Au château Smith Haut Lafitte, Fabien Teitgen exerce le métier de directeur technique en ayant la volonté de rester au contact du sol, des vignes, du vin et de ses équipes. A l'avenir, il devra s'occuper davantage d'administration, ce qui l'enchante peu.
Il a de quoi faire, Fabien Teitgen. Cela fait deux ans qu'il est le directeur technique du château Smith Haut Lafitte. Ce cru classé des Graves compte 55 ha de vignes, auxquels se rajoutent 40 ha environ du château Cantelys, appartenant également à Daniel et Florence Cathiard. Avant, Fabien Teitgen était chef de culture, et ce depuis 1995. Maintenant qu'il a gravi un échelon, il est l'intermédiaire entre les propriétaires et les ouvriers. Dans les vignes, il encadre vingt personnes et le chef de culture. Au chai, en période de vinification, il dirige deux équipes de quatre personnes, dont le maître de chai. Ces équipes se succèdent dans la journée : le travail se fait entre six heures et minuit. ' Nous pouvons ainsi faire quatre remontages par jour et par cuve ', fait remarquer Fabien Teitgen. En période de vendanges, de très nombreux saisonniers sont recrutés. En 2001, le château a eu recours à trente-deux personnes rien que pour le tri.
Fabien Teitgen se consacre uniquement à la production ' depuis le sol jusqu'au vin mis en bouteilles ', résume-t-il. Bien que son poste soit entièrement consacré à la technique, la gestion du personnel est omniprésente. Il continue d'exécuter certaines tâches comme conduire un tracteur, descendre dans une cuve ou tailler. Cela l'empêche de s'éloigner de ses équipes. ' Il faut savoir faire exécuter le travail, tout en ménageant les susceptibilités de chacun. De façon générale, les ouvriers ne travaillent pas pour moi, mais avec moi. '
Le propriétaire n'interfère pas dans la façon de travailler, ni dans l'organisation mise en place par son directeur technique. ' Il m'a confié la mission de produire le vin. Cela n'empêche pas un dialogue permanent ', souligne Fabien Teitgen. Daniel Cathiard l'accompagne dans les vignes au moment des vendanges pour déguster les raisins. Ensemble, ils tranchent sur la date des cueillettes. Le propriétaire veille à la propreté de la cave, s'assurant de la bonne image du château pour les nombreuses visites. Les points sur lesquels il s'investit le plus sont la conception du chai et l'achat du matériel. Fabien Teitgen prépare, chaque année, sa ' liste du Père Noël. Jusqu'à maintenant, j'ai obtenu tous les matériels que je demandais, car je suis raisonnable. Ici, les matériels ne sont pas des jouets : tout est discuté, négocié et doit contribuer à l'amélioration de la qualité des vins, et à baisser les coûts de production. ' Les matériels doivent être en bon état pour obtenir un vin de qualité et pour contribuer à l'image professionnelle du château. ' Nous essayons d'être raisonnables. D'après moi, nous le sommes. Mais pour un vigneron 'normal', nous ne le sommes peut-être pas ', admet Fabien Teitgen. Pour améliorer la qualité du vin, le directeur technique reste réceptif aux nouvelles techniques et aux avancées scientifiques. Ainsi, il a proposé d'investir dans du matériel de microbullage l'année dernière. Une seconde chaîne de réception et de tri a été installée, avec des tables vibrantes pour limiter le personnel. Les approches du vin évoluant rapidement ces derniers temps, Fabien Teitgen revoit aussi les modes de vinification. Ainsi, les blancs fermentent en barriques neuves ou d'un vin. Fabien Teitgen s'informe grâce aux revues d'oenologie et aux conférences proposées par la chambre d'agriculture, l'interprofession bordelaise ou encore le Vinitech.
L'une des sources d'information qu'il apprécie aussi : ses stagiaires qui l'enrichissent de par leur expérience professionnelle. Il est épaulé par trois consultants extérieurs de très grande réputation. ' Le danger dans mon métier, c'est de m'enfermer dans un microcosme et de m'y noyer ', résume-t-il.
' Je reste très proche du terrain. C'est important d'avoir le contact avec le sol, les vignes, le raisin et le vin. ' A la différence du propriétaire, la comptabilité, la finance et les ventes ne sont pas de son ressort. Il calcule les durées des travaux. ' Je pense que l'évolution naturelle de mon poste est de m'intéresser plus à l'aspect financier, en débutant par les coûts de production. Peut-être qu'au fil des années, je ferai moins de remontages et plus de pa- perasserie. Je n'aime justement pas trop cela. ' Manque de chance : ' Notre métier évolue vers le papier : les normes, la traçabilité... Ce n'est pas forcément positif. Avec la procédure HACCP, par exemple, une fois un procédé écrit, cela bloque l'autonomie et la réflexion. C'est une lourdeur de fonctionnement : l'ouvrier va être transformé en applicateur d'une procédure, ce qui va dévaloriser le métier. A l'extrême, face à un imprévu, il ne saura plus quoi faire, car cela ne sera pas dans les fiches. Nous avons encore la chance de travailler dans un milieu vivant et empirique ', conclut Fabien Teitgen.