Midi, le 25 février, place Saint-Vincent, Chalon-sur-Saône : 2 000 vignerons se condamnent au silence et posent un bâillon blanc sur leur bouche. Ils protestent contre l'interdit, prononcé par le tribunal de grande instance de Paris le 6 janvier, à l'encontre de la campagne de communication pour les vins de Bourgogne, menée par l'interprofession. Pendant quelques instants, le silence règne. Les organisateurs de l'événement ont réussi leur pari. La démonstration est restée digne. Pourtant, slogans et banderoles en témoignent : la colère gronde. ' On n'est pas des dealers, on n'est pas des tueurs ', affirme la bannière en tête du défilé. ' Je viens défendre les dames !', lance ce vigneron de Côte Rôtie. ' Celles de la pub ! ', précise son collègue des Côtes du Rhône. Et de brandir, sur une pancarte, l'une des affiches publicitaires interdites par le juge des référés parisien. On y voit... ' Eh oui, plus question de comparer la robe d'un grand vin de Bourgogne à celle d'une jolie femme. Vraiment, on ne comprend pas , soupire notre homme. Elles n'avaient rien de provocant ces affiches. ' L'incompréhension est générale.
Pour les Bourguignons, la censure est tombée comme un soufflet. Ils en font une question d'honneur. L'un d'eux, viticulteur à Vosne-Romanée (Côte-d'Or), explique, désabusé : ' Nous représentons l'une des plus grandes richesses de la France. Nous rapportons beaucoup de devises. Pourtant, nous sommes traités comme si nous étions de simples vendeurs de breuvage alcoolique . ' La raison profonde du mécontentement est là. Les manifestants sont unanimes. La décision judiciaire du 6 janvier marque le signe d'un profond malaise : quelle place le vin a-t-il aujourd'hui dans la société française ?
Les Bourguignons n'étaient pas descendus dans la rue depuis plus de dix ans. S'ils sont venus si nombreux, souvent en famille, c'est pour défendre le métier dont ils sont fiers. Souvent, cette passion se transmet de père en fils. Témoin, ces deux jeunes garçons d'une douzaine d'années qui tiennent, à bout de bras, leur banderole : ' On veut devenir vignerons, pas bandits ! '
Un peu plus tôt dans la matinée, entre pétards et cornes de brume, la foule a remonté les rues du centre-ville. Arrivés à la sous-préfecture, les responsables professionnels ont rencontré le représentant de l'Etat : échange de motions, de politesses. Quand on manifeste en Bourgogne, c'est sans le moindre débordement. Pendant une demi-heure, le cortège a stationné dans le calme et le froid. Les manifestants en ont profité pour offrir un verre de vin blanc aux passants.
Parmi les élus de la région, à l'avant du cortège, des maires de commune viticoles. La plupart sont eux-mêmes vignerons. L'un d'eux explique : ' Il y en a assez des discours réducteurs. Défendre nos produits ne signifie pas encourager l'alcoolisme. Depuis vingt ans, la consommation de vin ne cesse de diminuer et celle de spiritueux progresse. Dans le même temps, le nombre de malades alcooliques est resté stable. ' Le cortège de manifestants suit un char, sur lequel une guillotine est installée, prête à sectionner la tête d'une bouteille de montagny.
Un peu plus loin, derrière, les manifestants scandent : ' Raffarin au turbin ! Défends nos vins ! ' Ils sont venus de toute la Bourgogne, mais pas seulement. Des pancartes attestent de la présence de délégations du Bordelais, de la Champagne, du Val de Loire... La récente assignation, menée par l'Association nationale de prévention en alcoologie contre la campagne de communication bordelaise, confortent ces manifestants dans l'idée d'une nécessaire solidarité.