Les exportations vers les Etats-Unis et les ventes sur place s'effondrent depuis le début de l'année. C'est le résultat d'une compétition féroce. La France est plombée par la cherté de ses vins plus que par son attitude durant la guerre contre l'Irak.
'J'espère qu'aucun de vos vins français ne se vendra ', fulmine un client du Red Carpet, l'un des plus grands magasins de vins et spiritueux de Los Angeles, face au présentoir des bordeaux 2000. Kaj Stromer, directeur des achats et gérant du magasin, s'approche pour lui expliquer l'importance de ce millésime. ' Cela apprendrait une chose ou deux à ces bons à rien de Français ', poursuit l'homme en colère. ' Mais je suis américain et j'ai payé ce vin il y a deux ans ', réplique Kaj Stromer. Confus, le client quitte le magasin avec une bouteille de vodka russe bon marché. ' Je n'ai pas eu le coeur de lui dire que la Russie était aussi contre la guerre. ' Une anecdote qui en dit long, selon Kaj Stromer. ' Les personnes qui s'expriment le plus fort ne boivent pas de vin. J'en ai aussi entendu beaucoup parler de boycott, puis venir acheter du vin chez moi, car ils ne peuvent pas passer à côté du bordeaux 2000 . '
Les médias ont largement rapporté ces réactions hostiles à la France lorsqu'elle s'est opposée à la guerre en Irak. Ils ont accordé beaucoup d'attention aux restaurateurs de Seattle, qui ont vidé des bouteilles de vins français dans le caniveau, ou à ces hommes politiques qui ont réclamé des lois antifrançaises. Par ailleurs, selon une rumeur persistante, de nombreux chargements de vins français sont retenus par les douanes américaines depuis quelques mois.
Pourtant, lorsqu'il s'agit de démontrer que les consommateurs américains se sont détournés des vins français pour des raisons politiques, il est impossible de trouver des études claires. Certes, nos exportations et nos ventes sur place sont en recul. Les premières données significatives, rapportées par Information Resources Inc, montrent une baisse des ventes de vins français au détail, de 24 % en volume et en valeur sur une période de douze semaines, se terminant le 18 juin 2003.
Un autre cabinet d'analyses, AC Nielsen, rapporte une baisse de 10 %, du début de l'année au 7 juin 2003, chez les plus gros détaillants. Ces chiffres sont à nuancer, car ils ne reflètent que les ventes en supermarchés, écartant les magasins spécialisés qui représentent une part importante du marché.
Quelles sont les causes profondes de ce recul ? Les chaînes de supermarchés refusent de parler de leur attitude face à nos vins. Quant aux magasins de vins et spiritueux, ils semblent n'être touchés que de façon marginale. Sans données tangibles, l'image qui se dessine se construit à partir de témoignages individuels, parfois contradictoires. ' Les grandes villes côtières semblent moins touchées que les régions plus centrales. Les gens y comprennent sans doute mieux que les conséquences d'un tel boycott se feront d'abord sentir sur l'économie américaine ', explique Kaj Stromer.
Peter Mahan, directeur des achats de vins français chez Wine Warehouse, le plus gros importateur de la côte Ouest, rapporte une anecdote : ' L'un de nos distributeurs de vin par catalogue, pour le Middle West, a cessé d'acheter du vin français le 1 er avril. Il aurait reçu trop de lettres de clients qui refusaient désormais d'en acheter. Il nous a informés qu'il reprendrait ses achats pour le dernier trimestre 2003. Il s'agit d'une décision politique, pour des consommateurs peu avisés qui boivent du vin bon marché. Les vins français ont ainsi facilement été remplacés par des vins australiens ou chiliens. '
' Pour les professionnels, le problème vient des détaillants : par peur d'être politiquement incorrects, ils évitent de mettre en avant les vins français ', Cyril Penn, rédacteur en chef de Wine Business Communications.
Selon les importateurs, les chiffres n'illustrent pas un boycott, mais une situation économique globale dans laquelle les vins français sont en difficulté. Bob Maxwell, président de l'Association des importateurs de boissons, rapporte que la baisse des importations en mars et avril reflète une baisse générale des ventes de vin. ' Elles sont affectées par un surplus sur le marché américain , renchérit Richard Brandes, rédacteur en chef de Beverage Dynamics, revue d'analyses du marché des boissons. La compétition sur les prix et la qualité est féroce entre les Californiens, les Australiens, les Italiens et les Espagnols. '
Philippe Bourgeois, directeur des opérations chez European Selections, un gros importateur de vin de France et d'Espagne, est encore plus clair. ' Nous avons senti un ralentissement significatif sur les vins à plus de 20 $, ce qui correspond à un ralentissement global du marché. L'économie en baisse et le taux de change avec l'euro sont les facteurs qui jouent vraiment sur cette baisse des ventes, bien plus que la guerre. Les vins français sont devenus trop chers. ' Et c'est là que se trouve sans doute l'explication des difficultés des produits français.
L'euro a gagné plus de 25 % par rapport au dollar au cours des douze derniers mois et la spéculation sur les bordeaux a tiré toute l'offre française vers le haut. Elle est ainsi devenue moins attractive que l'offre australienne ou chilienne, composée de vins de qualité équivalente et mieux adaptés à un marché qui aime la régularité. Sans oublier les vins californiens qui, à la suite des années de surproduction récentes, ont vu leurs prix baisser de moitié. Le désaccord entre la France et les Etats-Unis au sujet de l'Irak n'aura eu qu'un effet accélérateur sur une tendance existante.
Reste qu'au rythme actuel des importations, les stocks s'accumulent chez les grossistes. Peter Mahan parle déjà de soldes monstres. Vendus à des prix plus raisonnables, les vins français reprendront probablement leur place privilégiée dans le coeur des Américains. A condition que les producteurs réajustent leur prix pour répondre à la demande des importateurs et pour se remettre à flot dans une économie mondiale du vin en pleine mutation.