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Les rosés sur lies font des adeptes

La vigne - n°147 - octobre 2003 - page 0

Laisser les rosés sur lies apporte-t-il plus de gras et de complexité aromatique ? Les essais menés par l'ITV penchent vers un ' non ' prudent. En revanche, quelques vignerons ont essayé la technique et sont convaincus de son intérêt.

'Je veux plus de gras, de matière et de complexité aromatique. ' C'est pour cela que Julian Faulkner, au domaine du Grand Cros (Var), comme quelques autres vignerons, s'est lancé dans l'aventure des rosés sur lies. Sa motivation : recréer une ancienne cuvée du domaine familial, qui se démarque des côtes-de-provence classiques. Au milieu de rosés pâles et délicats, il va proposer un vin coloré, à la charpente surprenante, enrichie par le gras issu de l'élevage. Qui va le boire ?

Ce rosé au profil particulier est d'abord destiné à un marché de niche anglo-saxon (Canada, Etats-Unis, Angleterre) ainsi qu'à la Suisse et, peut être plus tard, au Japon. ' Il faut compter six mois d'élevage, ce qui porte la mise en bouteilles en juin. C'est un peu tard, c'est une contrainte ', reconnaît-il.
' Le grand frein à cette pratique est le calendrier de mise sur le marché qui exige des vins propres dès la fin de l'hiver ', confirme Laure Cayla, de l'ITV de Vidauban (Var), qui a mené des essais pendant quatre ans. Globalement, les rosés sur lies sont apparus sensiblement plus stables que les témoins vis-à-vis des casses protéiques. Leur couleur était, pour certains, plus rouge, pour d'autres sans différence, voire oxydée. En bouche, on a remarqué des vins plus ouverts. Hélas, ce critère positif a disparu avec le temps. Au final, ' une technique contraignante pour des résultats aléatoires , juge Laure Cayla. Au départ, il faut un rosé riche et assez vif pour que les résultats soient intéressants '. L'ajout d'enzymes, type glucanase, peut aussi être envisagé, les premiers essais sont encourageants.
De son côté, le centre de l'ITV d'Angers a trouvé un impact assez faible de l'élevage sur lies sur des rosés secs de Loire. Les dégustations n'ont pas fait ressortir de différences très nettes. La couleur et l'intensité olfactive sont même parfois plus basses que le témoin et que le lot sur lies sans bâtonnage.
Malgré ces résultats, des vignerons pratiquent l'élevage des rosés sur lies dans le Val de Loire, la vallée du Rhône, la Provence ou le Bordelais, et sont convaincus de son intérêt. Sont-ils des pionniers ?

Cette méthode, initiée sur les blancs, développée sur les rouges, va-t-elle maintenant s'étendre aux rosés ? La pratique rencontre des limites inattendues. L'obstacle à son développement n'est pas technique. Les rosés se vendent bien et ne sont pas suffisamment valorisés pour que les vignerons y consacrent plus de travail et de temps. Et dans la plupart des esprits, le rosé reste un vin simple à faire. L'élevage sur lies fait figure d'option superflue !
A Tavel, les rosés charpentés, on connaît. Pourtant, très peu travaillent les lies. Au domaine des Carabiniers (Gard), Christian Leperchois entame sa cinquième année de pratique : ' J'avais de très bons résultats sur mes blancs. Maintenant, j'ai beaucoup plus de gras sur mes rosés. ' Ces rosés-là ne sont pas seulement des ' vins d'été '. Ils s'accordent avec de nombreux plats et possèdent une capacité de vieillissement. Leurs arômes évoluent vers les fruits bien mûrs, avec des notes grillées et épicées. Christian Leperchois produit 30 000 bouteilles de vins issus de l'agriculture biologique. Il pense que ses vins sont destinés à des consommateurs avertis, en particulier dans les restaurants ayant un sommelier.

Cela étant, certains rosés sur lies se vendent très bien en grande distribution, comme ceux d'Anjou et de Loire, amples et colorés, de Jean-François Vaillant, du domaine des Grandes Vignes à Thouarçé (Maine-et-loire). ' Cela faisait mal au coeur de jeter de si belles lies . ' Alors, depuis une dizaine d'années, l'ensemble de la cave est élevé sur lies, blancs secs ou moelleux, rouges et rosés, soit 2 500 hl. ' De cette façon, on essaie de repousser le plus possible le sulfitage pour que les vins évoluent différemment. Les arômes primaires restent plus longtemps et les tanins s'assèchent moins vite. '

Après fermentation malolactique, les rosés secs sont conservés sur lies totales, en cuve et sans SO 2. ' On ne soutire pas et on aère peu. Le CO 2 joue donc un rôle de conservateur naturel. ' Cependant, au départ, la matière première doit être irréprochable. La pourriture grise entraînerait des faux goûts. On observe donc les lies : elles doivent être d'une couleur vive et claire, de texture fine, ni collantes, ni lourdes. On les déguste aussi : elles ne doivent pas présenter de mauvais goût, ni d'odeur soufrée désagréable.
Le plus important est de débourber sévèrement avant fermentation pour n'avoir que des lies fines, et éviter tout problème de réduction. ' Mais je déconseille l'emploi d'enzymes. Ce serait trop draconien et éliminerait le floculat qui sert d'alimentation aux levures ', prévient Cécile Dulimbert, oenologue à la chambre de l'Entre-deux-Mers (Gironde).
François-Thomas Bon, au château de Lugagnac, à Pellegrue (Gironde), souhaite une turbidité du moût débourbé comprise entre 100 et 120 NTU. Le vice-président du syndicat des bordeaux et bordeaux supérieurs travaille ses rosés sur lies depuis quatre ans, entièrement à l'abri de l'air pour éviter les pertes d'arômes. Il brasse les cuves chaque jour pendant trois à quatre semaines, puis deux à trois fois par semaine pendant un mois, et stoppe tout mouvement dix jours avant le soutirage. ' On fait alors un soutirage large. On passe le fond de cuve qui contient les lies sur le filtre-presse. Ce que l'on récupère, de très bonne qualité, est réassemblé. '
Le bâtonnage s'effectue toujours avec du matériel simple. L'important est de pouvoir brasser tout le fond de la cuve pour remettre en suspension les lies.

La fréquence de bâtonnage est déterminée selon les ' besoins ' du vin. Jean-François Vaillant intervient au minimum tous les huit jours et au maximum une fois par mois. Il se sert d'un racleur, doté d'un long manche dans les cuves souterraines, et d'une pompe qu'il fait fonctionner en va-et-vient, créant des tourbillons propres à décoller les lies. Les cuves aériennes sont brassées avec une canne de large diamètre, fendue sur deux tiers de sa longueur, d'où sort le vin qui met les lies en mouvement. Christian Leperchois utilise un turbopigeur tous les deux jours. En décembre, il attend que les lies se déposent, puis soutire et prépare les rosés à la mise en bouteilles.
' Aujourd'hui, sur les 65 000 hl de bordeaux rosés, le pourcentage élevé sur lies est très faible. Mais la technique se développe doucement et risque même de se démocratiser ', estime François-Thomas Bon.

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