En plein essor dans les rayons français, les rosés séduisent les jeunes et partent à la conquête des pays non producteurs. Ils bénéficient d'un statut intermédiaire entre vin et boisson.
Les ventes de rosés sont les seules à progresser en grandes surfaces, selon le panel Infoscan-Iri. A fin avril, sur douze mois, elles ont gagné 7,5 % en volume quand celles de blancs et de rouges perdaient respectivement 1 % et 5 %. En valeur, elles affichent une croissance de 12 %, contre seulement 2 % pour les blancs et un recul de 2 % pour les rouges. En effet, non seulement le nombre de bouteilles vendues progresse, mais leur prix moyen aussi. Et ces hausses concernent toutes les catégories de vins (AOC, VDP et VDT), sauf les vins étrangers. Au sein des appellations, la Provence cède des parts de marché tout en poursuivant sa croissance, au profit du Languedoc-Roussillon, du Bordelais et de la vallée de la Loire.
' Le marché du rosé se développe depuis dix ou quinze ans. Du coup, tout le monde y regarde de plus près ', schématise Jérémy Arnaud, au Comité interprofessionnel des vins de Provence (CIVP). Dans ce laps de temps, le consommateur a changé de point de vue sur le vin en général, sur le rosé en particulier. En Provence, on n'hésite pas à parler de ' l'esprit rosé ' pour expliquer le succès de cette couleur. Cet esprit, c'est une version colorée du fameux carpe diem romain, ce mot d'ordre qui nous rappelle que la vie est courte et qu'il faut en savourer chaque instant. Avec le rosé, pas de souci. Plus besoin de parler du vin pendant des heures avec des mots d'experts. Il est simple d'accès, ' il participe à l'ambiance, au plaisir du moment présent '. Ce n'est pas un vin de garde ? Qu'importe, puisque de nombreux consommateurs ne disposent pas d'une cave et ' ne souhaitent plus reporter le plaisir de la consommation à plus tard ', soutient Jérémy Arnaud.
Le rosé se situe à la frontière de l'univers des boissons et de celui du vin. ' Le fait de flirter avec les boissons nous permet de bénéficier de leurs tendances de consommation ', se réjouit Jérémy Arnaud : ce sont des vins faciles à acheter et leur présence à table devient évidente. C'est en partie ce qui explique son récent succès dans les pays non producteurs, comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. ' La filière croit que le rosé ne s'exporte pas , analyse l'économiste provençal. Elle n'a pas d'autre ambition que de satisfaire une demande 'locale'. Or, quand on propose un rosé de qualité dans un pays non producteur, la graine s'enracine. ' De domestique, le rosé deviendra international, sous réserve d'un peu plus d'investissement promotionnel. Le Royaume-Uni achète depuis plusieurs années des rosés et cabernets d'Anjou. La Provence lui fait de l'oeil, estimant que ce pays s'inscrit parfaitement dans l'esprit rosé. Sa part de marché au Royaume-Uni, quoique encore anecdotique, est en croissance : de 3 % de bouteilles vendues en 2002, elle est passée à près de 4 % en 2003, selon le CIVP.
Sur ces nouveaux marchés, ' il n'est pas de développement possible pour les vins rosés basiques ', clame Jérémy Arnaud. Les Provençaux l'ont bien compris, en communiquant sur leurs terroirs. Ils entendent bien conserver leur leadership et ne pas laisser la place aux régions opportunistes, qui cherchent une issue à leurs difficultés.