Les jeunes se sont massivement détournés du vin. Si rien n'est fait, leur désintérêt sera également durable. Pour reconquérir ce public, il ne faut pas se présenter à lui avec une offre sophistiquée.
Jusqu'à ces derniers mois, on s'accommodait de la baisse de la consommation de vin en France. Elle était compensée par la conquête de nouveaux marchés à l'exportation. C'était le prix à payer pour voir disparaître les alcooliques accros aux '6 étoiles', ceux qu'on nous jette à la figure lors de chaque débat sur la santé publique. Dans le même temps, la profession a fait un effort important pour monter en gamme et repositionner le vin, afin d'en faire la boisson des repas festifs, entre amis ou en famille, et non plus celle du quotidien, nécessairement terne. Les jeunes ont intégré le message. Dans les foyers familiaux, l'habitude s'est totalement perdue de les voir consommer régulièrement du vin. En 2000, seulement 1,4 % des 15-25 ans habitant chez leurs parents la perpétuait. En 1980, la moitié de cette population ne buvait jamais de vin. En 2000, la proportion d'abstinents était passée à 80 %. Selon ces chiffres issus de l'enquête de l'Inra et de l'Onivins, les jeunes se sont donc détournés du vin. Et lorsqu'ils s'installent dans leurs murs, ils s'y intéressent à peine plus. La société d'étude TNS-Sécodip évalue que l'an dernier, un foyer de jeunes célibataires a acheté 13 bouteilles, en moyenne, alors qu'un foyer de seniors (plus de 65 ans) en a acheté 108, soit plus que tout autre.
En quelques années, le vin est donc devenu une boisson de vieux.
Jusqu'à ces derniers temps, on ne ressentait pas la gravité de cette évolution. On supposait que les jeunes ne faisaient que retarder le moment de consommer du vin. A vouloir s'opposer à cette tendance, les vignerons risquaient d'être recouverts, par les ligues antialcooliques, des habits du diable, tentateur des adolescents. Mais ces adolescents cèdent à d'autres tentations ! Plus grave, d'autres enquêtes montrent que la consommation des jeunes adultes est fortement liée à celle de leur foyer familial. Les abstinents, par goût ou par ignorance, sortent de familles où l'on ne boit pas ou peu. Lorsqu'on ne découvre pas le vin auprès de ses parents, on a peu d'occasions d'y venir par la suite. Voilà qui nous prépare un triste monde de buveurs d'eau plate, et non pas de consommateurs éclairés et raisonnables, parce que d'âge mûr. Voilà qui nous prépare également un public que seuls des opérateurs dotés de puissants moyens de communication pourraient faire changer d'avis, à coups de matraquage publicitaire. En clair, une porte de sortie pour la viticulture traditionnelle. Il est temps de réagir. Actuellement, plus du tiers des Français ne boivent jamais de vin, dont la consommation régulière et modérée est pourtant un bienfait pour la santé. Par ailleurs, de nombreux jeunes adultes n'attendent qu'une chose : que le monde du vin s'intéresse à eux, qu'il les initie mais en toute simplicité.
On ne peut pas espérer reconquérir ce public avec une offre sophistiquée. Il faut en revenir au quotidien, au vin que l'on peut servir et boire tous les jours à table. La viticulture en a déjà produit. Ils étaient maigres, acides et souvent verts. Hors de question de recommencer. Cette fois, il faudra qu'ils soient frais, fruités et souples. Et nos concitoyens verront qu'ils rehausseront leurs repas ordinaires. Ils quitteront leur table plus détendus et plus heureux que s'ils avaient simplement bu de l'eau.