Les vignerons sont embarrassés. Ils ne savent pas comment conseiller la prudence à leurs clients conducteurs, lors des dégustations. Mais quelques-uns prennent les devants. Ils travaillent avec la sécurité routière, proposent des alcootests ou incitent leurs visiteurs à cracher après avoir dégusté.
Le sujet est délicat. Lorsque l'on interroge des professionnels de la vente au caveau sur la manière dont ils abordent, avec leurs clients, les risques de l'alcoolémie au volant, beaucoup se sentent gênés. ' Nous n'abordons pas la question ', reconnaît Jean-Philippe Hugel, de la maison du même nom, située à Riquewihr (Haut-Rhin), sur la route des vins d'Alsace : ' Nous estimons que nos clients sont responsables, conscients des risques de l'abus. Nous mettons à leur disposition des crachoirs. A eux de décider, s'ils s'en servent ou pas. ' Et de poursuivre : ' Dans les faits, il est difficile d'estimer si une personne a trop bu ou pas. '
Propos partagés par Brigitte Grivet, productrice de Côtes de Provence, à Lorgues (Var) : ' Nous ne sommes pas médecins. Bien sûr, si une personne ne recrache pas et multiplie les dégustations, nous tentons de freiner sa consommation. Nous versons des petits verres et faisons traîner... Reste que d'un individu à l'autre, la résistance n'est pas la même. Au final, sauf cas extrêmes, je ne me sens pas apte à déterminer si quelqu'un peut ou non conduire en toute sécurité. ' Comme le serine cette habituée de la vente au caveau, ' le problème est qu'à vouloir trop responsabiliser les personnes comme nous, les principaux intéressés finissent par être déresponsabilisés ! J'ai de nombreux visiteurs étrangers et je constate que les Scandinaves ont une vraie discipline. Le conducteur ne déguste jamais. C'est ce comportement qu'il faut encourager. '
La première chose à faire est de mettre à disposition des crachoirs. Les poser bien en évidence. Il faut aussi montrer l'exemple en les utilisant lors de la dégustation. Tout le monde est unanime pour s'interdire toute incitation à l'abus, tout comportement pousse au crime. Comme témoigne une viticultrice, la relation avec son acheteur est humaine avant d'être commerciale : ' J'ai croisé par hasard l'une de mes clientes. Je ne l'avais plus vue depuis plusieurs mois. Elle m'a avoué sortir d'une cure de désintoxication alcoolique. De retour chez moi, j'ai pensé à la retirer immédiatement de ma liste de mailing. Je n'aurais pas voulu, par mégarde, lui envoyer un courrier qui aurait pu la tenter. ' Sans tomber dans les extrêmes du client alcoolique ou du visiteur manifestement ivre, il reste que les professionnels du secteur sont, le plus souvent, désemparés face au problème de l'alcoolémie au volant. Heureusement, quelques initiatives originales apparaissent. Le domaine de la Présidente, à Sainte-Cécile-les-Vignes (Vaucluse), reçoit au moins dix visiteurs par jour en période estivale. Pour la prochaine saison, René Aubert, à la tête de l'exploitation, compte proposer des alcootests à la vente. Il explique sa démarche : ' Il y a une vraie appréhension du contrôle routier. Pour faire face à cette peur, parfois irrationnelle, il faut rassurer son interlocuteur par des moyens rationnels. L'idéal serait d'avoir un véritable éthylomètre électronique. C'est le seul appareil vraiment fiable pour mesurer l'alcoolémie. Cela coûte plus de 1 200 euros. C'est un investissement qui mérite réflexion. Pour le moment, je vais tester l'accueil que mes visiteurs vont réserver aux alcootests . '
Le meilleur moyen dont disposent les vignerons pour s'adapter aux nouveaux comportements de leurs concitoyens reste l'information. Cette carte, le syndicat de l'AOC Bourgueil, la joue pour son prochain salon des vins organisé en plein centre-ville de Tours, le 20 mars prochain. ' Pour la première fois, nous allons accueillir parmi nous un stand de la prévention routière ', explique Philippe Boucard, le président. ' A l'entrée, nous allons remettre aux visiteurs le verre de dégustation, un petit éthylotest et une brochure qui expose les quatre étapes d'une bonne dégustation, à savoir : voir, humer, mettre en bouche et ne pas oublier de cracher. '
Chez les Vignerons indépendants de France, organisateurs de nombreux salons en France, le sujet de l'alcoolémie au volant est pris très au sérieux. ' Nous comptons rencontrer le délégué interministériel de la sécurité routière pour trouver des actions communes sur ce sujet , explique Florence Corre, chargée de la communication. Pour commencer, lors de notre salon de Strasbourg, nous irons visiter la manifestation avec quelques responsables locaux. Nous voulons leur montrer comment se passent ces journées, afin de mettre en place des actions adéquates. '
La démarche la plus aboutie sur ce délicat problème reste celle menée par la Fédération des vignerons indépendants de l'Ardèche. Son président, Denis Manent, a eu l'idée de jouer sur l'expression bien connue ' Juré, craché '. Une affiche, à la fois amusante et très parlante, montre un automobiliste arrêté par un gendarme en vue d'un contrôle d'alcoolémie. Le conducteur reste confiant, comme l'explique le dessin : il n'a rien bu... C'est juré ! Il a pensé à cracher. L'affiche sera exposée dans tous les caveaux des vignerons membres du syndicat. A quand une généralisation nationale ?