Le groupe national de travail sur les tanins n'a pas observé que ces additifs stabilisent la couleur, inhibent les bactéries lactiques ou bloquent durablement la laccase. Ces résultats contredisent les discours commerciaux.
Trois années durant, un groupe de tra- vail(1), animé par l'ITV, a étudié les propriétés technologiques des tanins. Il a testé six préparations du commerce, puisées dans des sources différentes : pépins de raisin, pellicule de raisin, noix de galle, quebracho, chêne et châtaigner. Une partie des résultats a fait l'objet d'une publication détaillée dans la Revue française d'oenologie. Le reste est contenu dans un document interne.
A la lecture de ces documents, on découvre que les tanins sont bien loin d'être ces additifs à tout faire que vantent les vendeurs. Précisons que l'étude porte uniquement sur leurs propriétés technologiques. Elle ne s'est pas intéressée à leurs effets sur les qualités gustatives des vins. Ceux-ci ne sont donc pas mis en doute.
Premier constat, les tanins ne stabilisent pas la couleur. Or, parmi tous les effets qu'ils sont réputés avoir, c'est sûrement le plus recherché. Le groupe de travail a bien observé une action instantanée sur la couleur. Elle est devenue plus intense après les ajouts sur moût ou sur vin à la fin de la fermentation malolactique. Les tanins ne sont pas de simples colorants, car leur couleur propre est insuffisante pour provoquer l'effet constaté. Ils réagissent certainement avec des anthocyanes, formant des composés plus vifs que ceux d'origine. Par ailleurs, ils modifient la nuance des vins, la rendant généralement plus tuilée. Seule la noix de galle a provoqué une réaction différente. Avec elle, la teinte a bleui.
Lors du vieillissement, l'intensité colorante des vins tanisés diminue au même rythme que celle des témoins. L'éclat et la profondeur de leur robe ne résistent pas mieux à l'usure du temps. Seul persiste l'écart initial. S'il y avait stabilisation de la couleur, cet écart devrait se creuser au profit des vins tanisés. Le groupe de travail ne l'observe pas.
Ce n'est pas la seule surprise. Les effets annoncés sur les bactéries lactiques, les protéines ou les goûts de réduit sont minimes, voire inexistants. Aux doses usuelles d'emploi, aucun tanin n'a retardé la malo des syrahs de 1999 et 2000 sur lesquelles il fut testé. Il a fallu ajouter 200 g/hl pour que cinq des six préparations inhibent les bactéries lactiques plus longtemps que 3 g/hl de SO 2. Sur les blancs et les rosés, le tanisage à 50 g/hl a retardé de quelques jours le départ de la malo, sans pour autant l'empêcher, ni la ralentir. Il a fallu utiliser 200 g/hl pour obtenir un blocage complet de cette fermentation. Au mieux, les tanins les plus efficaces, ceux de noix de galle, pourraient aider à diminuer les doses de SO 2 dans les rosés. Des essais auront lieu cette année pour le savoir. Ils devront également évaluer les impacts gustatifs d'un tel apport.
Venons-en aux protéines. Certains prétendent éliminer celles du vin et inactiver la laccase de la pourriture grise qui cause tant de dommages oxydatifs. Leur argument paraît reposer sur une solide base logique. N'utilise-t-on pas des protéines, que ce soit de la gélatine ou de l'albumine, pour éliminer des tanins en excès dans le vin ? Alors pourquoi ne pas faire l'inverse ? L'ennui, c'est que cela ne fonctionne pas aussi bien que le laisse supposer la théorie. De tous les tanins testés, ceux de chêne et de châtaigner présentent la meilleure efficacité quant à l'inactivation de la laccase et la protection de la couleur. Cependant, elle est nettement inférieure à celle d'un banal sulfitage. Et inutile de vouloir stabiliser les vins vis-à-vis des précipitations protéiques : l'ajout de 10, 35 ou 70 g/hl a aggravé les casses. Les vins tanisés se sont bien plus troublés à la chaleur que les témoins. ' Les tanins ne permettent pas d'obtenir l'efficacité de la bentonite quant à la stabilisation protéique ', lit-on dans le rapport. Mieux vaut continuer à utiliser cette argile.
Dernière constatation du groupe de travail, elle aussi en contradiction avec les discours ambiants, il n'y a pas d'effet intéressant sur les goûts de réduit. Dans les tests réalisés, seuls deux préparations développent une activité, mais elle est nettement inférieure à celle d'une simple aération.
' Pour de nombreux effets technologiques recherchés, il y a d'autres solutions que le tanisage ', commente un expert. Ce dernier tient aussi à préciser que les expérimentations n'ont pas porté sur toutes les préparations existant sur le marché, mais seulement sur six d'entre elles. Il se pourrait donc qu'un examen plus détaillé révèle des surprises, positives cette fois. Mais on voit mal pourquoi il en serait ainsi.
Comme on pouvait s'y attendre, les fabricants et distributeurs de produits oenologiques contestent ces résultats. Ils critiquent les expérimentations sur plusieurs plans. ' Les essais n'ont pas balayé de manière exhaustive ce qui existe , rappelle Dominique Trioné, directeur de Laffort oenologie. Or, il est clair que tous les produits n'ont pas les mêmes propriétés et ne donnent pas les mêmes résultats. ' Notre interlocuteur ajoute que les commentaires de ses clients à propos de ses préparations sont positifs, ce qui le conforte dans ses dires. ' Nous restons sur nos positions ', assure-t-il. Le Groupe Oeno France aussi. Peu enclin à commenter l'étude, il se contente d'expliquer qu'il est certain des propriétés de ses préparations. Martin-Vialatte conteste le choix des doses employées pour les essais de stabilisation de la couleur et la pertinence du protocole qui a permis de mesurer l'effet sur les goûts de réduit.
Chez Ferco, producteur de tanins de raisin, les réactions sont un peu différentes. Fin août, la société n'avait pas encore eu connaissance des conclusions du groupe de travail. Elle affirmait être en position de résultats d'essais démontrant une stabilisation de la couleur avec ses préparations. ' On ne maîtrise pas complètement le phénomène , nuance Luc Lurton, directeur technique. Mais le mécanisme existe bien. ' En clair, les effets sont encore irréguliers. Prévenant, le groupe de travail est parti pour une nouvelle campagne d'essais au cours de laquelle il espère bien préciser et consolider ses résultats.