Le vin ne partage plus le pain quotidien des Français. L'eau en bouteilles est devenue la boisson d'accompagnement préférée des repas de tous les jours.
Le vin, invité d'honneur dans les repas d'autrefois, cède sa place aujourd'hui à l'eau en bouteilles. Il y a vingt-cinq ans, un Français sur deux en consommait à table, contre un sur quatre aujourd'hui. Dans le même temps, les eaux en bouteilles, les sodas drink et les jus de fruits ont effectué une percée. Leur niveau de consommation a plus que doublé entre 1985 et 2000, passant de 104 à 241 l par an par habitant.
Est-ce à dire que la France est le pays de l'abstinence ? Pas vraiment, car dans la famille des boissons alcoolisées, seul le vin est en baisse. Certes, il reste la source principale d'apport d'alcool des Français, et c'est la seule boisson alcoolisée présente au cours du repas. Ce constat joue d'ailleurs en défaveur de la filière vinicole : les partisans de la lutte contre l'alcoolisme le mettent en avant pour refuser une quelconque exception viticole dans la politique de santé publique.
Le mécanisme de régression du marché intérieur français est bien connu : la part des consommateurs réguliers recule. La cohorte des buveurs occasionnels (hebdomadaires ou mensuels) est devenue majoritaire (63 %). Et non seulement ils boivent moins que des réguliers mais, de plus, ils consomment de moins en moins de vin... ' Entre 1980 et 2000, on observe une baisse du niveau de consommation annuelle de 1,5 % pour les consommateurs hebdomadaires et de 2 % pour les mensuels ', explique Christain Melani, de l'Onivins.
De plus, les buveurs réguliers sont plus âgés que les occasionnels, et donc logiquement amenés à disparaître en premier. On comprend donc que les projections réalisées par les experts n'ont rien d'optimiste. L'Inra de Montpellier estime qu'à l'horizon 2010, un ratio de 25 à 30 buveurs quotidiens de vin pour 75 à 70 consommateurs occasionnels est possible.
Face à ce constat global pessimiste, une lueur d'espoir est apparue au milieu des années 90. ' Sur les deux décennies antérieures, la consommation de vin a diminué de 700 000 hl par an. Depuis 1996, la baisse n'est plus que de 150 000 hl. Cela signifie que la tendance s'est infléchie ', affirme Pierre Leclerc, directeur du Cevise. Pour ce défenseur acharné du programme ' Vin et santé ', il est fondamental de reconnaître le changement d'évolution apparu vers 1995-1996 et d'en comprendre les causes. Pour cela, il a réuni, le 28 janvier dernier, quatorze analystes de la filière. Objectif : élaborer un consensus autour des statistiques. Celui-ci a pu être trouvé. Pour les experts, la consommation actuelle de vin serait inférieure de 5 Mhl à ce qu'elle est si l'évolution antérieure aux années 1995-1996 s'était poursuivie. Sur ce gain de 5 Mhl, ils ont estimé que 1 à 1,5 Mhl sont dus aux achats des Anglais à Calais, et de bien d'autres.
Reste que pour Pierre Leclerc, ce consensus est insuffisant. Pour le directeur du Cevise, l'inflexion s'explique par l'apparition des discours scientifiques sur les effets bénéfiques du vin. Ces derniers ont été médiatisés en France, courant 1993. Selon lui, les mêmes causes produisant les mêmes effets, il suffirait d'intensifier la communication sur le sujet pour relancer la demande de vin.
Pour le moment, ses arguments n'ont pas convaincu les analystes de la filière. Certains font valoir que d'autres phénomènes ont pu jouer sur le ralentissement de la baisse : des raisons statistiques comme la réforme des contributions indirectes, des causes sociologiques comme l'idée d'un seuil ' incompressible ' de consommation de vin... Pour la plupart des experts, il est encore trop tôt pour faire de l'économétrie sur les dix dernières années.