Condamné à exporter pour bien vivre, le petit vignoble libanais (environ 1 000 ha de raisin de cuve pour une production de 30 000 hl de vin) s'en sort plutôt bien tant il a progressé techniquement. Quelques caves leaders ont acquis une vraie notoriété.
L'histoire récente du vin au Liban a commencé en 1857. Des pères jésuites venaient d'acquérir, au coeur de la plaine de la Békaa, un petit domaine viticole, la cave de Ksara. Ils y importèrent par la suite des cépages nobles. Dès le début du siècle, ce domaine devint presque fortuitement la plus grande cave du Proche-Orient, le cheick de la région ayant offert, à la suite de l'assassinat de deux pères, 200 ha de terre aux jésuites.Il est vrai que la plaine de la Békaa est propice à l'agriculture en général et à la viticulture en particulier. Son sol, argilo-calcaire et graveleux, et son climat, étés longs et hivers pluvieux, sont favorables à la vigne. L'absence de pluie pendant presque toute la période végétative, limite aussi les risques de maladie. Les traitements phytosanitaires sont très réduits : oïdium et vers de la grappe essentiellement. ' En préventif pour l'essentiel ', considère Paulette Chlela, chef de culture aux caves de Ksara. ' Les années sans vers de la grappe, on ne traite pas du tout ', ne cache pas Tarek Saker, oenologue au domaine du château Musar.Le seul danger pour le raisin est l'excès de chaleur, parfois + 40°C à l'ombre. Mais l'altitude de la plaine, entre 800 et 1 100 m, apporte aux plants une fraîcheur nocturne bienfaisante qui explique en partie qu'aucun domaine libanais n'ait recours à l'irrigation. ' Un labourage en profondeur pour que le sol se charge convenablement en eau, aide la vigne à supporter les trois ou quatre mois sans pluie précédant les vendanges ', ajoute Michel de Bustros, le patron des coteaux de Krefraya.Les conditions globalement favorables à la viticulture n'ont toutefois pas entraîné la dynamique à laquelle on pouvait s'attendre. En effet, d'après le ministère de l'Agriculture libanais, le pays ne compte qu'une dizaine de caves : Ksara, Kefraya, Musard, Nakad, Bakhas, Solifed, Fakra, Le Brun, Kortbayi et, tout récemment, Massaya. Les trois premières totalisent 90 % de la production et de la commercialisation de vin du pays. Les domaines de Krefraya et de Ksara vinifient chacun le raisin d'environ 300 ha de vignes, celui de Musar 130 ha. Le nombre d'exploitants viticulteurs est également restreint car ces grandes caves détiennent l'essentiel des vignes (en totalité pour Kefraya).Un marché intérieur restreint explique en partie le faible développement de cette viticulture. Les Libanais, peu consommateurs d'alcool, boivent traditionnellement de l'arack, un alcool de raisin où ont macérées des graines d'anis verts. Aussi, les dix-sept années de guerre, qui ont pris fin en 1994, ont largement gelé les investissements. Enfin, les compétences en oenologie étaient jusqu'à nos jours trop peu nombreuses.Mais cette situation évolue. La consommation a légèrement crû, ' près de trois millions de bouteilles par an ', estime Charles Ghostine, le directeur général des caves de Ksara. Pour mieux répondre aux désirs des nouveaux consommateurs, les proportions entre les couleurs de vins ont changé : ' Le marché intérieur est actuellement réparti équitablement entre le rouge, le blanc et le rosé, alors qu'à la fin des années quatre-vingt, on trouvait surtout du rouge et du rosé ', précise Paulette Chlela. Cela étant, le développement de la viticulture libanaise ne se fera que grâce à l'exportation. Car ' le marché intérieur est proche de la saturation ', clament en coeur tous les responsables de caves du pays. Ksara et Kefraya exportent déjà environ le tiers de leur production et Musar 90 %.Une ambition que partage la jeune cave Massaya qui est associée à des co-propriétaires de châteaux français, dans le Bordelais et le Vaucluse. Sami Ghosn, son patron, prévoit de créer des vins très typés. Grâce à sa production d'arack démarrée en 1993, il bénéficie d'un réseau commercial développé et d'une expérience marketing qui a fait ses preuves (packaging sophistiqué).Il semblerait que d'autres projets de ce type soient en cours. ' Trois ou quatre caves sont en construction, sans compter que les petites caves, en perte de vitesse pendant la guerre, pourraient repartir ', ajoute ce dernier. Les autorités le croient également. ' Le ministère a distribué à des petits vignerons 10 000 plants de vigne l'an passé et 20 000 cette année ', annonce Samir Hechami, du ministère de l'Agriculture. L'objectif est aussi de réduire la surproduction de raisin de table. Les surfaces consacrées à ces vignobles dépasseraient d'environ trois fois celles de raisin de cuve.Pour leur part, les grandes caves se sont organisées en association, l'Union vinicole libanaise (UVL), pour défendre leur savoir-faire auprès de l'Etat libanais et des institutions vinicoles internationales. ' Grâce à l'UVL, le Liban a intégré l'Office international de la vigne et du vin (OIV) en 1996. Localement, notre association a redonné un cadre législatif en parfait accord avec les normes internationales, les textes de loi régissant la viticulture ayant été fortuitement abrogés pendant la guerre ', explique Charles Ghostine.Mais le plus grand atout de la viticulture libanaise est certainement lié à la reconnaissance dont les trois premières caves bénéficient déjà à l'étranger. En effet, les caves de Ksara, le château Musar (créé en 1930) et le domaine de Kefraya (création de la cave en 1979) ont déjà glané de nombreuses distinctions et acquis une reconnaissance significative internationale. Ils disposent de tous les atouts pour réussir : des hommes expérimentés, des outils des plus modernes pour le travail de la vigne et pour la transformation du raisin et un large choix de cépages : chardonnay, sauvignon, sémillon, tempranillo, merlot, petit verdot, obaideh.Rien d'étonnant à ce que la gamme des vins élaborés dans ces trois caves soit particulièrement étendue. Ces domaines proposent des blancs secs avec, par exemple, le chardonnay de Ksara, au vin plus doux comme le très original Lacrima d'Oro de Kefraya. Pour les rouges et les rosés, l'offre est tout aussi abondante. Le domaine de Kefraya a même lancé son vin nouveau, dont l'étiquette, qui change chaque année, reprend un tableau peint par une artiste libanaise.Les vins des domaines Ksara et Kefraya devraient encore progresser. Le gobelet est remplacé par du palissage. Actuellement, les deux tiers du domaine de Ksara sont en cépages nobles. Ces deux propriétés ont par ailleurs engagé des oenologues français. Tous ces efforts ont positionné ces vins à des prix compris entre 25 et 65 F sur le marché.Bien que le château Musar soit largement pourvu en cépages nobles, Serge Hochar reste attaché aux cépages locaux, notamment pour les blancs : obaideh (' chardonnay local ') et merwah (' sémillon '). ' Nous nous sommes toujours efforcés d'élaborer des vins ayant une forte identité. Pour cela, nous ne comptons dans notre équipe que des Libanais. ' Cette démarche initiée en 1965 a désormais fait ses preuves puisque 90 % de la production sont exportés. ' Notre fourchette de prix par bouteille est comprise entre 60 et 600 F ', se réjouit-il. Il vient de signer un accord avec une grande enseigne de distribution française.