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Complanter devient la seule solution

La vigne - n°125 - octobre 2001 - page 0

Sans arsénite, il faut remplacer les manquants. Cette stratégie, coûteuse, pourrait conduire à un rajeunissement du vignoble.

C'est au début du XXe siècle, en observant des vignes traitées en hiver contre la pyrale à l'aide d'arsenicaux alcalins, que l'efficacité de ces produits vis-à-vis de l'esca a été découverte. Jusqu'alors, les produits dérivés de l'arsenic étaient utilisés comme insecticides. Aujourd'hui, l'arsénite de sodium ne s'utilise plus que sur la vigne. Mais face à sa toxicité, de nombreux pays l'ont banni. Seuls le Portugal, la France et l'Afrique du Nord, selon certains, l'utilisent encore. L'Espagne lui accorde parfois une dérogation. En France, à la fin des années 90, un tiers des surfaces était régulièrement traité.
Le mode d'action de l'arsénite de sodium reste méconnu. Mais, utilisé deux années sur trois, il stoppe l'expression des symptômes sans éradiquer la maladie. Une étude, conduite dans le vignoble charentais il y a plusieurs années, tente d'appréhender l'évolution de la maladie après l'arrêt des traitements. L'essai a été mené sur de l'ugni blanc d'une vingtaine d'années, planté à 3 400 pieds/ha. La parcelle avait présenté des symptômes d'esca en 1987, sur environ 20 % des souches, en raison de l'absence de traitements les années précédentes.

Pour évaluer la nuisibilité de cette maladie du bois, le taux de mortalité dans une partie non traitée de la parcelle a été comparé à celui observé dans la partie témoin, où l'arsénite de sodium était appliqué en hiver. Les chercheurs ont ainsi observé que la mortalité imputable à l'esca était de 2,5 % en 1990, 3,1 % en 1991, 4,1 % l'année suivante, pour atteindre 5 % en 1993. Après quatre années sans traitement, la partie non traitée comptait 499 souches en moins à l'hectare que le témoin. ' L'arrêt de l'arsénite de sodium va se traduire par une mortalité accrue des souches, prévoit François Desaché, qui a participé à cette étude au BNIC. Cela va avoir une incidence rapide sur nos faibles densités. Et complanter de façon continuelle augmentera largement les coûts de production. '
Bernadette Dubos, spécialiste de l'esca à l'Inra de Bordeaux, prévoit aussi un impact direct dans les régions où s'élaborent, à partir de vignes âgées, des vins à haute valeur ajoutée. ' Ces vins font rentrer beaucoup de devises en France. Or, les grands crus ne sont élaborés qu'à partir de vignes âgées d'au moins quinze ou vingt ans, le reste allant au second vin. Cette interdiction conduira à un rajeunissement du vignoble et engendrera, à court terme, des problèmes pour les grands crus ', assure-t-elle. Dominique Hessel, au château Moulin à vent, en Gironde, n'utilise plus d'arsénite depuis près de vingt ans. ' On a un peu plus d'esca que les autres. C'est surtout un problème avec le cabernet sauvignon. Le plus embêtant, c'est de complanter systématiquement, mais je ne pense pas que le rajeunissement du vignoble soit significatif et qu'il se perçoive dans le vin. '

Olivier Jacquet, au GDA du Vaucluse, confirme : ' Je ne crois pas que la complantation joue beaucoup sur la qualité finale des vins. Les jeunes plants sont fortement concurrencés et ils se développent lentement. Mais j'ai des inquiétudes par rapport à l'esca. Lorsqu'on arrache des vieilles vignes, on trouve de l'amadou pratiquement dans toutes les souches, et les ceps âgés ne sont pas les seuls touchés, on voit aussi des symptômes d'esca sur des vignes de moins de dix ans ! '
Au travers d'un réseau d'observation, le GDV de la Marne souligne aussi l'apparition de symptômes sur des parcelles de sept ou huit ans certaines années. ' Depuis 1994, les vignerons du réseau n'ont appliqué l'arsénite que ces deux derniers hivers, lorsque c'était possible ', rapporte Isabelle Renard. Les parcelles présentant au moins un symptôme dans l'année sont passées de 8 % en 1994 à 42 % en 2000, en progression constante, sauf en 1996, où elles n'étaient que 3 %. La part des parcelles ayant présenté au moins un symptôme depuis 1994 est passé de 11 à 62 %. Mais les conditions climatiques semblent avoir été favorables à l'expression de l'esca ces dernières années.
Dans le Beaujolais, Christine Marduel a repris, en 1996, l'exploitation de son père et, comme lui, elle ne traite pas à l'arsénite. ' Mon père n'en utilisait plus depuis 1989. Nous remplaçons environ 70 à 80 pieds par an et par hectare. Nos parcelles sont taillées en gobelet et plantées à 9 000pieds par ha. Mais l'esca n'est pas la seule responsable de cette mortalité, il y a l'eutypiose, et d'autres causes encore. '
' C'est une maladie inquiétante, ajoute Pierre Germain de la même région . Dans cinq ans, les professionnels se rendront réellement compte de l'incidence de cette interdiction. J'applique l'arsénite deux années consécutives mais seulement tous les cinq ou six ans. Avec une telle stratégie, j'ai quand même entre 80 et 100 pieds qui crèvent au cours de la période sans traitement, pour des densités de 10 000 ceps par ha. Et la complantation a un coût : au prix du plant il faut ajouter le travail supplémentaire. '
' On ne peut pas évaluer aujourd'hui l'incidence de cette interdiction, juge Michel Leguay, à l'Onivins. Elle sera sans doute plus immédiate là où les vignes âgées restent en production le plus longtemps possible, comme dans les crus bordelais ou bourguignons, ou dans les vignobles de Châteauneuf-du-Pape. Dans ces régions, il faudra arriver à un compromis entre laisser vieillir les vignes, maintenir une parcelle avec un taux de remplacement pas trop élevé et, malgré tout, avoir suffisamment de plants à l'hectare. Chaque région devra s'adapter en fonction de la sensibilité de ses cépages. '

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