Les grands vins ont connu le vent de la reprise avant les autres. Pour eux, les prochaines années s'annoncent favorables car les amateurs des millésimes qui entourent l'an 2000 ne manquent pas.
Si tous les vins font l'objet d'une forte demande, elle est apparue plus tôt et se ressent plus nettement pour les appellations les plus prestigieuses et les crus, qu'ils soient grands, premiers ou classés. Dans ces hautes sphères, il n'y a pas de différence entre blancs et rouges. Le négoce bourguignon s'est précipité sur le chablis grand cru, le montrachet et le meursault alors que des chablis et des mâcon blancs trouvent difficilement preneur. Les appellations prestigieuses ne sont pas du domaine du quotidien. Elles n'accompagnent que des moments exceptionnels. Leur effet sur la santé devient parfaitement secondaire alors qu'il est l'une des causes principales de la forte demande en vins rouges. Ceci supprime la différence de traitement entre les deux couleurs.La bonne santé des économies occidentales est la principale raison de cet engouement. ' En 1994 et 1995, lorsqu'on nous rabattait les oreilles avec le trou de la sécurité sociale et le chômage, il y avait plus de disponibilités qu'à l'heure actuelle ', reconnaît Gilles Barge, le président de l'appellation Côte rôtie où l'on trouve très difficilement du vin si l'on n'est pas un client habituel. Ce cru, moins médiatisé que ceux de Bordeaux ou de Bourgogne, connaît aussi des hausses plus réservées.En Bourgogne, les négociants auraient versé 30 à 40 % de plus que l'an passé pour les appellations communales et les crus.A Bordeaux, où l'on tablait au départ sur une stabilité des prix, les propriétaires des grands châteaux ont mis en vente en primeur le millésime 97, 10 à 20 % plus cher que le précédent. Pourtant, il est loin d'avoir aussi bonne presse. Cela n'a pas empêché le négoce de tout acheter après avoir exposé la situation à ses clients qui l'ont acceptée. Le millésime 96 avait lui-même déjà été réévalué par rapport au précédent, d'un montant qu'il est difficile de chiffrer car les hausses se sont accélérées au cours de la campagne de vente en primeur pour s'achever par le doublement de certains tarifs. Depuis, ce millésime a encore vu sa valeur grimper. ' Il a pris 25 à 30 % dans certains cas, par rapport aux prix où il est sorti ', évalue un courtier bordelais.Le plus surprenant, c'est que ces chiffres n'effraient personne. Ce sont ' des rattrapages ' ou ' des réajustements pour coller au marché '. Nous sommes pourtant dans une économie presque sans inflation. A croire que les grands vins n'ont rien à voir avec la règle commune. ' Les perspectives économiques restent très bonnes, note un négociant bourguignon. Et les gens voudront mettre de côté les millésimes qui entourent l'an 2000. C'est une occasion unique. Or, cela n'a de sens que pour les vins qui ont un fort potentiel de garde. 'Au-delà de cet engouement de circonstance, il semble bien y avoir pénurie de grands vins. Il faudrait rechercher de nouveaux terroirs pour en produire davantage, faute de quoi d'autres que nous se chargeront de le faire. Pénurie, certains seront choqués par ce terme que l'on réserve habituellement aux produits de base. Il règne pourtant une sorte de peur de manquer de marchandise caractéristique de ces situations là. Si l'enrichissement mondial et l'ouverture du monde asiatique au vin devaient se poursuivre, il y aura toujours plus d'amateurs fortunés à la recherche de bouteilles prestigieuses. Les nouveaux pays viticoles en font le pari à l'image des Américains qui sortent de leur chapeau des estate (des domaines) dont année après année, ils assoient la réputation. Quant à la France, elle en reste aux références établies depuis des siècles.