimisation de l'efficacité.

Un contrôle constant de l'efficacité

L'efficacité doit être constamment contrôlée. En effet, si la confusion sexuelle permet d'éviter la majeure partie des accouplements, elle ne les empêche pas totalement. Il existe donc une population résiduelle qui ne peut être totalement perturbée (Schmitz et al., 1995). L'efficacité de la technique reste néanmoins similaire à celle d'une stratégie insecticide (Stockel et al., 1994). Il faut souligner que différents travaux ont montré que les insecticides n'assurent jamais une élimination totale des vers de la grappe (Fermaud et al., 1993 ; Civolani et al., 2014 ; Thiéry, 2005). C'est d'ailleurs ce constat qui avait motivé les viticulteurs à mettre en place la confusion sexuelle dans des secteurs à forte pression dès la fin des années 1990. En effet, l'efficacité des insecticides réside dans le choix (ovocide et/ou larvicide) et la justesse du positionnement : équation difficile à mettre en oeuvre tant en raison du développement très variable du ravageur que des fenêtres de traitement possibles.

Organisation de l'animation technique

La réelle protection des raisins contre les dégâts des vers de la grappe n'est effective que si le nombre de larves résiduelles induit des dégâts acceptables (le degré d'acceptabilité étant variable selon la pression parasitaire annuelle et la qualité de vendange souhaitée). L'animation technique collective inclut donc :

- l'organisation de l'îlot ;

- le choix des diffuseurs selon ses caractéristiques (topographie, vent, historique parasitaire, etc.) ;

- la gestion des plans de pose et chantiers de pose ;

- le suivi des courbes de vol ;

- l'observation formalisée de la présence ou de l'absence de dégâts (oeufs, glomérules, perforations) ;

- la formalisation de ces observations pour une prise en compte objective dans les décisions d'intervention.

Ces observations rigoureuses garantissent la pérennité de cette technique de biocontrôle dont la spécificité réside dans la gestion des équilibres biologiques des ravageurs plutôt que leur éradication.

D'excellents résultats sur domaines isolés

Des tentatives de traitement de fortes populations de vers de grappe ont été réalisées avec d'excellents résultats, ponctuellement et en cours de saison, sur des domaines viticoles non gérés sous confusion sexuelle. Ces essais ont montré (D. Thiéry & O. Boissière, données non publiées) qu'il était possible de bloquer les accouplements très localement avec de très fortes quantités de diffuseurs placés simultanément.

Influence sur la biodiversité et la faune auxiliaire

L'étude de l'influence de la technique sur la biodiversité et la faune auxiliaire, assez peu développée, mériterait d'être intensifiée, en particulier avec l'augmentation des surfaces sous confusion. Les quelques études qui existent sur la cicadelle verte (Delbac et al., 1996a) ou sur les acariens foliaires de la vigne (Delbac et al., 1996b, 2013) n'ont montré aucune incidence négative de la confusion sexuelle. Sous confusion, les populations résiduelles de tordeuses sont normalement maîtrisées par la faune auxiliaire, notamment par les différents hyménoptères parasitoïdes (Stockel et al., 1997).

Exemple de réduction d'usage d'insecticides

Alors que les traitements insecticides agissent sur les populations en place, la confusion sexuelle est une méthode préventive : le positionnement des diffuseurs a lieu avant le début du vol de la première génération des papillons.

En comparant les itinéraires techniques de plusieurs vignobles, situés dans le secteur de Pomerol (ouest du Libournais, vignoble de Bordeaux), comparables dans leurs organisations et dont l'un a mis en place la confusion sexuelle depuis 2011, la diminution du recours aux insecticides est flagrante (Figure 3). De plus, elle concerne aussi bien les insecticides ayant pour cible les vers de la grappe que ceux ayant pour cible la cicadelle des grillures. En effet, la mise en place de la confusion est compatible avec la lutte biologique, comme par exemple l'emploi de toxines de Bacillus thuringiensis (ex. : subsp. kurstaki [substance active contenue dans un produit homologué contre les vers de la grappe, inscrit au guide des intrants de l'agriculture biologique]) ou l'argile pour lutter contre la cicadelle des grillures.

Différents systèmes de diffusion

Diffusion contrôlée ou non

Pour la diffusion de la phéromone dans les parcelles, il existe différentes méthodologies autorisées en viticulture. Ces systèmes sont passifs ou actifs, selon que la diffusion de la phéromone soit contrôlée ou non. Tous ces systèmes ont été testés à large échelle et durant plusieurs années et ont démontré pour certains leur efficacité en expérimentation (Stockel et al., 1994 ; Ioriatti & Lucchi, 2011 ; Gordon et al., 200). Les phéromones utilisées en vigne sont produites par Shin Etzu (Japon), Sutera (États-Unis) ou plus récemment par M2i (France).

Systèmes à diffusion passive

Ce sont les systèmes les plus connus et les plus usités en viticulture. La phéromone est insérée dans une enveloppe poreuse permettant la diffusion régulière et sur toute la saison de végétation de la vigne. Les plus utilisés sont les diffuseurs de type ampoule - RAK, depuis 1995 - ou tubulaire - Isonet, depuis 2011 - et peuvent contenir la phéromone d'une espèce ou de plusieurs (eudémis et/ou cochylis et/ou eulia). D'autres diffuseurs à ampoule sont homologués - Cidetrak-EGVM, depuis 2014 - et Lobetec, depuis 2017, mais moins utilisés en pratique que les précédents. La dose homologuée est de 500 diffuseurs/ha.

Systèmes à pulvérisation

Ces systèmes marquent une évolution technologique majeure dans la confusion sexuelle : la phéromone est diffusée à intervalles réguliers sur une période déterminée. Ces diffuseurs sont des récipients sous pression (aérosols) qui émettent la phéromone grâce à un programmateur. La diffusion est réalisée en principe de la fin de l'après-midi en milieu de nuit, soit durant la période de vol des papillons de ces tordeuses crépusculaires et nocturnes. Le nombre de diffuseurs est plus limité en densité (2,5 à 4 par ha), diminuant ainsi le temps de pose mais cela nécessite une étude approfondie car la mise en place doit tenir compte de l'exposition, de la pente et des vents dominants. Ce système a été homologué récemment en 2016 (Checkmate Puffer LB) et commence à se développer dans le vignoble français.

Mesure de la concentration dans la parcelle

Mesurer la concentration en phéromone à l'air libre n'est pas chose aisée. C'est actuellement un des points sur lequel des progrès sont attendus pour espérer faire progresser l'efficacité. Ces techniques sont pourtant indispensables pour éviter ce qu'on appelle les zones « blanches » (ou sans phéromone). Les papillons peuvent s'accoupler dans ces zones et les femelles se déplacer vers les zones saturées en phéromones de synthèse où elles peuvent pondre. Pour cela, on peut :

- prélever des volumes d'air à l'endroit désiré et analyser cet air par des techniques physicochimiques (chromatographie gazeuse/spectrométrie de masse ; capteurs physiques de molécules volatiles) ;

- effectuer des mesures d'activité biologique (mesure du comportement des insectes liés à cette phéromone) ;

- faire des mesures physiologiques basées sur l'activité des récepteurs olfactifs situés sur les antennes.

Ces techniques sont chronophages et coûteuses. Des projets de recherches, dont un conduit entre Inrae-IMS et ISM université de Bordeaux (Phérosense, 2019-2020), visent à mettre au point des capteurs physicochimiques qui pourraient résoudre ce challenge de la mesure de concentration « multipoint » sur une parcelle agricole (Thiéry et al., 2019).

Une alternative à large échelle

La confusion sexuelle contre les vers de la grappe est une méthode en pleine expansion en France, plus de 10 % du vignoble étant ainsi traité contre ces ravageurs. Elle est actuellement la seule méthode alternative aux traitements insecticides réellement pratiquée à large échelle. De nombreux progrès sont réalisés, tant dans la mise au point de nouveaux systèmes de diffusion que dans l'accompagnement des utilisateurs. Des projets de recherches sont lancés pour progresser sur la mesure de la concentration en phéromones dans l'air environnant de la parcelle. Ils devraient permettre d'alimenter la construction de modèle mathématique de diffusion de la phéromone, et ainsi de progresser dans le pilotage de cette technique et le développement de systèmes de diffusion plus performants.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Le challenge majeur de la viticulture est la réduction de l'usage des produits insecticides et fongicides. La confusion sexuelle offre une alternative. Elle consiste à diffuser une grande quantité de la phéromone sexuelle de synthèse (phéromones sexuelles = médiateurs chimiques plus ou moins volatiles assurant la rencontre des sexes) dans l'air ambiant dans lequel vivent les papillons. Les papillons adultes vivent une dizaine de jours, et la phéromone est diffusée de fin mars à la vendange, couvrant ainsi les générations successives des papillons. Différents systèmes commercialisés permettent cette diffusion. Le papillon mâle n'est alors plus capable de retrouver sa partenaire du fait de la saturation de ses capteurs portés par les antennes.

ÉTAT DES LIEUX - Cette technique permet de contrôler les insectes ravageurs majeurs que sont les vers de la grappe (eudémis et cochylis de la vigne). Elle est maintenant utilisée en France sur plus de 10 % des surfaces viticoles françaises (soit un peu plus de 80 000 ha), limitant ainsi les traitements insecticides. Elle nécessite toutefois des mesures de gestion collective.

MOTS-CLÉS - Confusion sexuelle, phéromones, tordeuses, vers de la grappe, eudémis (Lobesia botrana), cochylis (Eupoecilia ambiguella).

1 - Historique de la confusion sexuelle

Les années 1970 sont marquées par une très forte activité scientifique sur l'identification de nombreuses phéromones sexuelles de papillons. Cela est rendu possible par les progrès de la chimie analytique, ainsi que par l'identification des premières phéromones d'insectes en 1958 (reine d'abeille domestique) et 1959 (phéromone sexuelle du vers à soie). La phéromone sexuelle d'eudémis est ainsi identifiée en 1973 (Roeloffs et al., 1973).

Une première application à large échelle de la confusion sexuelle est réalisée avec succès par les Australiens contre la tordeuse orientale du pêcher, espèce très proche de nos tordeuses de la grappe (Kennedy, 1975). Cette technique de confusion sexuelle avait été envisagée dix ans plus tôt dans deux articles pionniers dans les revues Nature et Science (Wright, 1964 a & b).

Elle est ainsi proposée comme méthode de contrôle des tordeuses, ces papillons nocturnes attaquant les productions fruitières en agriculture. En Europe, un consortium (France-Italie-Allemagne-Suisse) lance vingt années de recherches qui aboutissent en 1995 à l'homologation de la technique de la confusion sexuelle contre les tordeuses de la grappe ; BASF et Shin Edzu produisant dès cette période les diffuseurs Rak et Isonet.

2 - Lutte collective à Pauillac Sud

En 2013, le secteur de Pauillac Sud (Médoc, vignoble de Bordeaux), protégé par la technique de confusion sexuelle, se compose de trois îlots indépendants imbriqués dans un ensemble de parcelles très morcelées et non protégées par confusion sexuelle. Les observations de 2013 ayant clairement établi un décrochage de l'efficacité de la confusion dans cette zone morcelée, les viticulteurs ont réussi à mettre en place une lutte collective. Ce parcellaire ainsi regroupé a permis d'observer l'efficacité de la confusion en 2016 (année à pression en vers de la grappe identique à 2013) (Figure 2).

L'efficacité de la gestion collective de la lutte par confusion sexuelle avait déjà été démontrée dans les vignobles du lac Léman (Suisse) et dans des régions viticoles comme la Champagne (voir témoignage p. 52). À titre d'exemple, des vignobles comme Fronton (proche de Toulouse) ou les producteurs de Plaimont (Gers) gèrent ainsi collectivement la confusion sexuelle.

3 - Un exemple de conseil : le service Raiso'AOC du Groupe Isidore

De nombreuses structures de conseil assistent la protection du vignoble et en partie la confusion sexuelle, soit à l'échelle d'appellations ou de régions viticoles, soit via des structures de conseil privées.

Le Groupe Isidore accompagne les viticulteurs depuis pratiquement l'homologation des premiers diffuseurs en 1995. Le protocole a toujours inclus des observations. À partir de 2010, un protocole d'observation hebdomadaire renforcé a été mis en place pour limiter au strict nécessaire les éventuels traitements de soutien. Les années de très forte pression de vers de la grappe, les viticulteurs avaient en effet tendance à systématiser un, voire deux traitements de soutien à la confusion.

La densité de ces observations a également permis, au fil des ans, de constituer une base de données complète et pluriannuelle qui permet au Groupe de mener des travaux de recherche (nouveaux modes de diffusion, optimisation des itinéraires techniques, compréhension des facteurs de pression, etc.).

Quelques chiffres clés 2019 : 8 200 ha de vigne sous confusion sexuelle, représentant 558 exploitations viticoles (280 en Gironde, 150 en Sancerre, 89 en Charentes, 39 en Dordogne). Huit cent quatre-vingt-seize parcelles de vigne sont observées par génération des ravageurs (deux ou trois générations dans l'année) par 40 techniciens observateurs. Jusqu'à 70 % de réduction de l'IFT insecticide a pu être réalisée dans quelques domaines viticoles bordelais très engagés dans la confusion.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : denis.thiery@inra.fr ; lionel.delbac@inra.fr ; raisonnance@groupeisidore.fr

LIENS UTILES : Plus d'informations sur les bioagresseurs de la vigne : https://www6.bordeaux-aquitaine.inra.fr/sante-agroecologie-vignoble/ et UMT Seven : https://www6.inra.fr/umt-seven/

BIBLIOGRAPHIE : - Delbac L., Fos A., Lecharpentier P., Stockel J. (1996a), Confusion sexuelle contre l'eudémis : Impact sur la cicadelle verte dans le vignoble bordelais, Phytoma - La Défense des végétaux, 488, 36-39.

- Delbac L., Lecharpentier P., Fos A., Stockel J. (1996b), Confusion sexuelle contre l'eudémis : vers un équilibre de l'acarofaune du vignoble, Phytoma - La Défense des végétaux 484, 43-47.

- Delbac L., Dupont M., Moreau P., Thiéry D. (2013), Surveying the leaf arthropod community in Médoc vineyards under mating disruption against the European grapevine moth. IOBC/WPRS Bulletin, 85, 223-229.

- Delbac L., Thiéry D. (2016), Grape flowers and berries damages by Lobesia botrana larvae (Denis & Schiffermüller) (Lepidoptera: Tortricidae) and relation to larval age, Australian Journal of grape and wine research. 22, 256-261. doi: 10.1111/ajgw.12204.

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Thiéry D. (2005), Les vers de la grappe, les connaître pour s'en protéger, Guides techniques, Vignes et vins international publications, Bordeaux, France (book) DOI: 10.13140/2.1.4772.8964.

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