A travers plusieurs décisions récentes, la Cour de cassation renforce les prérogatives des coopérateurs dans des conflits potentiels avec leur coopérative.
Deux arrêts récents de la Cour de cassation recadrent deux types de problématiques entre les coopératives et les coopérateurs. D'abord, quel est le critère juridique permettant de dire qu'un agriculteur a souscrit un contrat d'engagement vis-à-vis de la coopérative comportant l'obligation d'apports (cassation, 19 décembre 2000) ? Ensuite, quels sont les motifs qui permettent à un coopérateur d'obtenir la résiliation du contrat le liant à la coopérative et, par voie de conséquence, la cessation de son obligation d'apports (cassation, 27 février 2001).
Pour être coopérateur, c'est-à-dire bénéficier des services de la coopérative, il faut être membre de la société. Devenir membre, c'est acquérir des parts. Rien de plus banal. Pourtant, une question s'est posée : un agriculteur ayant utilisé les services de la coopérative, mais n'étant pas porteur de parts, doit-il être considéré comme coopérateur et tenu aux apports. La Cour de cassation a répondu qu'en l'absence d'acquisition de parts, malgré la livraison de l'intégralité de sa production, un viticulteur ne peut être considéré comme tenu à l'obligation d'apports (cassation, 25 mai 1992).
Ces exigences relatives à la preuve de l'adhésion sont complétées par l'article R 522-2 du code rural. Il précise que toute société coopérative doit avoir obligatoirement à son siège un registre des associés coopérateurs, inscrits par ordre chronologique d'adhésion avec indication du capital souscrit. Selon un arrêt du 9 novembre 1999, à défaut de ce registre, la coopérative ne peut prétendre à l'existence du contrat d'adhésion à la société. Mais par l'arrêt du 19 décembre 2000, cité plus haut, la Cour a quelque peu modifié ces exigences : même en l'absence de registre, du moment qu'il est établi que le viticulteur détenait des parts de la coopérative, il doit être considéré comme associé coopérateur. Le tout en laissant aux juges du fond le pouvoir d'apprécier souverainement si l'associé doit être considéré comme porteur de parts, élément indispensable pour prouver son adhésion à la coopérative.
Etant admis et prouvé que M. X. est associé coopérateur, il est tenu d'apporter sa récolte à la société. Il n'est pas question de revenir ici sur la possibilité de dénoncer l'engagement à l'expiration de la durée statutaire, ni de la faculté de démission anticipée prévue par l'article R 522-24 du code rural. La difficulté ici résulte du pouvoir donné aux juges de prononcer la résiliation du contrat passé entre la société et le coopérateur pour inexécution par la coopérative de ses obligations à l'égard de son associé, en retenant une faute contractuelle.
Etant donné que dans tout contrat, une partie peut obtenir la résiliation si l'autre n'exécute pas ses obligations (article 1 184 du code civil), un arrêt du 17 novembre 1976 avait bien posé le problème en jugeant que le coopérateur, objet d'une demande de pénalités, était en droit de faire prononcer la résiliation du contrat, au motif de l'adhésion de la coopérative à une autre coopérative. Mais plus tard, la même Cour a admis qu'un tel comportement ne justifiait pas la résiliation, du moment qu'il ne s'agissait que de l'adhésion à une union de coopératives (Cassation, 9 octobre 1990).
Une décision exemplaire,car portant censure à la cour d'appel, est à retenir. Il s'agissait du contentieux instauré entre un coopérateur et une coopérative : la résiliation a été prononcée à la requête de l'associé défaillant dans ses apports ' en raison des fautes et des irrégularités commises par la coopérative dans sa gestion ' (Cassation, 4 octobre 1977).
C'est en l'état des positions juridiques ci-dessus rappelées qu'un appel portant cassation est intervenu le 27 février 2001 : la cour d'appel, dont l'arrêt a été censuré, avait imputé la faute à la coopérative d'irrégularités dans les comptes, même approuvés par l'assemblée générale. Il lui était reproché le financement d'opérations sportives sans rapport avec l'objet social, qui ont aggravé le déficit, et l'imbrication des structures ayant existé entre la société coopérative et une autre coopérative. Pour la cour suprême, ces faits ne justifiaient pas la résiliation du contrat.
Assiste-t-on à une évolution par rapport à l'arrêt de 1977 ? En fait, on se trouve ici en présence du pouvoir des juges : confrontés aux reproches avancés généralement par un coopérateur défaillant, ils auront à décider si les fautes reprochées à la société, même établies, peuvent être considérées comme constitutives de l'inexécution des obligations de la société. Il apparaît que si des fautes de gestion sont reprochables à la coopérative, l'associé doit intenter une action principale en résiliation et ne pas attendre d'être poursuivi en paiement des pénalités pour défaut d'apports pour soutenir la résiliation du contrat. En effet, la conviction des magistrats en dépendra peut-être.