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L'agréage en vrac ne suffit pas

La vigne - n°165 - mai 2005 - page 0

La cour d'appel de Bordeaux considère que la dégustation d'un vin en cuves ne vaut pas un agréage, quand la vente porte sur le vin en bouteilles.

En avril 2004, la cour d'appel de Bordeaux a rendu un arrêt important. Cette décision précise les conditions d'application de l'article 1 587 du code civil, selon lequel ' à l'égard du vin, de l'huile et des autres choses que l'on est dans l'usage de goûter, avant d'en faire achat, il n'y a point de vente tant que l'acheteur ne les a pas goûtés ' . On parle d'agréage des marchandises.
Dans notre affaire, en 1998, un négociant passe un contrat pour l'achat de 95 000 cols de médoc à 24,50 F/unité (3,74 euros). Il prévient que les retraits s'échelonneront sur plusieurs mois. Il retire et règle une partie du vin.

Presque un an plus tard, il décide de ne plus donner suite. Il fait valoir qu'une ' importante quantité de tartre ' s'est déposée dans les bouteilles. Il demande le remboursement des sommes payées. En réponse, son fournisseur lui demande d'achever les retiraisons et le paiement du solde du prix.
Pour trancher le différend, la justice ordonne une expertise. Selon le rapport d'expert, le vin ' ne présentait pas de défaut à l'analyse. A la dégustation, il était loyal et marchand dans son type d'appellation '.
Reste qu'effectivement, le vin ' comportait un important dépôt cristallin et coloré constitué par une précipitation de bitartrate de potassium '. L'expert précise que ce dépôt ' n'affectait pas les qualités gustatives, mais constituait un défaut de présentation interdisant sa commercialisation auprès de la grande distribution '. Il écrit également ' qu'avant sa mise en bouteilles, alors qu'il est encore jeune, le vin doit faire l'objet d'une clarification artificielle '.
Les juges de première instance vont donner raison au vendeur. Ils vont considérer qu'il y a eu un agrément du vin. Conformément à l'article 1 587 du code civil, ceci consacre l'accord des parties. Rappelons tout de même que c'est la notification, par le courtier, du bordereau qui rend la vente parfaite, s'il n'y a pas de protestation dans les quarante-huit heures de la réception du bordereau.
En revanche, le tribunal va rejeter la demande du vendeur en paiement de dommages et intérêts. Il juge qu'il n'a ' pas apporté, à la mise en bouteilles, toutes les précautions nécessaires pour que les qualités de la chose vendue soient optimales ' .
L'acheteur fait appel. Et la cour de Bordeaux réforme la première décision. Selon elle, la dégustation du vin par le négociant ne saurait valoir agréage au sens de l'article 1 587. Elle estime que le marché n'a pas porté sur du vin en vrac, mais sur du vin en bouteilles. De ce fait, les juges considèrent que la perfection de la vente est subordonnée à l'agréage du vin tel qu'il a été commandé, c'est-à-dire en bouteilles. Ceci afin que l'acheteur puisse vérifier s'il présente les qualités qu'il a constatées lors de la dégustation du vin en cuves.

Cette analyse soulève une critique de principe. C'est en effet une interprétation hardie de l'article 1 587 du code civil que la cour d'appel a donnée. Selon les juges du second degré, s'il s'agit d'une vente en vrac, le vin est bien agréé lors de la dégustation qui précède l'envoi du bordereau. En revanche, un vin en bouteilles doit être agréé en deux temps : avant la vente, mais également au moment de la retiraison des bouteilles. Revient-on à la règle de l'ancien régime qui connaissait deux dégustations, l'une avant la conclusion du contrat et l'autre lors de la retiraison du vin ?
En matière de vente en bouteilles, la cour d'appel de Bordeaux fait de ce second agréage une condition de la validité du contrat en s'appuyant sur l'article 1 587. Elle conclut que la vente n'a jamais été parfaite. Elle condamne donc le vendeur à restituer à l'acheteur le prix payé, les taxes, les frais de courtage et de transport... On aurait pu obtenir un résultat équivalent, en se fondant sur l'action en garantie contre les vices cachés (article 1 644 du code civil). Cela aurait évité la création d'une obligation d'agréage complémentaire pour le vin en bouteilles !

CA Bordeaux, 1re chambre, 27 avril 2004. Dalloz 2005 p. 155.

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