En raison de l'écart important entre les cours des touraines blanc et rouge, les vignerons ne plantent plus que du sauvignon, au risque de nuire à sa bonne santé. Mais personne ne dispose de chiffres précis et la réflexion sur l'avenir de l'AOC semble embryonnaire...
Quelle stratégie la Touraine doit-elle adopter pour garantir sa pérennité ? Il ne faut pas espérer de réponse unanime des professionnels et on cherche vainement une réflexion stratégique organisée. L'exemple est frappant dans l'AOC Touraine, la plus touchée par les difficultés économiques. La chambre d'agriculture du Loir-et-Cher alerte la profession depuis des années sur le décalage important entre les prix de revient, estimés à 122 euros/hl, et les cours descendus, en 2003, à 69 euros/hl pour les touraines rouges.
Malgré cela, il ne semble pas exister d'autre projet que la création d'appellations communales (Touraine-Chenonceaux, Touraine-Chaumont-sur-Loire et Touraine-Oisly). Or, cela risque de prendre encore quelques années et ne réglerait que partiellement le problème des 130 000 hl de touraine-gamay qui trouvent difficilement preneur.
Cet été, le Syndicat des producteurs a adressé un ultimatum au négoce, annonçant qu'il demanderait une procédure d'arrachage si les cours des rouges ne remontaient pas à 90 euros/hl. Même si cet objectif était atteint, on resterait en dessous du prix de revient. Les exploitations continueraient de se décapitaliser. Leur capacité d'investissement serait toujours pénalisée.
Faute de solution collective, chacun mise sur le sauvignon, dont les prix progressent depuis plusieurs années et qui a terminé la campagne 2002-2003 sur une moyenne de 127,43 euros/hl.
Tous confirment que les surfaces de gamay se réduisent, y compris par surgreffage, au profit du sauvignon. Un sondage sur les derniers dossiers d'aide à la restructuration, dans le Loir-et-Cher, montre que sur un total de 63 ha, 50 ha seront plantés en sauvignon. ' Et en dehors de Cheverny où certains domaines doivent rééquilibrer leur encépagement, il n'y a pratiquement pas de plantation de gamay ', explique Francis Minet, de la délégation régionale de l'Onivins, à Angers (Maine-et-Loire).
Personne ne semble disposer de chiffres précis sur les surfaces de sauvignon plantées ces dernières années et sur les volumes susceptibles d'être mis en marché ! En 2001, le sauvignon représentait 2 447 ha, soit près du tiers de l'encépagement des 7 472 ha en AOC Touraine, contre 26 % pour le gamay. Qu'en sera-t-il demain ?
Certains tirent la sonnette d'alarme, craignant un renversement du marché. Négociant à Saint-Georges-sur-Cher, Noël Bougrier exprime son inquiétude : ' Il me semble dangereux de croire que notre région pourra vivre du seul cépage sauvignon. Les cours sont à la hausse après trois années de faible récolte. Mais que se passera-t-il en année pleine et lorsque les jeunes plantations entreront en production ? Je suis d'autant plus inquiet que le repli en vin de pays sera difficile, car il est pratiquement privé de marché cette année. '
Face au déficit de récolte, les viticulteurs ont privilégié l'AOC. Alors que 70 000 à 80 000 hl de ce cépage étaient commercialisés en vin de pays chaque année, entre 1998 et 2001, le marché est tombé à 55 000 hl en 2002. Il sera encore plus restreint en 2003. Et on estime qu'une récolte 2004 sans accident climatique pourrait augmenter les volumes de touraine-sauvignon, les faisant passer de 110 000 à 140 000 hl, au risque de faire chuter les cours.
' Lorsque des vignerons nous interrogent, nous les incitons à planter du cot, à limiter l'arrachage de gamay, et surtout celui du cabernet franc. S'il est logique de réduire un peu le gamay, il faut préserver l'équilibre ', explique Franck Châtelain, oenologue de la maison Bougrier.
Pierre Chainier, négociant à Amboise, formule des préconisations inverses. Pour lui, il faut reconvertir progressivement l'appellation Touraine en blanc, vin facile d'accès, au fruité identifiable et qui s'exporte bien. ' Depuis quatre ans, les cours grimpent et il n'y a pas de raison que cela s'arrête. ' Et à ceux qui craignent qu'une augmentation de la production déstabilise le marché, il répond par avance que les 110 000 hl de touraine-sauvignon ne sont qu'une goutte dans l'océan des vins mondiaux.
Le négociant ne croit pas à l'avenir du gamay : ' Il ne correspond pas au goût demandé à l'export. Si les consommateurs plébiscitent les blancs septentrionaux, ils veulent en revanche des rouges méridionaux. '
Entre ces voix divergentes, les vignerons donnent l'avantage au sauvignon et à ses cours alléchants. Le gamay n'est pas le seul à en souffrir. Présidente de l'Union des maisons de fines bulles de Touraine, Annick Coucharrière se bat pour mettre fin à l'arrachage du chenin. Alors que Monmousseau, la maison qu'elle dirige, ouvre de nouveaux marchés au touraine effervescent, elle ne parvient pas à acheter les volumes de moût dont elle a besoin... ' Nous avons défini un cahier des charges avec la production, et nous nous sommes engagés à payer un supplément de 0,06 euros/hl pour cet effort qualitatif. Nous parvenons à un prix de 80 euros/hl de moût, soit l'équivalent de 91 euros/hl de vin fini, un cours bien supérieur à celui du touraine rouge. Malgré cela, il nous manque 3 000 hl ! '
Là encore, une réflexion stratégique semble nécessaire pour garantir la pérennité du chenin...