L'arrivée d'investisseurs français donne, depuis dix ans, un coup de fouet au vignoble marocain, qui compte 10 700 ha. L'enjeu est de taille car la vigne a longtemps été négligée.
'Comment ? Qui ça ? ' Mehdi Bouchaara n'en croit pas ses oreilles. Le porte-parole de Sa Majesté Mohamed VI cherche à le joindre, lui, le directeur général adjoint des Celliers de Meknès, le dernier-né de la société ' 100 % marocaine ', coteaux de l'Atlas. Après la société Thalvin, qui mise depuis vingt ans sur le haut de gamme, la course à la qualité est lancée pour la dizaine de sociétés productrices du Maroc. Le vignoble, 10 700 ha pour seulement 350 000 hl produits lors de la campagne 2000-2001, est depuis dix ans en pleine mutation.
Le virage est récent pour les Celliers de Meknès (400 personnes, 60 Meuros de chiffre d'affaires, soit 393,57 MF), surtout connus pour ses vins de table. Avec 1 500 ha de vignes, deux caves et deux sites d'embouteillage, la société commercialise 25 M de cols par an, dont 1 M à l'export. Leader à 85 % sur le marché local, elle a assis sa suprématie avec le moghrabi, un vin de table qui a permis de détrôner l'ancien leader, la société publique Sincomar (30 M de cols par an), aujourd'hui prête à mettre la clef sous la porte.
Les AOG (appellation d'origine garantie) des Celliers, Guerrouane et Beni M.'tir, sont situées dans la zone de Meknès, la plus vaste du pays. Aux grenache, carignan ou cinsault se sont ajoutés, dans les années 90, des cépages nobles : cabernet sauvignon, merlot, syrah, tempranillo, chardonnay et sauvignon blanc. Le vignoble palissé, à quelque 600 m d'altitude sur les contreforts de l'Atlas, évite les gelées d'hiver. Deux à trois traitements dans l'année suffisent, notamment contre le mildiou. Les rendements affichés sont à 50-60 hl/ha. La sécheresse, à peine 300 mm de pluie par an, est compensée par l'irrigation au goutte-à-goutte. Après une replantation d'environ 100 ha par an (300 ha prévus pour 2003), de nouveaux habillages en 1999, des vins de cépages et d'ambitieux investissements, la société prépare un guerrouane haut de gamme.
A l'origine de ce nouvel élan, l'arrivée de Bordelais, appelés au chevet d'un vignoble moribond. Avec son ensoleillement exceptionnel, sa terre sablonneuse ou argilo-calcaire, le pays comptait jusqu'à 55 000 ha dans les années 60. Les quelque 3,5 Mhl produits alors étaient surtout destinés à ' guérir ' les vins du sud de la France. C'est à cette époque que rayonne notamment Aït Souala, considérée comme la plus grande cave du monde. Aujourd'hui, cette filiale de la société d'Etat Sodéa (Société de développement agricole), coopérative, n'utilise que 40 % de ses capacités. La centaine d'employés de la cave vinifie 100 000 hl par an, soit près du quart de la production nationale.
Dernier témoin du long coma du secteur - sapé par l'interdiction de coupage des vins à la création de la CEE et par la multiplication par cinq de la taxe de consommation intérieure en 1979 - la Sodéa avait alors hérité des terres. Vignes âgées, outils de production obsolètes, sécheresse... rien ne va plus.
Le roi Hassan II fait alors appel au maire de Bordeaux, M. Chaban-Delmas. La caisse nationale de Crédit agricole marocain et Sodéa s'allient aux investisseurs français Clarac et Clauzel (créant le groupe Delorme), William Pitters (groupe Saday) puis, en 1994, Castel (Cépages de Meknès et Cépages de Boulaouane). La Sodéa loue les terres et les caves pour trente-six ans ; les Bordelais exportent et embouteillent leur production en France. Ils replantent, investissent, rénovent et mettent à profit leurs circuits commerciaux en France. Castel investit 15,24 Meuros (100 MF) dans ses treize domaines et remodèle la marque Boulaouane dans une cave toute neuve de 30 000 hl. Ses vins rouges et gris constituent désormais l'une des premières marques sur le marché français. Depuis 1999, la société produit 63 000 hl qu'elle exporte dans une vingtaine de pays. Son souhait est d'acquérir 200 ha et de se lancer sur le marché local, où elle est autorisée à écouler 30 % de sa production.
' Ce sont les forces de frappe à l'export qui ont contribué à redorer l'image du vin marocain en France ', constate Mehdi Bouchaara. C'est que le marché local, environ 280 000 hl, surtout des vins de table rouges, évolue peu, même si le tourisme est prometteur. Avec la dégradation du vignoble de la Sodéa, les professionnels espèrent l'arrivée de nouveaux partenaires.
Charles Mélia est le premier producteur indépendant étranger à s'installer. Vigneron depuis vingt-cinq ans à Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse) mais natif du Maroc, c'est le premier à parier sur les cépages rhodaniens, avec ses domaines du Val d'Argan.
En 1994, il a installé ses 17 ha (30 ha à terme) de syrah, bourboulenc, clairette, entre des rangs d'oliviers, à 25 km d'Essaouira et 150 m d'altitude. Après une première vinification en 1998, il n'a été autorisé à commercialiser que l'an dernier (30 000 bouteilles vendues) et attend de pouvoir exporter. Son succès a été immédiat et, cette année, il étend la distribution sur Agadir et Marrakech. Avec une cave de 2 000 hl, le goutte-à-goutte et une dizaine d'employés permanents, il a réussi à décrocher le marché de la compagnie aérienne nationale. Son rêve : ' Fédérer des agriculteurs marocains et les inciter à planter des raisins de cuve '.
Ce succès pourrait susciter des vocations. D'autant qu'au printemps 2003, les accords du Gatt feront baisser les droits de douane marocains de 10 % par an jusqu'en 2010. Les vins d'importation deviendront alors compétitifs.