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La traçabilité, une exigence qui s'impose à tous

La vigne - n°158 - octobre 2004 - page 0

Un règlement européen impose de tracer le cheminement d'une denrée alimentaire. Il faudra donc noter tous les mouvements d'un vin. Ces enregistrements apporteront la preuve qu'on ne fraude pas.

Applicable dès le 1er janvier 2005, le règlement n° 178/2002 précise ' qu'il importe d'assurer un niveau élevé de protection de la vie et de la santé humaines dans l'exécution des politiques communautaires '. Le scandale de la vache folle est passé par là. Il a poussé l'Union européenne à réfléchir au délicat dossier de la sécurité alimentaire. Avec son nouveau règlement, elle rend la traçabilité obligatoire dans toutes les filières, y compris viticole.
Qu'est-ce au juste ? L'article 3.15 stipule : ' La traçabilité est la capacité de retracer, à travers toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution, le cheminement d'une denrée alimentaire... ' Il faudra donc noter absolument tous les mouvements et les traitements des vins.

Le terme de denrée alimentaire ne couvre pas ' les plantes avant leur récolte ', c'est-à-dire le raisin sur souche. Il n'est donc pas encore obligatoire d'enregistrer les opérations à la vigne. ' Les traitements phytosanitaires ne sont pas concernés par ce règlement ', confirme Dominique Filhol, chef du bureau des boissons à la DGCCRF (Direction générale de la concurrence et de la consommation). Il n'est pas exclu qu'à terme, dans un futur règlement, les raisins soient pris en compte. L'objectif serait alors de maîtriser toute la chaîne, du grain de raisin au consommateur.
Pour l'instant, la nouvelle obligation commence à partir des raisins vendangés. Elle impose d'identifier à la fois les fournisseurs et les entreprises clientes. En cas de problème sur un lot, il faudra être en mesure de contacter chacune des entreprises chez lesquelles une livraison a été effectuée. Cette exigence va modifier l'organisation des préparations de commandes chez de nombreux opérateurs, avec un probable surcoût en informatique.
On l'a vu, il faut noter tous les traitements et les mouvements des vins. Pour tout ce qui touche aux traitements oenologiques, la lecture du règlement peut donner lieu à différentes interprétations. Les organisations professionnelles et les Fraudes auraient conclu que seule la connaissance des fournisseurs et des produits sera exigée. Inutile d'aller jusqu'à noter, pour chaque cuve, les doses et les numéros de lot des enzymes ou autres levures employées.
L'obligation d'enregistrer les mouvements est plus lourde de conséquences. C'est désormais au vigneron, à la coopérative ou au négociant d'être en mesure de prouver qu'une bouteille étiquetée d'une appellation provient bien de parcelles classées dans l'appellation en question. Avant, lorsqu'il y avait des soupçons sur l'authenticité d'une appellation, il incombait aux contrôleurs de prouver qu'une faute avait été commise. Ce n'est plus le cas. On appelle cela la réversibilité de la preuve. Les avocats utilisent un terme plus évocateur : il s'agit de ' la preuve diabolique '. Rien de moins ! Mais il est clair que la position devient plus inconfortable pour la personne contrôlée.

Pour les Fraudes, cette réversibilité va de pair avec la liberté de moyens qui est accordée aux opérateurs pour mettre en place la traçabilité. Car le règlement fixe une obligation de résultats, et non de moyens. Il ne dit pas comment tenir les registres. Cette nouvelle obligation sera plus difficile à satisfaire dans les caves coopératives disposant d'une large gamme que chez un vigneron n'exerçant pas dans une zone mixte AOC, vin de table ou de pays.
Probablement dans le but de rassurer les professionnels, les Fraudes estiment que, fondamentalement, rien ne change avec ce texte. Les obligations mentionnées existaient déjà. ' Dans le règlement sur l'étiquetage, il était déjà stipulé que tout devait être prouvé ', précise Dominique Filhol. Certes, mais l'obligation nouvelle instaure une rigueur qui n'est pas toujours compatible avec les réalités du terrain.
' Avec un système verrouillé, les ajustements opérés lors de toute vinification seront lisibles , analyse un directeur de coopérative. On va se heurter à un véritable problème. Dans certains cas, pour compléter une cuve d'AOC, nous préférons ajouter 5 % de vin de pays plutôt que les presses de l'AOC. Selon nous, c'est préférable pour le consommateur. En principe, il faudra le noter. Que se passera-t-il alors en cas de contrôle ? '
Pour Dominique Filhol, ces ajustements ne sont pas au centre du débat : ' L'objectif, c'est que des raisins vins de pays ne soient pas mélangés avec des raisins AOC dès leur arrivée en cave, comme c'est trop souvent le cas . '. Le contrôle devrait s'opérer sur les grandes fraudes, mais pas sur les petits écarts inhérents à la vinification. Reste à voir si, sur le terrain, les contrôleurs verront les choses avec la même sagesse...
En cas de fraudes, le nouveau règlement ne change rien aux sanctions. Le mélange délibéré de raisins de différentes AOC ou de raisins AOC et VDP ou VDT, entraîne déjà le déclassement de l'ensemble de la cuve.

Les peines encourues sont prévues par le code de la consommation : ' Quiconque aura mis en vente des appellations d'origine contrôlées qu'il savait inexactes sera puni de deux ans d'emprisonnement et de 37 500 euros d'amende, ou de l'une des deux peines seulement. '
Pour assurer la traçabilité, il faudra commencer par noter, à l'arrivée des raisins, le classement de leur parcelle d'origine. Mais il ne sera pas nécessaire d'identifier la parcelle elle-même. La traçabilité ne pourra donc pas servir à contrôler les rendements à la parcelle, sauf pour les caves qui entrent déjà à ce niveau de détails. Mais l'Inao souhaiterait mettre en place un suivi des raisins à la parcelle, avec un numéro pour chacune d'entre elles. ' Ce projet va beaucoup plus loin que le règlement sur la traçabilité , poursuit Dominique Filhol. Le dépassement du rendement d'une parcelle sera plus évident . '
Quoi qu'il en soit, il faudra franchir un nouveau palier dans le suivi de ses vins pour respecter la loi et séduire les acheteurs. Et il est peu probable que le surcoût de la traçabilité puisse être réaffecté dans le prix de vente.

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