Les effectifs des deux organisations pionnières de la viticulture raisonnée baissent. Ce repli ne correspond pas à un rejet des principes de la production raisonnée. C'est une réaction à l'absence de de plus-value, de reconnaissance, et d'excès de rigidité lors des contrôles.
Neuf cents cotisants à Terra Vitis en 2003, plus que six cent dix en 2004 ; cent trente adhérents à Tyflo en 2002, quatre-vingt-seize en 2004. Les chiffres bruts s'apparentent à un séisme pour les deux organisations. Enlevons la proportion de ceux qui se reconvertissent au bio. Reste les autres. Comment comprendre leur désaffection alors que le vent souffle en faveur de la viticulture raisonnée ? Feraient-ils marche arrière, revenant à des pratiques dépassées ? Non.
' Certains de nos adhérents s'étaient engagés dans Terra Vitis. Ils se sont efforcés de 'produire propre'. Ils ont quitté l'association, mais il n'y a pas de raison qu'ils renient cette philosophie. Aux prix où sont les produits de traitement, comment faire autrement que de les utiliser de manière raisonnée ', grince Gilles Cutilles, directeur de la coopérative de Talairan, dans l'Aude. Personne ne tourne le dos à la viticulture raisonnée. Tout le monde y voit peu ou prou le standard de production qui s'imposera tôt ou tard à la profession. Les raisons du désengagement sont à rechercher dans le manque de reconnaissance et l'absence de plus-value, dans un contexte économique morose.
' Dans la haute vallée de l'Aude, nous sommes un peu à l'écart. Terra Vitis ne m'apportait pas grand-chose. J'avais l'impression que l'objectif principal de l'association était de recruter des adhérents. J'aurais souhaité qu'elle s'implique davantage dans la promotion de la marque Terra Vitis ', analyse Anne Marchesi, du domaine de Castel Nègre, à Alette-les-Bains.
Avec 4 ha en production axés sur la blanquette de Limoux, Jean-Philippe Barbedette, du domaine Le Soulié à Loupiat (Aude), a jeté l'éponge au bout de trois ans : ' Rien ne me différenciait des grandes coopératives qui adhèrent à Terra Vitis comme moi. Je préfère m'investir dans le réseau 'Bienvenue à la ferme' qui correspond mieux à la taille de mon exploitation . '
' Il n'y avait aucune plus-value alors que le revenu se dégrade et que nous refusons les herbicides de prélevée, pourtant autorisés par Terra Vitis ', constatent Jean-Marc et Thomas Pichet, du domaine du Petit Bondieu, à Restigné (Indre-et-Loire). Mais c'est Gilles Cutilles, à Talairan, qui en a le plus gros sur le coeur. ' Douze des cent soixante-dix apporteurs de la cave ont appliqué le cahier des charges pour répondre à la demande d'un acheteur... qui n'a jamais commandé ! Nous avons cherché d'autres débouchés, sans succès. Nous avons arrêté les frais. Pourquoi continuer à travailler plus avec des coûts de production plus élevés, tout en vendant au même prix ? '
' Le négoce ne joue pas le jeu ', complète Bernard Roustan, directeur de la coopérative de Costebelle, à Tulette (Drôme). Comme à Talairan, douze viticulteurs s'étaient engagés avec Terra Vitis. Plusieurs ont décroché pour ' faire des économies '. Leur décision ne sera peut-être que temporaire. Costebelle a la perspective de voir s'ouvrir un nouveau marché en bouteilles. L'acheteur réclame que le vin soit produit selon un cahier des charges. Pour le satisfaire, des adhérents devront peut-être réintégrer la charte Terra Vitis.
Le coût de la démarche est une autre cause de départ. ' Récupérer, sur le prix de vente, les 610 euros de cotisation annuelle à Tyflo n'est pas aisé ', juge Karin Wassler, installée en EARL sur 7 ha, à Itterswiller (Bas-Rhin). Elle est sortie de l'association après deux ans d'adhésion. Jean-Marc Pichet enfonce le clou. Il a versé 450 euros/an pour adhérer à Terra Vitis. Cette somme a payé les audits qu'il a dû accepter pour obtenir son agrément. ' C'est une dépense non négligeable quand elle ne rapporte pas un sou. Les efforts consentis ne sont pas récompensés . '
Depuis 2004, ces frais d'adhésion se sont alourdis. L'association a décidé que ses membres devaient également être certifiés au titre de l'agriculture raisonnée. Cette décision a conduit à un audit couplé (pour Terra Vitis et pour l'agriculture raisonnée), et donc à une charge supplémentaire.
' En Beaujolais, malgré les aides, le surcoût par exploitation s'élève entre 400 et 600 euros/an. Ce n'est pas énorme. Mais dans le contexte actuel, cet élément a joué pour certains comme un déclencheur ', reconnaît Jean-Henri Soumireu, animateur national de Terra Vitis. Une partie des ex-adhérents de Terra Vitis et de Tyflo se contentent d'ailleurs d'appliquer le seul référentiel ' Agriculture raisonnée '. Ce repli concerne les coopérateurs de Talairan, ainsi qu'Anne Marchesi et Alain Camille. Ce dernier est installé à Tavant (Indre-et-Loire). ' J'ai 6,5 ha en appellation Chinon et des céréales. La qualification agriculture raisonnée me convient mieux ', dit-il. ' Il y a concurrence entre les deux démarches. Se faire qualifier en 'agriculture raisonnée' revient moins cher. Certains n'ont pas hésité ', constate Pascal Mallier, conseiller viticole à la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire.
Dernière catégorie à abandonner : les vignerons agacés par des contraintes ' exagérées ', des contrôles ' trop pointilleux ' et un trop-plein de contraintes en tout genre. Philippe Sohler, à la tête d'un domaine de 10 ha à Nothalten (Bas-Rhin), s'élève contre ' l'excès de dirigisme ' de Tyflo. ' J'ai voulu supprimer un enherbement. Je n'ai pas admis qu'il faille demander l'autorisation , raconte-t-il. Plutôt que de lister des interdits, il faudrait en expliquer le pourquoi et former les viticulteurs. '
A Molsheim (Bas-Rhin), Alain Klingenfus, l'un des membres fondateurs de Tyflo, n'a pas encore décidé s'il allait renouveler son adhésion en 2005. ' J'ai eu des vignes grêlées en 2004. J'ai appliqué un antibotrytis - interdit par le cahier des charges - pour sauver la récolte. Le contrôleur n'a pas cherché à comprendre. Je suis amer. Tout cela devient trop administratif, avec des dirigeants qui se veulent plus royalistes que le roi. '
Jean-Marc et Thomas Pichet enchaînent. ' Au cahier des charges Terra Vitis s'est ajoutée, dans notre cas, l'étude pour la mise aux normes du traitement des effluents vinaires. Et comme nous employons du personnel, nous avons l'obligation de nous conformer aux réglementations sur la sécurité au travail. Bref, tout se cumule. La lassitude s'installe. Alors, quand ce n'est pas indispensable, on tranche dans le vif... '