En novembre, chaque vigneron est amené à souscrire une déclaration de récolte. Il convient d'être précis car la moindre inexactitude, voulue ou pas, risque d'entraîner des poursuites pénales. Dans un arrêt du 29 janvier dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé en l'espèce la lourde condamnation d'un vigneron fautif.
La société X est domiciliée dans un grand vignoble français d'appellation d'origine contrôlée. Issue de capitaux étrangers à l'agriculture, elle couvre 40 ha. Cette entreprise ne connaît pas de difficultés à la commercialisation, notamment à l'exportation. On s'emploie, avec tous les moyens d'une viticulture de pointe, à obtenir un rendement optimum. Or, le barrage du décret d'appellation ne pouvait être ignoré : la production ne pouvait excéder 50 hl/ha. Vendanges et vinification achevées, cette année-là, on parvenait à 3 000 hl, autrement dit 1 000 hl de trop! A la suite d'une ' conférence ' entre le président de la société et ses cadres techniciens, une ' solution ' était trouvée : le mois de novembre était là avec son obligation de déclaration de récolte, on ne porterait comme récolte que la quantité réglementaire et on occulterait le surplus. Il n'y aurait alors qu'à trouver quelques moyens appropriés au moment de la commercialisation... En langage clair : la fraude. Est-ce au cours d'une visite de routine ou parce quelqu'un avait parlé, en février de l'année suivante, les contrôleurs des services fiscaux décèlent dans les chais une quantité supérieure à la récolte déclarée et il y avait justement cet excédent de 1 000 hl.Pour éviter la poursuite, il faut soutenir la ' bonne foi '. La société expédie donc à la distillerie les 1 000 hl supplémentaires, comme elle aurait dû le faire au moment de la déclaration de récolte. Malgré ce ' sacrifice ', les poursuites sont engagées devant la juridiction pénale. Les motifs : déclaration inexacte de produits d'appellation d'origine contrôlée en infraction aux dispositions des articles 11 et 22 de la loi du 6 mai 1919 et fausse déclaration de récolte en infraction aux dispositions des articles 407-1791 et 1794 du code général des impôts. Telle était la saisie du tribunal et telle sera la motivation du jugement qui va condamner la société, en la personne de son représentant légal, à une pénalité égale à la valeur de la marchandise fraudée, c'est-à-dire le prix marchand des 1 000 hl dissimulés.Pourtant, deux questions juridiques avaient été soulevées et le seront devant la Cour de cassation. Premièrement, les décrets des 19 octobre 1974 et 10 septembre 1993 permettent une régularisation en cas d'infraction telle que celle reprochée et la société X fait valoir qu'elle a expédié à la distillerie la quantité litigieuse. Elle revendique donc le bénéfice de la régularisation. Il lui sera répondu qu'elle a fait distiller après le constat d'infraction alors qu'elle aurait dû s'engager à le faire lors de la déclaration régulière. D'autant que l'on note, à travers la saisie de documents internes à l'exploitation, que la société gère avec précision ses excédents...Deuxièmement, la société conteste le montant de la pénalité infligée et la discussion porte sur l'interprétation des articles 1791 et 1794 du code général des impôts. Au terme du premier, les informations en matière de contribution indirecte sont punies, en plus de l'amende pénale, d'une pénalité dont le montant est compris entre une et trois fois le montant des droits aux taxes fraudées. Au terme du second, en cas d'infraction en matière de déclaration de récolte, la pénalité est comprise entre une et trois fois la valeur des produits sur laquelle porte la fraude. Toutefois, le même texte précise que si l'infraction résulte d'un excès ou d'une insuffisance de quantités déclarées, seule la valeur des boissons représentant cette omission sert de base au calcul de la pénalité. Alors la question porte sur la valeur des 1 000 hl occultés : valeur réelle qui est celle du prix résultant de la distillation ou valeur de cette même quantité en tant que vin d'appellation d'origine contrôlée, c'est-à-dire au moment de la constatation de l'infraction indépendamment des quantités livrées ultérieurement à la transformation. La cour suprême répondra qu'à bon droit, la cour d'appel a jugé que c'est la seconde solution qui doit être retenue. C'est donc à juste titre que la société est condamnée à la confiscation ou au paiement à titre de pénalités des 1 000 hl évalués à leur valeur marchande au jour de la constitution de l'infraction.