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Un solde négatif est une dette, pas un emprunt

La vigne - n°160 - décembre 2004 - page 0

Un viticulteur doit 80 000 à sa coopérative d'approvisionnement. Cette somme est inscrite sur son compte courant d'associé coopérateur. La Cour de cassation a jugé qu'il s'agit d'une dette, et non d'un emprunt, ni d'un caution- nement.

Pascal X, viticulteur dans le Sud-Est, s'adresse à la coopérative dont il est associé pour ses besoins habituels d'engrais, de désherbants, d'insecticides et autres produits phytosanitaires. Ayant bénéficié de droits de plantation, il lui faut les utiliser rapidement. Tout est acquis à la coopérative (désinfectants du sol, fumure de fond, piquets, fils de fer...). En fin d'année, le compte courant de l'adhérent est largement déficitaire : il affiche un trou de 80 000 euros au profit de la coopérative.

Pascal est marié sous le régime de la communauté. Sa femme est propriétaire d'environ 10 ha, recueillis dans la succession de ses parents. La communauté est propriétaire des bâtiments, de la cave et de 15 ha acquis depuis le mariage ; le tout représente une valeur suffisante pour solder la créance de la coopérative. Assignation est délivrée au ménage. Les tribunaux mettent immédiatement l'épouse hors de cause et condamnent le mari au paiement de la dette.
La coopérative doit récupérer la somme que Pascal doit payer. C'est le moment d'appliquer l'article 1 413 du code civil, aux termes duquel ' le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté peut toujours être poursuivi sur les biens communs '.
En l'état de ce texte, il n'est pas question de poursuivre le paiement sur les biens propres de l'épouse mise hors de cause. Il apparaît que les biens de la communauté peuvent faire l'objet d'une mesure d'exécution. C'est ainsi qu'un procès-verbal de saisie immobilière est signifié, portant sur les immeubles acquis par le ménage en cours de mariage.
A partir de là, une discussion juridique s'instaure. Pour Pascal et son épouse, il faut sauver les immeubles, faire obstacle à leurs ventes aux enchères. L'article 1 415 du code civil va servir de support à la défense : aux termes de ce texte, une dette de l'un des époux ne peut pas engager la communauté si elle résulte d'un cautionnement ou d'un emprunt, allant ainsi à l'encontre de l'article 1 413.

Suivant la démonstration des époux, la cour d'appel décide que le solde négatif d'un compte courant, auprès de la coopérative, représente un crédit assimilable à un remboursement d'emprunt. En conséquence, la communauté ne doit pas répondre de cet emprunt, réalisé par le mari sans le consentement exprès de sa femme. Les biens de la communauté ne peuvent donc pas faire l'objet de poursuites. Le commandement de saisie immobilière est mis à néant. La coopérative ne s'incline pas devant cette interprétation extensive de l'article 1 415. L'intérêt en jeu justifie un pourvoi en cassation : sur cet article, la Cour suprême, en 1992, avait jugé que le cautionnement souscrit par le mari en communauté, à défaut de consentement de la femme, ne permettait pas l'exécution sur les biens communs. La Cour de cassation, par un arrêt sans interprétation possible, a censuré la cour d'appel : ' En statuant ainsi, alors que la position débitrice d'un compte courant d'associé coopérateur, dont la vocation est de faciliter les échanges commerciaux de terres agricoles, ne peut être assimilée à un emprunt, la cour d'appel a violé la loi . ' Elle renvoie l'affaire devant une autre cour.
Devant cette affirmation claire posée par la Cour de cassation sur l'application de l'article 1 415, on présume que la juridiction de renvoi ne pourra que s'incliner.
L'exception à l'article 1 413, contenue dans le 1 415, ne joue que s'il s'agit d'une dette résultant d'un emprunt ou d'un cautionnement. La communauté est tenue de la dette du mari, résultant du solde débiteur de son compte courant auprès de sa coopérative. On ne doit pas se tromper sur le sens des mots : un solde de compte courant négatif n'est ni un emprunt, ni un cautionnement.

Référence : Cour de cassation, 22 juin 2004, première chambre civile, n° 0213551.

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