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DOSSIER - Petite récolte : Amortir le choc

Petite récolte Amortir le choc

AURÉLIA AUTEXIER - La vigne - n°248 - décembre 2012 - page 24

Tout porte à croire que le prix des vins va progresser du fait de la petite récolte. C'est une bonne nouvelle pour la viticulture. Mais pour éviter de déchanter dans un an, les producteurs doivent bien négocier le virage commercial.
Le Val de Loire, le Beaujolais et la Champagne particulièrement touchés (Par rapport à la moyenne 2007-2011) Source : Agreste

Le Val de Loire, le Beaujolais et la Champagne particulièrement touchés (Par rapport à la moyenne 2007-2011) Source : Agreste

Le constat est unanime : la vendange 2012 est historiquement basse en France, en Europe et même au niveau mondial. Cette situation choc est de nature à modifier le rapport de force entre le négoce et la production en faveur de cette dernière.

Restructuration des linéaires de vin

« L'an passé, c'était déjà un peu le cas, estime un haut responsable de la production viticole. Et dans bien des régions, les cours du vrac se sont raffermis. En 2011-2012, la nouvelle donne n'était pas assimilée dans la tête de tous les viticulteurs. Cette campagne devrait être différente… »

« De toute façon, les producteurs n'auront pas d'autres choix que d'augmenter leur prix », relève un autre représentant de la profession.

Et c'est bien là la question : jusqu'où la revalorisation est-elle possible ? Car il faut amortir le choc de la petite récolte sans pour autant perdre ses marchés. Or, la grande distribution veille. En France, elle pèse d'un poids déterminant. 70 % des vins consommés à domicile sont achetés en grande distribution. Autant dire que les politiques d'achats de ces enseignes font le marché. En face, « la production est très atomisée. Nous sommes dispersés face à une poignée de gros négociants, lesquels travaillent avec trois enseignes de la grande distribution », analyse Boris Calmette, le président de la coopération viticole. « Quand vous présentez une hausse de prix à un distributeur, sa première réaction est d'aller voir ailleurs pour trouver moins cher », constate Franck Crouzet, responsable de la communication du groupe Castel, premier opérateur sur le marché du vin. Ce négociant considère qu'avec la petite récolte 2012, « certaines régions risquent de perdre des marchés en grande distribution au profit d'autres. Si les côtes-de-provence rosés deviennent beaucoup plus chers que les bordeaux rosés, certaines enseignes seront tentées de privilégier les seconds par rapport aux premiers ».

Les vins d'entrée de gamme risquent eux aussi de perdre des consommateurs. « Que ce soit en Espagne ou en France, il y a de moins en moins de vins pas chers, observe Bernard Girard, le directeur général du groupe Val d'Orbieu-Uccoar, premier groupe coopératif de la filière vin. Par rapport à cette pénurie, le plus gros risque est que le consommateur se détourne carrément du produit vin. Qu'il prenne d'autres habitudes. En consommant de la bière ou des sodas par exemple. »

La marge de manœuvre est donc étroite entre la nécessité de compenser la perte de récolte et celle de préserver ses débouchés.

Réserve en Champagne et à Cognac

Parmi les vignobles les plus touchés par la baisse de volume, certains disposent d'un système de réserve et s'en félicitent.

En Champagne, les années où la récolte est à la fois quantitative et qualitative, il est possible de produire plus que le rendement autorisé pour se constituer une réserve de vin, dénommé réserve individuelle. Celle-ci peut ensuite être débloquée par décision interprofessionnelle lorsque Dame Nature est moins généreuse, comme cette année, où la récolte est inférieure de 40 % par rapport à 2011 et de 37 % comparée à la moyenne quinquennale.

« Ce système apporte une sérénité face aux aléas climatiques. C'est comme une assurance récolte pour le viticulteur, note Thibaut Le Mailloux, le directeur de la communication du Comité Champagne. Le déblocage des réserves individuelles a permis à la production d'atteindre le rendement autorisé. Les viticulteurs ont pu vendanger en se concentrant sur la qualité du raisin. Ils ont effectué des tris rigoureux car ils n'étaient pas perturbés par la problématique des volumes. » Autre avantage de la réserve individuelle : elle apaise les rapports entre la production et le négoce. « La décision de libérer des vins est prise par l'interprofession et le déblocage est obligatoire. Cela garantit un approvisionnement au négoce et un revenu supplémentaire aux viticulteurs. Tout le monde y trouve son compte. »

Même analyse à Cognac, qui a mis en place une réserve climatique depuis 2008. Les producteurs ont le droit de mettre de côté l'équivalent de 5 hl d'alcool pur (AP) par hectare. « Aujourd'hui, nous avons 176 000 hl d'AP en réserve au niveau régional, indique Janine Bretagne, chef de service au Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC). Si on raisonne à l'échelle de la région, ce volume doit permettre de compenser le déficit de récolte auquel on s'attend. »

Contractualisation triennale en Val de Loire

En 2011, il y a eu 500 demandes d'utilisation de la réserve climatique. Cette année, le BNIC s'attend à beaucoup plus. La profession est tellement satisfaite de sa réserve climatique qu'elle va demander aux pouvoirs publics de porter le seuil à 7 hl d'AP par hectare.

En Val de Loire, l'interprofession table sur sa nouvelle génération de contrats interprofessionnels pluriannuels pour apaiser les tensions entre production et négoce.

« Il s'agit de véritables contrats de vente et non pas de simples contrats de fourniture, explique Jean-Martin Dutour, le président d'InterLoire. Les volumes comme les prix doivent être déterminables sur trois ans sans autre intervention des parties. Nous avons aussi précisé que 50 % du prix, au minimum, devait être fixe. Ces contrats ouvrent droit à des délais de paiement dérogatoires au droit commun. S'ils ne sont pas respectés, l'administration des fraudes est donc compétente pour agir. » En bordant ainsi juridiquement la relation contractuelle, l'interprofession espère que producteurs et négociants vont préférer la sérénité d'un engagement pluriannuel gagnant-gagnant plutôt que les spéculations à court terme du marché spot.

Selon InterLoire, 56 % des volumes contractualisés sur des raisins et des moûts cette année ont fait l'objet d'un contrat pluriannuel. Les deux tiers sont liés à un contrat comportant un prix variable, le tiers restant fait référence à un prix fixe.

Le nouvel environnement économique engendré par la petite récolte oblige la filière viticole à s'adapter. En amont comme en aval.

Conjoncture mondiale : une année déficitaire

Les années de surproduction chronique de vin à l'échelon mondial semblent bel et bien passées. Selon l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), la production mondiale de vin en 2012 s'établit entre 243,5 et 252,9 millions d'hl (Mhl). En milieu de fourchette, cela représente 248,2 Mhl, un niveau très faible selon les experts de l'OIV. Les principaux pays européens enregistrent un recul significatif par rapport à 2011. Seules exceptions : le Portugal et la Grèce, dont la production progresse par rapport à de modestes récoltes 2011. En Amérique du Sud, la situation est très contrastée : le Chili bat un record (10,9 Mhl, + 4 %) mais l'Argentine plonge (11,78 Mhl, - 24 %). Les États-Unis augmentent leur production mais, là aussi, par rapport à une petite récolte 2011 (20,55 Mhl + 7 %). Du côté de la consommation mondiale, les experts tablent sur 235,7 à 249,4 Mhl. Cette année, on estime que la production a dépassé de près de 5,7 Mhl la consommation mondiale. À première vue, on pourrait penser qu'il y a eu surproduction, mais il ne faut pas oublier les débouchés industriels (vinaigre, vermouths) à satisfaire. Or, ces débouchés sont supérieurs à 5,7 Mhl. 2012 apparaît donc comme une année déficitaire. La première depuis longtemps.

L'essentiel de l'offre

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