Perçage, fente, curetage des souches, mise en place d'un fil de cuivre : les vignerons testent ou retestent diverses techniques pour lutter contre le fléau des maladies du bois. Leur efficacité reste à prouver.
Depuis l'interdiction de l'arsénite de soude, les vignerons se retrouvent démunis face à l'esca. Et la maladie progresse. En désespoir de cause, certains ressortent les vieilles recettes de grand-père qui, pour certaines, datent de l'Antiquité. L'esca sévissait déjà en ces temps lointains où les vignerons ne connaissaient pas encore l'arsénite.
Ainsi, les Grecs anciens fendaient les souches malades au point de jonction des branches principales et y glissaient une pierre pour éviter la cicatrisation de la blessure. D'autres faisaient un curetage des parties cariées du tronc. Leur intuition n'était pas dénuée de bon sens, car il a été démontré, par la suite, qu'un des champignons responsables de l'esca est sensible à l'oxygène. Cette technique devait donc avoir un effet.
Des techniciens expliquent que c'est le stress apporté à la plante qui la ferait réagir positivement. Quelques vignerons d'aujourd'hui réessayent ces techniques. Jean-Patrice Favre, vigneron à Castelnau-d'Auzan (Gers), explique sa démarche : ' Sur mon exploitation de 17 ha, 3,5 ha sont atteints par l'esca. Le gros manseng et le sauvignon sont les plus touchés. J'ai percé en juin dernier la base de 25 ceps les plus atteints, à l'aide d'une perceuse sans fil. A l'intérieur du trou, j'ai passé un fil de cuivre. Mon idée est que la sève va passer dans le fil de cuivre et que ce dernier va tuer le champignon. J'attends de voir quels seront les résultats. ' Pour mieux appréhender l'intérêt de telles techniques, la chambre d'agriculture de la région Sud Charentes a mis en place, depuis 1999, un essai de ' perçage '. Deux blocs de 700 souches sont suivis. Dans l'un, les souches sont percées de part en part, dès que des symptômes d'esca sont observés en juillet et août. Le trou situé en bas des pieds fait environ 1 cm de diamètre : ' Chaque fois, nous observons environ 15 % de rémission l'année qui suit le perçage par rapport au témoin. Toutefois, il faut voir si l'efficacité est régulière dans le temps. L'essai est trop récent pour que l'on puisse conclure ', rapporte Philippe Ménard.
Au vu de cette maigre efficacité, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? D'autant que de telles pratiques sont fastidieuses. ' Dans une parcelle de vieilles vignes de qualité, on comprend que les vignerons essayent de sauver les pieds atteints.
Mais dans d'autres cas, où les densités de plantation sont élevées et les ceps plus jeunes, de telles techniques ne sont pas économiquement envisageables ', explique un technicien. De plus, elles peuvent parfois faire plus de mal que de bien. ' La fente des souches peut détruire la structure du pied ', explique Philippe Ménard. C'est également ' l'ouverture de nouvelles portes d'entrée aux champignons ', poursuit Gilles Sentenac, de l'ITV de Beaune. Bernard Molot, de l'ITV de Nîmes, explique aussi qu'il faut faire très attention quant à l'interprétation de l'éventuel effet observé suite à ces pratiques : ' Il faut savoir que la nuisibilité de l'esca décroît avec le temps. Passé un certain âge (environ 10 ans), la vigne devient moins sensible. Ce phénomène est à prendre en compte dans la mesure de l'efficacité des techniques . '
Pierre Fort, régisseur du château de Tracy (Nièvre), a, quant à lui, rogné plus bas et supprimé toutes les grappes des pieds atteints. L'idée repose sur le fait que les souches atteintes d'esca meurent parce qu'elles se dessèchent complètement, la sève brute n'arrivant plus en volume suffisant aux feuilles et aux grappes. Denis Boubals, professeur à la retraite de l'école de Montpellier, déclare qu'en réduisant la transpiration des souches par l'enlèvement d'une partie des feuilles et des grappes, on diminue, voire on arrête la dessiccation. La souche peut être sauvée temporairement. Pierre Fort l'a effectivement observé. Encore faut-il que les effets perdurent dans le temps, car ' s'il faut enlever les grappes tous les ans à un pied atteint, il n'y a pas d'intérêt à le garder ', remarque-t-il. La prophylaxie reste actuellement la seule solution à mettre activement en oeuvre.