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Charentes, la reconversion piétine

La vigne - n°128 - janvier 2002 - page 0

Tout le monde en est conscient : le cognac n'offre plus de débouchés aux 76 000 ha de vignes charentaises. ' Il y a au minimum 15 000 ha en trop. La diminution du vignoble s'effectue trop lentement, et le potentiel de production pèse sur l'économie ', explique Alain Philippe, directeur du BNIC (Bureau national interprofessionnel des vins de Cognac). Les solutions sont claires : produire autre chose que du cognac sur une partie de cette surface excédentaire (du pineau ou des vins de pays) et arracher le reste. L'objectif est de reconvertir, d'ici à 2006, 5 000 ha en vins de pays. Mais ce sera difficile. Après une campagne 1999-2000 encourageante, avec 617 ha nouveaux en vins de pays, la dernière fut décevante : seulement 264 ha plantés ! En trois ans, la surface reconvertie n'est que de 1 304 ha.
' Les plus motivés ont déjà planté ', remarque Magdalena Girard, de la chambre d'agriculture de Saintes. Pourtant, le Comité professionnel pour la diversification de la viticulture des deux Charentes multiplie les réunions d'information, les voyages d'études, assurant, exemples à l'appui, que l'on peut gagner sa vie avec des vins de pays. Il publie des lettres d'information et réalise des campagnes d'affichage, reprises par la presse locale, qui mettent en avant la démarche qualité des vignerons charentais, afin de sensibiliser les professionnels et le grand public. Enfin, les parcelles réencépagées seront balisées pour être remarquées par tous. Mais une enquête menée en 2001 révèle que les deux tiers des personnes interrogées considèrent que l'orientation vers les vins de pays n'est pas importante pour l'avenir du vignoble charentais. 80 % des sondés ne se sont pas reconvertis, et seulement 14 % d'entre eux envisagent de le faire !

Pour les inciter plus encore, le CTE (contrat territorial d'exploitation) type relatif à la viticulture charentaise, officialisé le 18 juin 2001, n'est accessible qu'au vigneron s'engageant à réduire d'au moins 15 %, au terme de son contrat, sa superficie de vignoble apte à la distillation de cognac. Pour y parvenir, deux solutions : se reconvertir en vins de pays charentais ou arracher définitivement. L'arrachage dans le cadre du CTE permettra en cumulé d'arriver à une prime maximale de 15 245 euros/ha (100 000 F).
Mais les exigences du contrat type viticulture charentaise sont telles que les producteurs ne pourront pas tous arracher dans ce cadre. Un projet de fonds commun d'adaptation, destiné à les aider financièrement, est en cours de discussion au sein de l'interprofession. Il permettra aussi d'acheter les droits de plantation en portefeuille pour éviter qu'ils ne soient utilisés. Enfin, cet argent complétera les primes de réencépagement existantes. L'interprofession étudie aujourd'hui ce qui est légalement possible de faire. Ce fonds serait alimenté par une cotisation volontaire obligatoire ' qui pourra inciter les gens à limiter leur potentiel de production , indique Alain Philippe. Celui qui ne veut pas payer arrachera de la vigne pour compenser la sortie d'argent. '
Mais les blocages face à la reconversion sont plus psychologiques que financiers. ' Ce qui manque au vigneron, c'est une vue à long terme. Il hésite à se lancer dans une nouvelle voie pour trente ans ', indique Philippe Boujut, président du Syndicat général des vignerons pour la défense de l'AOC Cognac. La crise que traversent les vins de pays fait réfléchir. ' Mais les opérateurs manquent de vins de pays rouges et rosés. Le littoral est très touristique, avec La Rochelle, l'île d'Oléron, l'île de Ré. Il n'y aura pas de problème pour écouler la production de 5 000 ha ', rétorque Magdalena Girard.
Sur ce sujet se greffe la fixation du rendement agronomique. L'an dernier, avec une récolte inférieure à la moyenne, le seuil de 130 hl/ha a eu peu d'incidence. Tombé à 120 hl/ha en 2001, il fait grincer plus de dents. L'ugni blanc charentais est un cépage à double fin. Sur le volume produit à l'hectare, ce qui ne va pas au cognac peut donner des jus de raisin, des vins de base, des vins de table... Ces destinations sont des rentrées d'argent non négligeables, d'autant que tous les vignerons n'ont pas accès au cognac. Diminuer le rendement revient à diminuer leur revenu à l'hectare. Philippe Boujut y voit un autre danger. ' Beaucoup survivent grâce au jus de raisin et au vin de base de mousseux, et l'on ne veut pas voir partir les gens qui achètent ces produits. Or, en bridant l'ugni blanc, on augmente son degré et son acidité baisse. Le produit ne correspond plus alors à ce que ces gens recherchent. '

Son syndicat défend une affectation des hectares par débouché (cognac, vins de base mousseux, vins de table, jus de raisin...) définie dès la taille. Le rendement de chaque parcelle sera modulé en fonction de la production choisie. ' Nous sommes le dernier vignoble où subsiste un cépage à double fin . ' Il ajoute que le revenu à l'hectare ne permet plus aujourd'hui de couvrir les charges. ' On ne peut pas continuer ainsi. Les prix n'ont pas bougé depuis six ans, ils ont même baissé il y a deux ans. ' Alors que la viticulture peine, cela va un peu mieux du côté des maisons de Cognac. Les sorties sont en légère hausse. Avec une production inférieure aux ventes, les stocks reculent pour la quatrième année consécutive, même s'ils demeurent trop élevés. Le marché français connaît une baisse de 0,2 %, compensée par une hausse de 3,1 % des marchés étrangers, notamment de l'Amérique du Nord, alors que le Japon chute toujours. Pour la première fois, les volumes de cognac expédiés au sein de l'Aléna (Etats-Unis, Canada et Mexique) rattrapent ceux destinés à l'Union européenne. Mais les attentats du 11 septembre risquent de changer la donne. Les conséquences ne seront évaluées qu'en février.
L'interdiction de l'arsénite de sodium offre un autre sujet d'inquiétude. Le vignoble de Cognac est très sensible à l'esca. Un taux de mortalité des ceps accru, alors que la densité est faible, risque d'avoir très vite une incidence. Mais la vigne cette année s'est plutôt bien portée, même si le mildiou tardif a surpris quelques vignerons. Alors que les prévisionnistes, invoquant le gel des grappes peu nombreuses ou qui avaient tendance à filer, annonçaient une faible récolte, l'ugni blanc a donné des grappes très lourdes permettant aux caves de faire le plein.

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