Après la fusion Carrefour-Promodès, les centrales d'achats françaises se comptent sur les doigts d'une main. Les opportunités de référencement s'amenuisent et les négociations s'annoncent délicates.
Opéra. Lucie. Sous ces jolis noms se cachent des 'super centrales' d'achats de la distribution française. Leclerc et Super U avaient regroupé leurs achats en créant Lucie. Casino et Cora ont fait de même avec la mise en place d'Opéra en avril dernier. La vague des concentrations a pris un tour encore plus sérieux avec le rapprochement de Carrefour et de Promodès (Continent, Champion...) le 30 août 1999. Carrefour devient ainsi le deuxième groupe de distribution mondial.Le numéro un français détient maintenant 8 800 magasins dans vingt-six pays, pour un chiffre d'affaires de 355 milliards de francs hors taxes et 240 000 salariés. Désormais, les entreprises se retrouvent face à cinq interlocuteurs détenant plus de 90% du marché hexagonal. D'autres rapprochements sont à prévoir, Auchan, Casino et Cora étant un peu isolés...Face à cette concentration croissante, le sentiment d'inquiétude prédomine chez les fournisseurs. 'Les opérateurs vivent ces évolutions avec un double sentiment, estime Louis-Régis Affre, délégué général d'Entreprises de grands vins de France (fédération du négoce éleveur). Ils voient le pouvoir des distributeurs se renforcer mais ces concentrations permettent aussi d'accélérer la pénétration des marques françaises dans de nombreux pays.' Cet argument n'est cependant pas partagé par tous : 'Combien d'entreprises viticoles françaises peuvent se targuer d'avoir une marque internationale?, questionne le directeur d'un grand négoce national. On nous a souvent servi ce projet d'accompagnement de nos ventes dans les pays où nos enseignes françaises sont implantées : j'attends toujours les commandes... Ce raisonnement est probablement valable pour des marques connues comme Danone, mais certainement pas pour 80% des vins français!'L'annonce de la fusion entre Carrefour et Promodès a donc été vécue comme une mini-tornade à la veille des vendanges. Seul point positif avancé par tous : ce groupe reste français. Le spectre de Wal-Mart (numéro un mondial) dévorant Carrefour tient désormais du passé. Or, la filière viticole avait plus à perdre dans ce cas de figure.Néanmoins, ces concentrations laissent présager des négociations commerciales de plus en plus difficiles, le rapport de force étant de plus en plus déséquilibré. 'Le point fort des distributeurs, c'est qu'ils peuvent jouer avec de nombreux fournisseurs, témoigne Dominique Amirault, PDG de Remy Pannier (Val-de-Loire). Et malheureusement, il y en toujours un qui lâche sur les prix. Pas forcément pour un problème de qualité, mais pour un besoin de trésorerie ou à la suite de la perte d'un marché. De plus, la distribution adopte la même politique avec le vin qu'avec des produits de marque, comme Ricard ou Coca-Cola, en alignant ses prix sur ceux des magasins de la même zone de chalandise. Pour ces références-phares, le consommateur peut quitter son magasin s'il les trouve moins chères en face. Ce n'est pas le cas pour un bourgueil anonyme.'Certains intervenants (pas très nombreux) restent tout de même confiants dans l'avenir de leurs relations avec les GMS. 'L'essentiel est de ne pas être en situation de dépendance, rappelle Eric Beuchot, directeur commercial de Bestheim, union de coopératives alsaciennes. Nous réalisons 30% de notre chiffre d'affaires avec la grande distribution et nous ne sommes pas sur le marché très bataillé des premiers prix où chaque centime compte. Notre offre se situe plutôt dans le milieu et le haut de gamme. Quand on vend des lieux-dits, les relations avec les centrales sont plus faciles car le nombre de bouteilles reste limité. Un client ne doit pas dépasser 10% de notre chiffre d'affaires. Cette stratégie prend du temps et a un certain coût, mais c'est la seule politique permettant réellement de négocier avec nos acheteurs. C'est l'instinct de survie...'Outre le regroupement des producteurs, la qualité du vin, l'apport de services ou une mode de culture différent (bio, lutte raisonnée) peuvent être des facteurs de référencement (on l'a vu récemment avec Carrefour, La Vigne n° 101, p. 56). Et encore... 'Si seulement nos acheteurs pouvaient s'inspirer des distributeurs anglais, confie le président d'une cave coopérative du Sud-Est. Ils sont courtois, savent goûter vos produits, vous paient correctement et ils sont fidèles si vous respectez les règles du jeu. Ils comprennent que la véritable lutte raisonnée comporte des risques pour le producteur et que cela se paie. Ils ne sont pas uniquement à la recherche d'un logo porteur comme en France. Bref, ce sont de vrais professionnels dont les marges n'ont d'ailleurs pas à rougir face à celles des distributeurs français.'