Grossistes en boissons, syndicats et interprofessions viticoles montent des opérations chez les restaurateurs pour encourager la consommation de vin au verre. Elles remportent un franc succès.
'Une bouteille de vin sur une table de restaurant pour une, voire deux personnes, c'est de moins en moins envisageable ', considère Jean-Laurent Maillard, directeur de l'Anivit. Et pour cause, depuis quelques années, la consommation de vin en France ne cesse de diminuer. On boit moins mais mieux. La peur du gendarme a accéléré cette baisse générale. C'est ' l'effet Sarkozy '. Il touche de plein fouet l'ensemble des CHR (cafés, hôtels, restaurants).
' Au premier semestre 2003, les ventes de bouteilles de vin au restaurant ont diminué de 10 à 30 % par rapport à l'année précédente. Paris n'échappe pas à la règle, malgré les transports en commun. Les gens ont pris conscience de la limite à ne pas dépasser. La répression contre l'alcool au volant est normale. Mais elle est telle que les consommateurs occasionnels n'osent même plus prendre un verre de vin ', constate Corinne Richard, de la Maison Richard, grossiste parisien.
Les professionnels réagissent en mettant plusieurs actions en place pour relancer la consommation. La promotion du vin au verre en est une. Elle répond à la fois aux attentes du consommateur et au problème de la sécurité routière. L'idée ne date pas d'hier. Elle est déjà exploitée par les bars à vin.
Comme le signale Jean-Laurent Maillard, ' il faut développer cette pratique, très répandue dans les pays anglo-saxons et en Europe du Nord, mais pas assez dans les pays méditerranéens '.
' La formule est intéressante, à condition qu'elle soit accessible par toute une tranche de population, comme celle des jeunes de 25 à 30 ans, et que le prix ne soit pas décourageant. Elle ne marchera que si tous les acteurs de la filière et les restaurateurs travaillent de concert pour la promouvoir. Un dispositif est en préparation ', précise Patrick Rousseau de l'Afivin. ' Il faut sortir de la consommation traditionnelle en bouteille qui fait peur ', ajoute Michelle Vernoux, responsable de la communication du Syndicat viticole de bordeaux et bordeaux supérieur. Ce dernier a lancé, il y a deux ans, l'opération ' Happy Bordeaux ', à raison de deux vagues par an. Le concept est le suivant : pour l'achat d'un verre de vin, le deuxième est gratuit. Il cible la clientèle jeune des bars et des brasseries de moyenne gamme.
Une cinquantaine d'établissements de la région bordelaise ont participé à chaque vague. Le syndicat s'est occupé de convaincre les restaurateurs, négociants et distributeurs de l'intérêt de l'opération. Puis, il s'est chargé de la communication auprès des radios, de la presse quotidienne régionale, de l'affichage et du matériel de PLV (promotion sur le lieu de vente) : sets de table, chevalets, banderoles, affichettes. Selon Michelle Vernoux, les différentes opérations ' ont généré des dynamiques au sein des établissements. Elles ont permis aux consommateurs de découvrir la diversité et l'accessibilité des appellations Bordeaux et Bordeaux supérieurs. Les jeunes, notamment les femmes, ont vu qu'ils pouvaient boire autre chose que des alcools forts en apéritif '.
De son côté, l'Anivit soutient les initiatives de deux grossistes en boissons : Elidis et la Maison Richard. En novembre et décembre 2003, Elidis a mis en place trois types de kits auprès de ses clients (bistrots, cafés, brasseries, restaurants). L'un concernait les vins de Bordeaux et a été financé par le CIVB, les deux autres ont été financés par l'Anivit pour inciter à la dégustation au verre de vins de pays. Au total, 2 000 kits (ardoise, affiche, matériel PLV...) ont été fabriqués en France, et plus du tiers ont déjà été implantés. L'opération va se poursuivre cette année.
La Maison Richard va plus loin. Elle a mis en place le concept ' Autour d'un verre ' en mars 2003. ' Nous avons fait fabriquer un verre spécial dégustation par Spiegeleau : le verre expert. Il se fond dans tous les univers : brasseries, restaurants, bars à vins... Il est idéal pour la dégustation. Un marquage discret (trois petits points) indique la contenance à 15 cl, ce qui permet de servir cinq verres avec une bouteille. Le coeur de cible se situe entre 2 et 4 euros le verre ', expose Corinne Richard.
La Maison Richard met gratuitement ces verres à disposition de ses clients souhaitant commercialiser le vin au verre. Pour mettre en avant l'opération, elle leur fournit des minicartes faites sur mesure, présentant une sélection de cinq à six vins, des ardoises, des vasques à mettre sur le comptoir. Du fait du développement de ce concept, elle a récemment mis au point des petites collerettes, afin que les serveurs ne confondent pas les verres.
Depuis le début, elle a distribué environ 20 000 verres dans la région parisienne. Un peu plus de 600 clients ont joué le jeu. Ils ont dopé leurs ventes en 2003 ' de 10 à 30 % par rapport à 2002 ', d'après Corinne Richard.
Selon Valérie Pontoizeau, responsable du salon de thé ' Un air de famille ', dans le 17 e arrondissement de Paris, l'opération est très bien perçue par les clients. ' Le midi, ils boivent plus facilement un verre qu'un pichet. Cela leur permet de découvrir un produit sympa . ' Au Café ' Les oiseaux ', dans le 6 e arrondissement parisien, le responsable Jean-François Roux est également satisfait de l'opération. ' Elle a permis d'élargir la carte, de mieux valoriser le vin et de cibler une autre clientèle. Elle permet de favoriser d'autres moments de consommation. Par exemple, le soir à l'apéritif, certains consommateurs vont préférer un verre de vin, moins cher qu'un alcool fort . '
Du côté des consommateurs, le vin au verre est également bien perçu. ' Au restaurant, je commande rarement une bouteille, car c'est trop cher. J'opte plutôt pour un pichet, mais le vin est de moins bonne qualité. Le vin au verre est une bonne solution, à condition que ce soit de vrais verres ', explique un consommateur.
Ce mode de consommation semble donc être l'une des solutions pour redynamiser le vin au restaurant. Cependant, il pose des problèmes pratiques de logistique et de conservation de la bouteille ouverte. ' Il nécessite une adaptation énorme des distributeurs et des restaurateurs ', estime Mathilde Veyre, responsable développement vin chez Elidis.