La viticulture a longtemps pratiqué le marketing de l'offre. Il est temps qu'elle découvre les enseignements du marketing de la demande.
On reproche à la viticulture de ne rien y connaître en marketing. C'est excessif. Il serait plus juste de dire qu'elle pratique uniquement le marketing de l'offre. Elle suppose que c'est aux producteurs d'imaginer et de définir leurs vins. Forte de cette vision des choses, la viticulture d'AOC a inventé une diversité de styles dans une multitude d'appellations. Beaucoup sont des modèles, copiés et enviés dans le monde entier. Pour se renouveler, la viticulture a exploré et révélé l'infinie variété des terroirs. Mais elle a fini par bâtir un système tellement complexe et confus de hiérarchisation que les consommateurs s'y perdent.
Par excès d'assurance, et malheureusement aussi de prétention, elle a cru qu'il suffisait qu'un vin provienne d'une aire d'appellation pour qu'il soit d'appellation d'origine contrôlée. Les consommateurs n'entendent pas les choses de cette oreille ! Lorsqu'ils achètent un produit, ils ne veulent pas se tromper.
L'Interprofession des Côtes du Rhône et le Syndicat de Chinon l'ont constaté. Tous deux ont soumis leurs vins à des consommateurs.
Après les avoir goûtés, ces derniers leur ont dit qu'ils sont de deux types : soit souples et fruités, soit charpentés. Ils se sont déclarés favorables à l'idée d'une segmentation de l'offre selon cette ligne de démarcation. Les Côtes du Rhône en ont tiré les leçons. Dans les supermarchés, les mêmes consommateurs souhaitent que les vins soient classés selon leur région d'origine, et non selon qu'ils sont d'appellation, de pays ou de table. Les chefs de rayon s'exécutent, au mépris de la réglementation. Les opérateurs qui veulent séduire les femmes doivent leur simplifier la vie. Ceux qui s'adressent aux jeunes doivent adopter un ton décontracté. Enfin, pour rassurer les étrangers, qui veulent acheter en toute confiance des produits élaborés très loin de leur regard, rien ne vaut les procédures de certification. Identifier, puis satisfaire tous ces besoins et ces envies, par type de consommateur, relève du marketing de la demande. La filière viticole longtemps l'a refusé, y voyant la porte ouverte aux abus. N'invite-t-elle pas à répondre à toute demande, la plus farfelue ou la plus choquante soit-elle ? Par exemple de faire des vins aromatisés ? Les consommateurs n'en veulent pas. Dans leur étonnante sagesse, ils estiment que c'est aux producteurs de définir le vin. Mais ils refusent qu'ils les bernent en leur faisant passer des vessies pour des lanternes. Ils refusent qu'ils les égarent dans un jargon hermétique. Lorsqu'ils découvrent une offre nouvelle plus compréhensible, de qualité plus régulière, de goût plus soutenu, ils l'adoptent. Qui réagirait autrement ?