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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

L'action paulienne garantit la moralité des contrats

Jacques Lachaud - La vigne - n°232 - juin 2011 - page 95

Un fermier mauvais payeur organise son insolvabilité avec la complicité de son épouse. Son propriétaire engage contre eux une action paulienne. La justice lui a donné raison. L'argent détourné a été réaffecté au fermier qui est ainsi redevenu solvable.

Balthazar Picsou est vigneron. Il exploite des vignes que Prospère Bien lui loue en fermage. Le bail porte sur une vingtaine d'hectares. La production est de qualité, mais l'entreprise est confrontée à des difficultés financières dues à la baisse des cours de l'appellation. Heureusement, l'épouse de monsieur Picsou n'est pas exploitante. Elle tient un commerce où elle vend des produits régionaux et notamment les vins de son mari. Monsieur et madame Picsou sont mariés sous le régime de la séparation de biens. Les années passent et les difficultés financières ne s'arrangent pas… Balthazar Picsou ne règle plus les loyers et devient débiteur de Prospère Bien, son bailleur, à hauteur de 65 000 euros. Celui-ci agit devant le tribunal paritaire et obtient la résiliation du bail pour défaut de paiement du fermage.

Notre vigneron est condamné à régler au bailleur le montant des loyers impayés. Reste à savoir comment cette condamnation peut être exécutée puisque notre homme est quasiment insolvable et n'a pas d'immeuble… Précisons que Prospère Bien n'est pas le seul créancier en peine… Balthazar Picsou est aussi poursuivi par la MSA et l'administration fiscale.

Monsieur vend le vin, madame encaisse les chèques

Par hasard, Prospère Bien apprend par ouï-dire que le stock encore en cave chez Balthazar Picsou a été vendu à une société de négoce en vin. Il apprend même que cet acheteur a émis en paiement deux chèques pour solder son achat. Notre bailleur informe immédiatement sa banque de ces éléments. Celle-ci prend alors les choses en mains et se renseigne auprès de la banque de monsieur Picsou qui lui apprend que les chèques remis en paiement du stock ont été encaissés par… madame Picsou.

Prospère Bien engage alors une action paulienne. C'est une action par laquelle un créancier, agissant en son nom personnel, attaque les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits (article 1167 du code civil). Elle repose sur le principe fondamental selon lequel le créancier qui exerce cette action doit prouver la complicité de fraude de celui qu'il poursuit. En clair, il faut démontrer que l'insolvabilité a été organisée grâce à la complicité d'un tiers. Selon la jurisprudence, pour que l'action paulienne réussisse, il faut trois éléments. Premièrement, le créancier doit être titulaire d'une créance en argent. Deuxièmement, concernant la procédure, l'action doit être engagée contre le tiers qui a participé à la fraude. Enfin, l'appauvrissement créé doit avoir entraîné une insolvabilité du débiteur. Ces trois éléments sont bien réunis dans notre cas… Aussi, les faits constituent bien une fraude paulienne dont madame Picsou doit répondre.

La situation aurait été différente si les époux avaient été mariés sous le régime de la communauté. Chacun des époux aurait alors été redevable des dettes de l'autre. L'article 1413 du code civil prévoit que « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs ».

A noter toutefois que selon l'article 1483 du code civil, l'un des époux ne peut être poursuivi que pour la moitié des dettes de la communauté.

Quant à rédiger une donation du genre : « Moi, Balthazar Picsou, je donne à mon épouse le montant des sommes encaissées », c'eût été aussi une erreur. La donation aurait été annulée, quelle que soit la bonne foi du donataire (arrêt de la Cour de cassation du 23 janvier 1981).

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RÉFÉRENCE :

Cour de cassation, troisième chambre civile, le 4 mars 2009, n° 0811364.

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