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Retraité, ' du matin au soir, je m'occupe dans la cave '

La vigne - n°137 - novembre 2002 - page 0

A la retraite depuis sept ans, Pierre Ravaut passe ses journées dans la cave du domaine dirigé par son fils. Il est là pour accueillir les clients et leur apprendre à ' grumer '.

Difficile d'estimer combien de retraités s'affairent sur les domaines transmis à leurs enfants. Pas facile non plus d'évaluer le nombre d'entre eux qui donnent un coup de main de temps en temps et ceux qui sont là en permanence, tournent, virevoltent, s'activent et qui, pour rien au monde, ne décrocheraient.
Pierre Ravaut, du domaine Pierre et Gaston Ravaut, à Ladoix-Serrigny (Côte-d'Or), est de ceux là. Il a 67 ans. Il est officiellement retraité depuis l'âge de 60 ans. Son fils, Gaston, a repris les rênes de la propriété depuis 1982, une transition qui s'est faite en douceur. Mais chaque jour de l'année, Pierre qui habite avec sa femme Nicole la bâtisse principale du domaine, juste au-dessus de la cave, est bien présent. Ses journées sont réglées comme des horloges : lever à 6 h 30, rasage, petit déjeuner puis il fonce à la cave, nettoie les verres qui ont servi à la dégustation la veille, ouille les fûts et guette le client de passage. Le caveau est ouvert tous les jours. La cave, c'est son royaume. ' Jamais, jamais, je ne la quitte, affirme-t-il. Même pas pour aller dans les vignes, même pas pour aller au village. Je m'occupe, du matin au soir. S'il n'y a pas un vieux, ou sa femme, pour accueillir les clients le samedi après-midi ou le dimanche quand les enfants et petits enfants se sont octroyés un peu de bon temps, c'est foutu. '
Sept personnes travaillent sur le domaine de 17 ha (pour 17 appellations d'origine), sans les compter, lui, ni sa femme. Leur ' occupation ' équivaudrait très largement à l'emploi d'un, voire de deux salariés. ' Je bouche les trous, aime-t-il à répéter. Les jeunes assurent les gros travaux, moi je termine, je finis . '

Il est ' l'homme qui fait le petit travail ' et ' passe derrière '. Ce matin, vendredi 4 octobre, il a ' prélevé des échantillons pour la mesure de la densité d'aligotés qui arrivaient en fin de fermentation ' , il a ' tiré la sonnette d'alarme et impulsé la chaptalisation avant qu'il ne soit trop tard ', dit-il. ' Qui le fait, alors que tout le monde s'affaire aux vendanges, au décuvage, au nettoyage des fûts , interroge-t-il ? C'est le vieux. ' Pendant ce temps ' les jeunes ', comme il dit, ont tout le loisir d'effectuer d'autres tâches. La réalité est un peu différente. En fait, ce matin-là, ' les jeunes ' avaient déjà réalisé les mesures. Lui les a faites pour son plaisir, mais il ne prend aucune décision.

Son fils Gaston est bien le patron, même s'il ne se gêne pas pour lui donner son avis. ' Je suis même parfois interdit de cuverie, tellement je les enquiquine ', reconnaît-il. Puis il confie : ' Je m'ennuie chez moi, alors je reviens à la cave. Et si je ne le faisais pas, je me suiciderais . ' Son plaisir, c'est d'accueillir les visiteurs et de leur apprendre à ' grumer ', c'est-à-dire à déguster le vin, toujours sur fût. Pierre n'ambitionne pas moins de ' dépuceler gustativement les clients ' et de faire en sorte qu'ils repartent un peu plus riches de connaissances. Sa technique est infaillible. D'abord, il observe, puis il corrige.
A ceux qui savent déguster, mais la tête haute, il explique qu'il faut baisser le chef ' pour que l'air circule mieux au creux du vin, le triture, le décortique, le décharne, le déstructure et puis aussi pour garder une certaine humilité '. ' Tête baissée et cul tendu ' : voilà les secrets d'une dégustation réussie. ' Grumer ' trois fois et compter le temps pendant lequel le vin reste en bouche.
Son autre grand plaisir, c'est de conter (voire d'inventer) l'histoire de son patelin, qu'il adore, et ne se lasse pas de répéter. De rappeler que le nom de Ladoix provient des résurgences (Duix en patois) de la Seine et que le coteau est ' le plus richement doté géologiquement de la Côte-d'Or viticole '.
Et de tenter quelques métaphores plus ou moins réussies. ' Les coteaux de Corton, c'est comme un corps de femme ', affirme-t-il. Il n'hésite pas non plus à proposer des accords culinaires. Un ladoix s'accordera avec un petit volatile léger bien cuisiné, un côte-de-nuits ' très mâle ' s'accommodera mieux d'une côte de boeuf grillée et un aloxe-corton, avec du gibier.
Bien sûr, il incite son successeur à investir dans des appareils modernes, mais il voit d'un mauvais oeil certaines méthodes peu orthodoxes. Par exemple, il recommande de laisser les vins sur lies et de ne pas les tirer au clair trop rapidement, ' un conseil suivi ', estime-t-il. Utiliser le chauffage pour élaborer des vins immédiatement prêts à boire ? Trois fois bof. ' Je suis à l'encontre de l'économie moderne ', affirme-t-il.

Pourtant, lui, au départ, le plus petit vigneron de la commune a légué à son fils un bel outil de travail au point d'en faire l'un des mieux lotis.
Pierre a planté sa première vigne en 1952 sur les terres agricoles de son père. Avec sa femme, ils ont réalisé, en 1961, leur première acquisition : 7,6 ares que personne ne voulait. Puis, ils n'ont cessé d'acheter de la vigne et des terrains. Pas n'importe lesquels : ' ceux que les autres délaissaient '. Ces investissements, réalisés au fil des ans, payent actuellement leur retraite car, officiellement, Nicole touche 260 euros au titre d'aide familiale, lui 595 euros. Pas de quoi engraisser un chat. Mais c'était une autre époque et l'agriculture avait décidé de ne pas être au régime général de la retraite. Ils en subissent aujourd'hui les conséquences sans amertume. Sa femme arrose les innombrables plantes de la propriété magnifiquement fleurie. Elle donne un sacré coup de main à l'étiquetage et fait bien d'autres choses encore. Active, elle aussi, toujours active. Comme lui.


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