ImprimerFace à une pression médiatique qui stigmatise le vin, les Vignerons indépendants communiquent en faveur d'une consommation responsable. Le message passe d'autant mieux qu'il est donné par des professionnels.
'C'est vrai, M'sieur l'agent, j'ai dégusté d'excellents vins, mais je n'ai pas bu. Juré, craché ', promet un conducteur. Un gendarme vient de l'arrêter pour le soumettre à un contrôle d'alcoolémie. Cette scène, croquée sur une affiche, est placardée dans plusieurs caveaux de Vignerons indépendants de l'Ardèche. Ce syndicat a voulu jouer la carte de l'humour pour inciter les clients à recracher lors d'une dégustation. Depuis le début de l'année, il propose l'affiche à ses adhérents. ' Cracher est un terme difficile en communication. Nous avons choisi une expression un peu infantile qui a un côté positif et humoristique ', considère Denis Manent, président de la Fédération de l'Ardèche. Dans son caveau, il apprend à ses clients à cracher sous forme de jeu : celui qui fait tomber du vin a un gage. La méthode fonctionne bien.
Au niveau national, les Vignerons indépendants de France ont repris l'idée. Mais leur démarche est plus sobre. Et elle n'est pas focalisée sur l'acte de cracher. ' La consommation responsable, c'est quoi ? Le respect de soi, du produit et des autres. Parlons-en ! ' Depuis cet été, l'affiche trône dans les caveaux des Vignerons indépendants. Elle a été élaborée par les Vif eux-mêmes et distribuée avec des dépliants à tous les adhérents. ' Notre organisation professionnelle est bien consciente des problèmes de santé publique que peut entraîner une consommation abusive d'alcool. Mais nous pensons fermement que ce n'est pas en interdisant que ces problèmes disparaîtront. Au contraire, il faut informer et éduquer les consommateurs ', prône Xavier de Volontat, président des Vif.
Face à la pression médiatique, l'enjeu est de taille. Il s'agit de pérenniser le vin, tout en rappelant qu'il contient de l'alcool et qu'il faut éviter les abus. Les affiches et les dépliants ne se veulent pas purement explicatifs. Ils ont pour objectif d'interpeller le consommateur pour que s'instaure un dialogue. De l'avis des Vif, le bilan est plutôt positif. ' Les consommateurs ont soif d'informations, car les médias les ont désinformés, apeurés. Dès la première gorgée, ils se sentent coupables et délinquants. On a diabolisé le produit sans quantifier les choses. L'affiche les a rassurés, car ils pensaient que bientôt, ils ne pourraient plus boire. Avec la réglette d'InterLoire, on leur montre, selon leur sexe et leur poids, quel est le taux d'alcoolémie qu'ils ont après avoir bu un verre, à jeun et au cours d'un repas. La majorité sont surpris d'apprendre qu'en buvant deux verres, ils sont dans les clous. Quant aux plus avertis, ils sont étonnés de voir que l'on est obligé d'avoir un message éducatif ', témoigne Michel Delanoue, vigneron à Benais en Indre-et-Loire. L'affiche est aussi prétexte à discuter de la politique qui tend à dévaloriser le vin, de l'attitude de la société en général, de la responsabilité des gens.
Selon Mireille Collomb, du domaine des Oullières à Lambesc, dans les Bouches-du-Rhône, les clients baignent dans un tel matraquage médiatique qu'ils sont attentistes et hésitants, lorsqu'ils doivent déguster un vin : ' J'y vais ou j'y vais pas ? ', semblent-ils se dire. ' Il y a toujours au moins une personne qui refuse de déguster . ' Mireille Collomb tient des crachoirs à la disposition des clients et leur explique qu'ils peuvent s'en servir. Elle rappelle qu'une dégustation permet de sélectionner un vin et que les verres ne sont jamais pleins. ' Il y a toute une éducation à faire autour de la dégustation. Certains amateurs savent déguster et recracher. D'autres ont besoin d'avaler pour sentir les saveurs, pour se faire une idée du produit. Lorsqu'on leur dit qu'ils peuvent cracher, ils ne veulent pas ou ne savent pas . '
Mireille Collomb explique que certains clients, en voyant l'affiche sur la consommation responsable, réagissent vivement. Ce n'est pas l'affiche en elle-même qu'ils dénoncent, mais elle réveille leur ras le bol des interdits et ils le manifestent. Dans ces cas-là, Mireille Collomb calme le jeu. ' Nous donnons une information positive. Nous n'interdisons pas, nous prônons une consommation modérée. Le message passe différemment. Il passe d'autant mieux qu'il est donné par des professionnels ', considère Mireille Collomb. Michel Torné, propriétaire du domaine de Mont Redon, à la Crau (Var), estime à 40 % la part des clients qui accueillent mal la démarche. Selon lui, les étrangers ont plus de mal à être sensibilisés. ' Ils sont en vacances et lorsque l'on n'est pas dans son pays, on est un peu plus dissipé '.
Même auprès de certains vignerons, la démarche ne passe pas. Ils ne se sentent pas concernés. Daniel Mouty, président de la Fédération des vignerons indépendants d'Aquitaine, en fait partie. Cependant, en raison de ses fonctions au sein des Vif, il joue le jeu. ' Je n'ai jamais eu la sensation qu'une personne s'arrêtait chez moi pour se saouler. Ma clientèle achète des bouteilles pour des réceptions, des dîners, pour se faire plaisir. Un client sur deux ne veut même pas goûter. J'estime que c'est plutôt le rôle du médecin ou du patron de discothèque de communiquer sur la consommation responsable. '
PLUS
Un moyen de pérenniser la production de vin.
MOINS
Un sujet de division professionnelle.
Des vignerons pensent que ce n'est pas à eux de prôner la consommation responsable.
