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La nature pas les vignes

La vigne - n°98 - avril 1999 - page 0

La remise en culture de coteaux livrés à la friche soulève des oppositions croissantes. Les vignerons qui entreprennent ce travail se heurtent aux défenseurs de la nature. Dans certains cas, l'intégration de terres AOC au sein de sites Natura 2000 accentue leurs difficultés jusqu'à rendre leurs projets impossibles.

Le syndicat des vignerons de Champagne a refusé que des sites Natura 2000 empiètent sur l'aire d'appellation. En décembre dernier, il a écrit aux cinq directeurs départementaux de l'agriculture concernés par l'affaire pour leur exposer ses motifs : ' Devant le risque de voir des procédures administratives porter atteinte à l'aire d'appellation Champagne, nous nous permettons de vous rappeler qu'elle a été déclarée d'intérêt public par arrêté du 11 avril 1980 (JO n° 26) et qu'elle constitue, en elle-même, une zone protégée ', ont-ils pu lire. Cette fermeté a porté ses fruits. Pour autant, la partie n'est pas terminée. Les territoires qui hébergent une flore ou une faune remarquables ne sont pas encore définitivement délimités.Le dossier Natura 2000 s'est ouvert en mai 1992. La Communauté européenne adoptait alors une directive (92/43) instaurant la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages. L'inventaire de ces habitats, dont certains bordent ou intègrent des vignes, est en cours d'achèvement. Les Directions régionales de l'environnement (Diren) ont adressé à leur ministère la liste et le plan des sites qu'elles proposent d'inscrire dans le programme Natura 2000. Dans les prochains mois, le gouvernement les transmettra à Bruxelles. C'est la Commission, en dernier ressort, qui tranchera. Elle a le pouvoir de demander que l'on étende les zones qu'elle juge trop petites. Pour cette raison, les Champenois restent sur leurs gardes.Ils refusent le classement de leurs terres car ils ne savent pas à quoi cela les engage. A chaque site Natura 2000 correspondra un ' document d'objectif ', sorte de code de mesures visant à assurer sa conservation et celle des espèces sauvages qu'il abrite. Qu'y trouvera-t-on concrètement? Personne n'en a une idée claire. Aucun de ces documents d'objectif n'a encore été rédigé. Interdiront-ils que l'on remette les terres en culture? C'est la crainte la plus sérieuse que l'on peut avoir.En Alsace, les événements les plus récents indiquent qu'elle est fondée. Cette année, le préfet du Haut-Rhin a refusé de signer des autorisations de transfert de droits de plantation pour une parcelle destinée à Natura 2000. Cette parcelle se trouve sur les collines calcaires des environs de Rouffach. Ces collines suscitent l'intérêt des naturalistes car elles abritent une flore exceptionnelle compte tenu de la latitude de la région. Un millier d'hectares devraient être inscrits dans la liste des sites européens. ' Il y a 10 ha concernés par Natura 2000 que l'on souhaite planter, explique Simone Kieffer, en charge du dossier au sein de l'Association des viticulteurs d'Alsace. Apparemment, il ne serait plus possible de le faire. Dans ce cas, il faut analyser la perte patrimoniale et l'indemniser. 'Le classement des collines de Rouffach ne fait qu'ajouter une nouvelle pièce à un dossier déjà chargé. Les Alsaciens ont de plus en plus de difficultés à remettre leurs friches en culture. ' Le moindre retournement de parcelle est une source d'achoppement, regrette Simone Kieffer. Il nous est reproché de détruire des espèces protégées ou de créer de l'érosion. 'Angevins et Champenois font l'objet d'une surveillance tout aussi attentive et soupçonneuse. Elle se manifeste lorsqu'ils veulent reprendre des coteaux, autrefois en vignes, mais abandonnés en raison du morcellement de la propriété ou de la raideur des pentes. Un vigneron de Beaulieu-sur-Layon (Maine-et-Loire) a ainsi vu un voisin lui reprocher d'avoir aggravé l'écoulement des eaux d'une parcelle dont il a redressé la pente. En fait, ce voisin n'appréciait pas la modification du paysage. L'affaire est en cours de règlement amiable. Après un an et demi de tractations, un autre vigneron, habitant la même commune, a fini par trouver un compromis avec les défenseurs de l'environnement qui s'opposaient au défrichement d'un coteau. Il s'est engagé à conserver les plus vieux arbres qui s'y trouvent.En Champagne, l'Association des propriétaires viticoles de Chartèves (Aisne) s'apprête à faire des concessions bien plus importantes. Pour retrouver le droit de planter un coteau de 35 ha sur lequel ont poussé des orchidées protégées, elle propose d'y créer une réserve naturelle volontaire. Les propriétaires alimenteraient cette réserve. Ils accepteraient de laisser une partie de leurs terres en l'état afin que les plantes rares continuent de s'y développer. Sur les parcelles reconquises, ils s'engagent à installer un réseau hydraulique exemplaire, à enherber, à ne pas traiter par hélicoptère et à pratiquer la lutte raisonnée.Ce compromis devrait être entériné prochainement. Il a fallu des années pour y parvenir. ' Il y a deux législations qui se superposent : celle sur les AOC et celle sur la protection des espèces menacées, regrette Guy Grongnet, le président de l'association. Au bout du compte, personne ne s'y retrouve. Même l'Administration a des difficultés. Il faudrait que le législateur se penche là dessus et tout remettre à plat. '' Il y a vingt ans, personne ne s'intéressait à ce que l'on faisait dans nos vignes, constate Gérard Boesch, le vigneron qui suit la mise en place de la zone de protection des collines de Rouffach. Aujourd'hui, nous sommes obligés de partager notre espace avec des gens qui viennent s'y promener ou s'y détendre. ' A ceux qui ne le savent pas ou qui s'en moquent, ces promeneurs rappellent que les travaux de terrassement nécessitent des autorisations, que le code forestier impose une taxe de défrichement et que des lois préservent les espèces menacées. Ce faisant, ils bloquent des vignerons dans leurs projets d'expansion.' Nous ne pouvons pas admettre que les meilleures terres à vignes soient sacrifiées sans aucune compensation, poursuit notre interlocuteur. Comme d'autres acteurs économiques, nous avons droit à la croissance. Nous faisons partie de l'économie d'un village, d'une région, d'un pays. Il nous est demandé de participer à l'effort fiscal et social de ce pays. Qu'en retour, on tienne compte de nos contraintes. '

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