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Attente sereine de l'an 2000 en Champagne

La vigne - n°95 - janvier 1999 - page 0

Pour les Champenois, l'an 2000 c'est presque du passé, les bouteilles étant prêtes depuis quelques temps. La région prépare donc les lendemains de fêtes en axant ses efforts sur l'amont. La valeur ajoutée ne se fera plus sur les volumes mais sur les prix, ce qui suppose une qualité adaptée.

Il flotte comme un petit air de changement en Champagne. Changement de millénaire, bien sûr, avec son flot de célébrations et de fêtes. Changement dans la (récente) sagesse collective de limiter la hausse des prix pour fidéliser ses clients. Enfin, changement perceptible dans la façon d'appréhender le métier de vigneron, avec une meilleure prise en compte de l'environnement (Viti 2000, etc.) et une volonté de maîtriser les rendements : 10 400 kg/ha maximum (soit 65 hl/ha), la moyenne décennale s'élevant à 9 900 kg/ha (62 hl/ha). Car après les montagnes russes de la décennie 90, le vignoble champenois aborde une nouvelle ligne droite, avec un enjeu délicat : faire de la valeur ajoutée sur les prix et non plus sur les volumes. De ce constat naissent plusieurs exigences difficiles à mettre en place collectivement. ' Il nous faut retourner vers l'amont pour améliorer l'expression du terroir, avance Jérôme Prévost, président du Groupe des jeunes viticulteurs (GJV). Ensuite, la vente se fera de façon naturelle car les champagnes présenteront une véritable typicité. ' En 1996, le GJV proposait quelques pistes pour établir un comportement qualitatif : meilleure conduite de la vigne (lutte raisonnée) afin de réduire les traitements phytosanitaires, maîtrise du potentiel agronomique pour éviter les rendements supérieurs à l'appellation, meilleure combinaison entre porte-greffes, cépage et terroir, et vinification favorisant l'expression des terroirs (micro-vinification, travail à la parcelle).Parmi ces mesures, certaines ont été validées par le Syndicat général des vignerons de champagne (SGV) en 1998... non sans divergences de point de vue! ' Nous passons parfois pour des masochistes à s'imposer de plus grandes contraintes - en temps de travail comme en coûts - pour un prix du raisin égal, poursuit Jérôme Prévost. Pourtant, il nous semble évident que les trente glorieuses sont derrière nous et que les exigences du consommateur sur le respect de l'environnement et la salubrité des produits alimentaires sont des données incontournables. ' La proposition de valoriser le prix du raisin pour les vignerons appliquant ce comportement n'a pas été adoptée, ' jugée prématurée par le syndicat '. Pour l'instant, les actions se limitent à une campagne d'information auprès des déclarants de récolte et par des formations ciblées.Le changement devrait se faire en douceur, car ' il est difficile de transformer les mentalités pour que chacun comprenne que la croissance est limitée ', estime André Enders, directeur du CIVC (Comité interprofessionnel des vins de Champagne).Parmi les changements déjà opérés, on peut noter la très prochaine modification du décret de l'appellation, incluant l'interdiction d'épandre des composts urbains. L'usage d'herbicides à base de simazine et de diuron est également ' fortement déconseillé ' à partir de cet hiver, à la suite de la découverte de ces matières actives dans le captage de Trigny (Marne)... ' Cette mésaventure crédibilise l'intérêt de la lutte raisonnée, voire de la culture biologique ou biodynamique, qui commence à poindre dans la région ', témoigne un vigneron. Pour preuve, le CIVC débute un programme d'essais comparatifs entre la culture raisonnée et la biodynamie dans l'Aube.Sur le plan économique, les négociants et les vignerons s'attachent à calmer le jeu sur l'inflation que pourrait engendrer le passage à l'an 2000. ' Nous avons mené une réflexion pour éviter les excès de prix qui pénalisent une fois les lampions éteints ', explique Pierre Cheval, vice-président du syndicat. L'anticipation des événements s'est traduite par la fixation du prix du raisin pour cinq ans (1996-2000) et par le blocage d'une partie des vendanges en 1992, 1993, 1994 et 1998. Une partie de ces vins a été débloquée (l'équivalent de 36 millions de bouteilles) lors du printemps 1998 pour pouvoir répondre à la forte demande. Un autre déblocage a débuté en janvier 1999, correspondant à un montant de 72 M de bouteilles. Ces vins ne pourront pas être consommés le 31 décembre 1999 (quinze mois de vieillissement minimum), mais permettront aux vendeurs d'être plus larges dans leurs ventes, sachant que leurs stocks seront reconstitués.' C'est vrai que nous sommes un peu sur un petit nuage, analyse Jérôme Prévost. Mais, contrairement à 1990 où la majorité des intervenants pensait que rien ne pourrait leur arriver, nous avons bien en tête que l'après-an 2000 sera un moment délicat à négocier. L'atmosphère est plus saine. '' Nous sommes assez chanceux car nous avons bénéficié de récoltes qualitativement supérieures à la moyenne ces dernières années, poursuit André Enders. De plus, avec des stocks plus importants dus à la crise, les vins sont meilleurs. Toutes les conditions sont donc réunies pour ne pas décevoir les amateurs de champagne, qui constituent notre fonds de commerce. Les dérapages devraient rester marginaux et limités en volumes. 'Au CIVC, on ne craint pas trop la flambée des prix en grande distribution.' Les GMS (grandes et moyennes surfaces) vont probablement faire leur marge sur l'augmentation des volumes plus que sur les prix, pronostique André Enders. Pour les cavistes et les restaurateurs proposant une gamme régulière de champagnes, les tarifs ne devraient pas trop progresser car leurs clients sont bien informés des prix. ' Reste à savoir comment se comporteront les restaurateurs proposant du champagne uniquement pour cette occasion. Chez les négociants, les prix des marques augmenteront globalement de 5 à 10 % sur deux ans (1998 et 1999). Les vignerons devraient faire varier leurs prix de 2 à 5 % (en deux ans), certains les laissant au même niveau.Les champions de la hausse sont en toute logique les premiers prix, dont les montants actuels descendent rarement en dessous de 65 F TTC, contre 50 F il y a encore dix-huit mois. Ce réajustement à un prix supérieur au coût de revient était souhaité par l'ensemble de la profession... mais il engendre des commentaires alarmistes, voire vengeurs, de certains distributeurs : ' On leur fera payer après l'an 2000 ', n'hésite pas à dire un chef de rayon du Nord, tempéré par un collègue qui admet ' qu'en grande distribution, on est rarement confronté à un rapport de force défavorable, même ponctuel... 'Ce schéma semble toutefois satisfaire les opérateurs locaux. Les négociants retrouvent des marges et les vignerons sont moins concurrencés par des bouteilles nettement plus compétitives que les leurs. Le prix de vente moyen à la propriété s'élevait à 68-70 F TTC pour l'année 1998.André Enders note par ailleurs un changement dans les rapports entre les vignerons et le négoce. ' Nous sommes passés d'une logique de confrontation à un partenariat depuis quelques années. Les viticulteurs ont compris que leur situation financière était meilleure avec un négoce prospère et les négociants ont intégré leurs intérêts à dialoguer avec le vignoble, détenteur des vignes. ' La concentration du négoce, renforcée en 1998, n'inquiète pas outre mesure les vignerons. ' La faible rentabilité de l'activité du champagne (2 %) nous protège des financiers qui voudraient faire un ?coup?, analyse Pierre Cheval. Ici, l'investissement se fait sur le long terme. ' La part du marché de la vente directe, réalisée par les viticulteurs, est comprise entre 22 et 25 %. En incluant les caves coopératives, la part du vignoble frôle les 30 % des ventes.L'après-an 2000 laisse André Enders serein : ' Plusieurs facteurs poussent à l'optimisme. La consommation de vins de qualité a de l'avenir car les consommateurs boivent moins, mais mieux. De plus, le marché mondial présente encore de grandes potentialités avec les pays scandinaves et de l'Est, ou encore un pays comme l'Inde où 50 millions de personnes disposent d'un fort pouvoir d'achat '. Sans compter les recrues du 31 décembre prochain... ' qui ne sont pas l'abri d'une récidive! ', pronostique un vigneron.

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