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Les chiffres d'affaires en berne

La vigne - n°149 - décembre 2003 - page 0

La relance des cours des vins en vrac, constatée dans quelques régions du fait du déficit de l'offre, ne devrait pas suffire à compenser les pertes de récolte. Au final, il faut s'attendre à des baisses des chiffres d'affaires.

'C'est sûr, le millésime 2003 ne sera pas difficile à vendre... J'ai perdu plus de la moitié de ma récolte. ' Derrière l'ironie, c'est la crainte de ne pas se relever de ce coup du sort ou, plus exactement, de ces multiples coups du sort. ' Le Beaujolais a tout eu cette année : gel, grêle, tempête et canicule ', rappelle avec amertume un responsable syndical. Comme l'explique Louis Pelletier, directeur de l'Union viticole, ' au final, nous avons rentré 35 % de moins qu'une récolte normale. Le déficit devrait s'élever à 830 000 hl '.
La faiblesse des volumes à commercialiser a provoqué une relance des cours. Le marché des primeurs a enregistré des hausses de près de 30 % par rapport à la campagne dernière. Une progression qu'il faut analyser avec prudence, dans la mesure où les prix du beaujolais étaient tombés relativement bas ces dernières années.
Voilà pour les chiffres. Reste que derrière ces statistiques, il y a des réalités bien plus poignantes. A Fleurie, certaines exploitations ont cumulé les catastrophes et n'ont même pas pu rentrer la moitié d'une récolte normale. ' J'ai fait évaluer la perte de chiffre d'affaires par un cabinet de gestion , raconte une viticultrice. L'expert m'a annoncé un déficit de 45 000 euros dans un an. Pour limiter la casse, il va falloir serrer les frais au maximum . ' Parfois, c'est le licenciement de l'unique salarié de l'exploitation. Souvent, on reconnaît faire des économies de bouts de chandelles : pas d'engrais, pas de remplacement des manquants...

Face à de telles situations, les problèmes sont multiples. Dans un premier temps, il faut parvenir à passer le cap financièrement. Il s'agit de jongler entre les dépenses. On demande à sa banque le décalage dans le temps d'un remboursement d'emprunt. On espère que les discussions paritaires sur le prix du fermage vont tenir compte des pertes de récolte... Du côté des recettes, on compte beaucoup sur les indemnités versées par le fonds de calamités... Mais surmonter cette première étape budgétaire ne suffit pas. Il faut aussi passer le cap commercial. ' C'est le plus inquiétant. Perdre un marché parce que nous ne pouvons pas l'approvisionner ou que nous avons mal géré son augmentation de prix est une vraie catastrophe. Nous avons du mal à nous en relever ', soutient un négociant. Plus la possibilité de substitution vers un autre vin est grande, plus le risque de perte est important. C'est ce qui tourmente les opérateurs du Languedoc-Roussillon : beaucoup craignent d'échouer sur les deux tableaux. ' La hausse des cours sera insuffisante pour compenser le manque de volume, mais trop importante pour conserver certains débouchés très concurrencés ', lance un producteur.

Selon Georges Tessier, du Cevilar (Comité économique des vins du Languedoc-Roussillon), il faut nuancer suivant le type de produits : ' Pour les appellations, et sauf à parier sur une relance des cours, les vignerons risquent de conjuguer prix bas et volumes faibles. A l'inverse, les producteurs de vins de table et de vins de pays de département devraient mieux tirer leur épingle du jeu. Ceux qui ont pu préserver leur récolte devraient profiter des cours élevés et voir leur chiffre d'affaires progresser. En revanche, le risque à plus long terme est de perdre des marchés car, comme en 1998, certains gros faiseurs pourraient se tourner vers les VDPCE. Pour les vins de pays d'Oc, la progression des cours est plus légère. En revanche, le problème va consister à gérer le manque de volume commercialisable. Plus qu'une baisse du chiffre d'affaires, ce qui est à craindre pour ces derniers, c'est de perdre des marchés, notamment à l'export. '
Dans cette région, une interrogation demeure : comment vont procéder les producteurs installés en zones mixtes ? Vont-ils privilégier la déclaration en AOC ? Certes, les rendements sont plus bas... Mais, en principe, les cours sont plus élevés à l'hectolitre... Reste qu'actuellement, ce marché demeure atone. Vont-ils jouer la carte des autres vins pour lesquels la demande est plus importante ? Outre l'opération arithmétique, les chefs d'exploitation vont devoir raisonner en termes d'opportunité commerciale et de trésorerie. Certains préfèreront un ' tiens ! ' à prix moyen plutôt que deux ' tu l'auras... ' à prix plus élevés.
Dans les régions d'AOC, la faible récolte, sans relancer vraiment le marché, semble avoir enrayé la baisse des cours. C'est le cas en Mâconnais sur les rouges. A Cahors, le déficit de récolte devrait assainir les stocks un peu élevés, la dernière campagne n'ayant pas été très active. Les observateurs reconnaissent que la faible vendange est un moindre mal dans un contexte de consommation en berne.
Seule ' privilégiée ', la Champagne qui n'est pas touchée, pour l'instant, par le contexte de récession : les prix à la consommation sont stables et les volumes commercialisés aussi. Dans ce vignoble, la profession a décidé le déblocage de la réserve qualitative.

' Le rendement moyen est descendu à 8 000 kg/ha, alors que nous avons droit à 11 400 kg/ha , explique Philippe Feneuil, président du Syndicat général des vignerons. Chaque vigneron pourra puiser dans sa réserve jusqu'à atteindre, au plus, 10 400 kg. Un producteur qui n'aurait récolté que 3 000 kg pourra sortir l'équivalent de 5 000 kg et commercialiser 8 000 kg. Les seuls cas délicats seront ceux des nouveaux installés qui n'ont pas eu le temps de se constituer une réserve. '
Fière de son système, la Champagne souhaite l'améliorer. Outre la possibilité de déblocage individuel, la profession voudrait procéder à une reconstitution individuelle des réserves, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. ' La décision de bloquer est prise collectivement. Or, imaginons qu'une partie des producteurs bénéficient d'une bonne récolte, importante en volume. Il est dommage de les empêcher de procéder à une mise en réserve, surtout que le déblocage peut être obtenu individuellement ', dit Philippe Feneuil. Une demande en ce sens a été effectuée auprès de l'Inao. Affaire à suivre...

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