Alors que les ventes de rouges et de blancs restent en retrait, celles de vins rosés continuent de croître. La Provence demeure la locomotive de ce marché, mais doit faire face à de nouveaux compétiteurs.
Les vins rosés affichent, depuis trois campagnes, une santé à faire pâlir les rouges. Dans une conjoncture morose, ils sont les seuls à tirer leur épingle du jeu. Leur nature simple et plaisante séduit les consommateurs. Dans le même temps, leur qualité gustative progresse. ' Le rosé accompagne l'évolution des styles de vie vers des repas simples et déstructurés, explique François Millo, directeur du Comité interprofessionnel des Côtes de Provence (CIVCP). Ce vin ne requiert pas de connaissances approfondies. Il se situe en décalage par rapport à l'univers classique du vin et sa couleur représente l'affection. Ces deux éléments, le décalage et l'affection, lui confèrent un capital de sympathie. ' Bref, les rosés sont tendance.
En grande distribution, où ils sont majoritairement diffusés, leurs ventes en volume ont progressé de 0,8 % entre 2001 et 2002, alors que celles des rouges et des blancs ont baissé respectivement de 3,4 % et de 1,7 % (source Iri- CIVCP). Ces hausses ont été enregistrées malgré un été maussade, principale période de consommation. ' L'augmentation des ventes au printemps a permis de compenser la baisse estivale, estime Jérémy Arnaud, responsable du service économie au CIVCP. De plus en plus, nous assistons à un étalement de la demande dans le temps. ' Avec ces résultats, les rosés confortent leur seconde place, arrachée aux blancs dès 1994 en grande distribution et, depuis 1999, dans tous les circuits, sauf celui de la restauration. Cependant, ces performances ne concernent pas tous les rosés. Seules deux catégories progressent : les VQPRD et les vins de pays de cépages.
La Provence, qui représente la moitié de l'offre de VQPRD rosés avec 1 million d'hectolitres, est la première à profiter de l'appétit du marché. Pour preuve, les Côtes de Provence ont battu, l'an dernier, un nouveau record de commercialisation. 965 421 hl ont été mis en marché, contre 945 789 hl en 2001. ' Au 31 juillet 2002, les stocks étaient au plus bas, signale Jérémy Arnaud. Les opérateurs ont été confrontés à des difficultés d'approvisionnement en fin de campagne. ' Cela se traduit par une hausse des prix du vin en vrac et en bouteilles dans les linéaires. Mais le vignoble ne semble pas s'en inquiéter. ' Cette inflation doit se doubler d'une montée en puissance de l'image de nos vins, estime François Millo. L'avènement de l'interprofession régionale, réunissant les Côtes de Provence, les Coteaux d'Aix-en-Provence ainsi que les Coteaux varois, dotée de moyens plus musclés, devrait permettre d'y parvenir. '
Le Val de Loire, seconde région productrice en volume, profite aussi de l'engouement actuel. Plus particulièrement son fer de lance, le Cabernet d'Anjou. Les disponibilités se trouvaient au plus bas à la fin de la dernière campagne. D'autres vignobles ont décidé de se positionner sur le créneau. Bordeaux y fait une percée remarquée, s'appuyant sur deux produits : le rosé et le clairet. En 2001, leur production a atteint un record avec près de 150 000 hl, en hausse de 27 % par rapport à 2000. En revanche, l'année dernière, elle a reculé à 130 000 hl.
Rosés et clairets ont accru leur diffusion dans les circuits de distribution. 85 % des grandes surfaces les proposent aujourd'hui, contre seulement la moitié d'entre elles en 1994. Résultat, ces vins grignotent des parts de marché à leurs adversaires. Au sein des VQPRD, leur part est passée de 3,4 % en 1994 à 5,2 % en 2002. Pour accompagner le mouvement, le Syndicat des vins de Bordeaux mène une campagne de communication, l'été, sur la côte Atlantique. Il y a peu, il a étendu l'opération à la Bretagne et à la Belgique.
Le Sud-Ouest s'intéresse aussi de très près aux vins rosés. L'AOC Fronton y consacre d'importants efforts. La récolte croît régulièrement : 14 500 hl en 1999, et 20 700 hl l'an dernier. Le cépage local, la négrette, permet d'élaborer des rosés dans l'air du temps : légers, ronds et aromatiques. ' Les ventes décollent, confie Hugo Scavagnac, directeur de la maison des vins à Fronton. En 2001, elles ont progressé de 35 % en volume ! ' Pour répondre à la demande, l'un des principaux opérateurs, la cave de Fronton, a investi l'an dernier dans une nouvelle cuverie pour doubler sa production de rosés.
Face à l'arrivée de ces compétiteurs, la Provence veut affirmer son leadership. Elle s'est dotée, voilà quelques années, d'un organisme technique - le Centre du rosé - et espère se doter d'un observatoire économique voué aux rosés. Surtout, elle a décidé de partir à l'assaut des marchés à l'export. Si la région brille sur le marché domestique, elle est peu présente à l'étranger (9 % des ventes). ' Il ne faut pas que l'export nous échappe, souligne James de Roany, vice-président du Syndicat des Coteaux d'Aix-en-Provence. Les négociants bordelais y sont bien implantés avec leurs rouges et peuvent facilement placer leurs rosés dans leur gamme. ' Une grande campagne de communication, orchestrée par la future interprofession provençale, verra le jour l'an prochain en Grande-Bretagne. Chut. Les modalités sont encore tenues secrètes.