La réforme des 35 h se met en place péniblement dans les exploitations de moins de vingt salariés. Elle amène à repenser l'organisation du travail sur la propriété, mais elle met en évidence la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée.
Grande effervescence sur le front des 35 h depuis plusieurs mois : dans les vignobles, les réunions d'informations se succèdent, avec une accélération depuis octobre. ' Sans surprise, les employeurs et les employés sont perdus , explique Valérie Gothuey, en charge du dossier au syndicat des côtes du Rhône. Nous devons faire preuve de pédagogie. Sans compter que beaucoup croient que les 35 h hebdomadaires sont obligatoires depuis le 1 er janvier 2002. C'est faux ! '
' Effectivement, renchérit Denis Roturier, juriste spécialisé sur le sujet au Syndicat général des vignerons de la Champagne, le 1er janvier n'est pas une échéance spécifique. On abaisse seulement le seuil de déclenchement des heures supplémentaires au niveau de la 36 e h. ' Il n'a jamais été obligatoire de passer aux 35 h au 1 er janvier. Seule, la durée légale hebdomadaire du travail est réduite de 4 h, comme ce fut le cas pour les entreprises de plus de vingt salariés au 1 er janvier 2000. Aujourd'hui, il est possible de rester à 39 h et de payer des heures supplémentaires. ' C'est la solution la plus simple. Beaucoup l'ont choisie, même si le coût de la main-d'oeuvre est légèrement renchérie ', dit-on.
Rappelons que la durée du travail dans l'agriculture est régie par un accord national datant de 1981, et par des avenants intégrés en 2000 à la suite des lois sur les 35 h. L'un des points clés de la réforme se trouve dans le contingent d'heures supplémentaires. Il existe deux cas de figure. Pour les exploitations qui ne sont pas passées aux 35 h, rien n'a changé en janvier : l'accord national de 1981 prévoyant la durée maximale annuelle du travail à 1 940 h et la durée légale du travail sur l'année à 1 600 h, un salarié peut aller jusqu'à 340 h supplémentaires dans l'année. Un seuil élevé.
En revanche, si l'exploitation est passée aux 35 h, le contingent est autre, mais il reste important. Il a d'ailleurs été modifié dans le sens d'un assouplissement par un décret du 4 décembre dernier : 180 h pour 2002, 170 h pour 2003 et 130 h pour 2004. Pour 2002, ces heures supplémentaires sont majorées de 10 % de la 36 e à la 39 e h, de 25 % de la 40e à la 43e h, et de 50 % au-delà de la 44 e h. Des pourcentages qui seront plus dissuasifs les années suivantes. Ces heures peuvent aussi donner lieu à des repos compensateurs.
' Si la formule des 4 h supplémentaires, payées 10 % de plus, est la plus simple pour l'employeur, ce n'est pas la plus intéressante financièrement pour l'employé ', reconnaît Claude Gaudin, directeur technique de Vitigestion, un cabinet installé dans le Médoc (Gironde) et qui gère de multiples propriétés viticoles. Voici un exemple. Pour un salarié au régime ' 35 h payées 39 ', soit 169 h/mois × 7,62 euros (50 F), cela donne 1 288,19 euros (8 450 F). Avec le régime ' 39 h travaillées, dont 4 h supplémentaires ', soit 151,67 h × 7,62 euros (50 F), cela fait 1 155,73 euros (7 583,50 F), auxquels il faut ajouter les 4 h supplémentaires majorées de 10 %, soit 17,33 h × 8,38 euros (55 F) = 145,31 euros (953,15 F). ' Pour 1 301,04 euros (8 536 F) mensuels, soit 13,19 euros (86,55 F) de plus par mois que celui qui ne travaille que 35 h, pensez-vous qu'il est intéressant de travailler 39 h ? ' s'interroge notre interlocuteur.
Du coup, cela peut générer de la concurrence entre les propriétés. ' Des employés non passés aux 35 h sont tentés d'aller là où la réforme est appliquée. A côté, ils feront autre chose... L'un de mes ouvriers a annoncé son départ car, ailleurs, il aura une partie de son vendredi , explique Denis Lurton, vigneron chargé des questions employeurs à la FDSEA girondine. Partout dans les régions, l'application des 35 h met en évidence le manque de personnel qualifié. ' Dans les Graves, on débauche les ouvriers à coups de 152,45 euros (1 000 F) mensuels... Comme si le monde agricole découvrait les lois classiques de la concurrence sur le marché du travail... Des tâches pénibles, peu gratifiantes et mal payées sont les raisons de cette désaffection. On redécouvre alors l'intérêt des primes...
A part le schéma le plus simple des ' 35 h + 4 h supplémentaires ', c'est celui de l'annualisation qui est le plus utilisé dans les propriétés pionnières. Il consiste à moduler le temps de travail suivant l'activité sur la propriété pour atteindre un total de 1 600 h sur l'année, soit 35 h en moyenne par semaine, avec également la possibilité d'heures supplémentaires ou de repos compensateurs. Cela oblige à mettre à plat toute l'organisation du travail, et donc à instaurer un dialogue salutaire. C'est d'autant plus facile quand il y a des ouvriers polyvalents. ' Parler des 35 h payées 39, c'est aborder la question du temps de travail effectif (trajets, habillage, poses... ), estime Claude Gaudin, Si on ajoute cela aux gains de productivité et aux aides de l'Etat, on arrive à compenser les 11 % de majoration nette des coûts de production (35 h payées 39). ' Gommer le surcoût de la réforme est le souci de tous les employeurs. Si l'annualisation peut dynamiser l'entreprise, elle implique aussi un formalisme lourd (affichage des horaires, envoi à l'inspecteur du travail, délais pour modifier le calendrier pré-établi...).
A ce jour, très peu d'emplois ont été créés dans la filière grâce à cette réforme et peu d'exploitations agricoles de moins de vingt salariés ont franchi le pas des 35 h. Le dernier bilan du ministère de l'Agriculture, au 5 décembre, fait état de 1 455 entreprises dans le secteur de la production agricole. 224 sont viticoles pour 2 752 salariés concernés. Ce sont les premières mais, à terme, tout le monde y passera, d'autant qu'aucun candidat à la présidence de la République ne remet en cause les 35 h.