C'est ce qui s'appelle une belle prise. Château Cheval Blanc, premier grand cru classé de Saint-Emilion vient d'adhérer à Terra Vitis. Un ambassadeur de choix et une bonne nouvelle pour cette association de viticulteurs en production raisonnée dont le nombre d'adhérents a fondu comme neige au soleil. En 2005, elle fédérait plus de 500 exploitations viticoles. En 2010, elle n'en comptait plus que 361. Mais depuis le début de l'année, elle suscite de nouveau l'intérêt des viticulteurs et des acheteurs.
« C'est un cadre qui atteste de nos efforts »
« Le terroir est notre plus précieux atout, expose Nicolas Corponrandy, responsable du vignoble de Cheval Blanc. Nous tenons à le préserver. C'est l'une de nos préoccupations principales. Nous travaillons, de longue date, sur la réduction des doses phytosanitaires. Pour ce faire, nous privilégions les observations au vignoble et nous disposons de deux stations météo sur la propriété. »
Le château n'emploie pas d'herbicides. Il réduit les amendements au strict minimum Les équipements de protection qu'il met à disposition de ses salariés sont à la pointe de ce qui existe en la matière. « Nous cherchions un cadre qui nous permet d'attester de ces efforts, enchaîne-t-il. Le label AB est à la mode, mais il n'est pas adapté à nos contraintes. Cheval Blanc a une image d'excellence. L'état sanitaire des feuilles et des baies ne doit souffrir d'aucune altération. »
Le célèbre château n'imprimera pas le logo Terra Vitis sur ses étiquettes. Mais ses équipes techniques et commerciales expliqueront la démarche à leurs interlocuteurs. Elles ont suivi une formation pour cela.
Castel à l'intention de faire certifier un millier d'hectare
Castel figure parmi les autres grands noms à intégrer Terra Vitis. Le Mas de Clergues, propriété de la famille dans le Languedoc, a obtenu la certification en 2010. Dans le Muscadet, le Château La Botinière, un autre bien familial, est certifié depuis 2009.
« Près de 200 hectares sont sous la bannière Terra Vitis, comptabilise Xavier Renard, responsable marketing et communication du groupe. Toutes nos propriétés sont déjà conduites en agriculture raisonnée, mais nous voulions nous confronter à un référentiel et bénéficier d'un contrôle externe afin de le faire valoir auprès de nos clients paanglo-saxons, en particulier. » Les domaines situés dans le Bordelais vont suivre. Progressivement, les 1 000 ha du groupe vont rejoindre Terra Vitis.
La cause avance également en Alsace, une des rares régions où l'association n'a pas d'adhérents. Si l'Alsace fait exception, c'est parce qu'elle possède son propre mouvement de production intégrée : Tyflo. Mais, ce dernier ne compte plus qu'une trentaine d'adhérents. « Le référentiel de Tyflo est très contraignant, souligne Marie-Noëlle Lauer, conseillère viticole à la chambre d'agriculture du Bas-Rhin et animatrice de l'association. L'adhésion à Tyflo précède souvent la conversion au bio. D'où le nombre irréguliers de recrues. »
Prendre pied en Alsace
L'idée de fusionner Tyflo et Terra Vitis avance. Le 14 février dernier, Jean-Henri Soumireu-Lartigue, l'animateur national de Terra Vitis, a présenté la démarche à Colmar. « Nous avons accueilli un public nombreux », dit-il. Les adhérents de Tyflo doivent se prononcer début mars. Leur ralliement achoppe des points techniques : l'usage des antibotrytis est autorisé par Terra Vitis, mais interdit chez Tyflo, même chose pour les désherbants de prélevée et la dévitalisation des vignes. « Il ne nous est pas interdit d'adapter le cahier des charges Terra Vitis aux spécificités alsaciennes », souligne Marie-Noëlle Nauer.
Outre Bordeaux et l'Alsace, « de nouvelles adhésions sont en cours dans le Sud-Est, se félicite Jean-Henri Soumireu-Lartigue. Cette année, nous pensons gagner une dizaine d'adhérents supplémentaires dans chacune de nos quatre fédérations régionales. »
Les efforts conduits par Terra Vitis depuis trois ans pour promouvoir le mouvement à l'export ont créé un appel d'air. « Les pays d'Europe du Nord sont séduits par notre système », reprend l'animateur. Le Japon l'est également.
« Désormais, nous n'avons plus qu'un seul référentiel »
Autre raison du renouveau de l'association : la disparition de la qualification agriculture raisonnée. Un soulagement pour les adhérents. Jusqu'à l'an dernier, ils devaient être certifiés selon les deux cahiers des charges (Terra Vitis et agriculture raisonnée), une obligation pesante en termes de paperasse. « Désormais, nous n'avons qu'un seul et unique référentiel, Terra Vitis, expose Jean-Henri Soumireu. Cela simplifie notre discours et notre communication auprès des vignerons éventuellement intéressés. »
Avec cela, l'association axe désormais son message de communication autour de la viticulture durable, une notion plus porteuse auprès des consommateurs que « viticulture raisonnée ».
Et pour motiver les troupes, le cahier des charges comporte des fiches de progrès sur des thématiques avant-gardistes : la biodiversité, l'abandon de l'épamprage chimique au profit des techniques mécaniques ou manuelles… avec des conseils pour y parvenir. Terra Vitis retrouve la foi.
Une charte qui ne s'intéresse pas seulement à la viticulture
Créée en 1998, Terra Vitis est une démarche de viticulture raisonnée.
Le vigneron s'engage à :
respecter des règles de santé et de sécurité au travail,
assurer la traçabilité et l'hygiène des vins vinifiés sur l'exploitation,
privilégier les techniques prophylactiques et biologiques de protection du vignoble afin de limiter au maximum le nombre d'interventions phytosanitaires,
enregistrer toutes les interventions au vignoble et tenir un inventaire écrit des stocks de produits phytosanitaires,
utiliser uniquement les produits autorisés par le cahier des charges,
intervenir contre les ravageurs uniquement lorsque des seuils d'attaque sont dépassés,
éliminer proprement les effluents et les déchets de l'exploitation,
s'abonner à un service de conseils techniques agricoles, etc.
Toutes les prescriptions et obligations concrètes figurent dans des cahiers des charges, légèrement différents selon les régions, mais rédigés selon une trame commune. Actuellement, les exploitations paient entre 200 et 900 €/an de coût d'adhésion et de certification, selon leur taille et leur région.
La communication, nouveau cheval de bataille
« Nous avions trop négligé la communication auprès des acheteurs », remarque Didier Vazel, viticulteur en Anjou et président de Terra Vitis France depuis trois ans.
Ce temps est révolu. « Aux Pays-Bas, un ambassadeur nous représente, indique Didier Vazel. Il s'agit d'un caviste qui vend nos vins. Il a constitué un réseau d'hôtels, de restaurants et de bars qui mettent en avant nos vins sur leurs cartes avec le logo Terra Vitis. » En mai 2010, un groupe de vignerons s'est rendu dans l'un de ces hôtels, Le Manhatan de Rotterdam, pour inaugurer sa nouvelle carte des vins. Un second ambassadeur doit prochainement voir le jour aux Etats-Unis.
Par ailleurs, début janvier de cette année, une douzaine d'adhérents sont allés en Suède pour présenter leurs vins au monopole des alcools, le Systembolaget, qui a lancé quatre appels d'offre sur des vins se revendiquant de démarches respectueuses de l'environnement. Le monopole a retenu quatre vins Terra Vitis. « Nous raisonnons les interventions phytosanitaires. Notre viticulture est durable. Nos vins sont de bon rapport qualité/prix. Les pays du nord de l'Europe adhèrent à ces arguments. » Autre initiative de communication : Terra Vitis a pris un stand au Salon des vins de Loire pour offrir en libre dégustation les vins de ses adhérents présents sur le salon. L'association va récidiver à Vinexpo où une soixantaine de ses membres organisera une dégustation le deuxième jour du salon.
Le Point de vue de
Sophie Palatsi, propriétaire du domaine de la Clapière (Hérault), 35 hectares en IGP d'Oc
« Notre exploitation est certifiée depuis l'été dernier »
« Le cahier des charges Terra Vitis ne s'applique pas uniquement à la vigne. Il s'intéresse également à l'élaboration des vins, à la préparation de la mise en bouteille, à la tenue des chais et à l'élimination des effluents. Cette approche globale du métier m'a plu.
L'agriculture raisonnée, qui reste le pilier de la démarche Terra Vitis, nous permet de concilier préservation de l'environnement et pérennité économique de l'exploitation. Un domaine viticole, c'est une entreprise.
Nous convertir au bio nous a semblé comporter trop de risques, qui plus est au vu de la conjoncture actuelle. Nous sommes certifiés Terra Vitis depuis l'an dernier. Je fais apparaître le logo sur les contre-étiquettes. Je prévois aussi de présenter les points principaux de la démarche sur les fiches techniques et les dépliants de présentation des vins. Nous allons également donner des explications à la clientèle du caveau. J'espère saisir des opportunités commerciales. Les pays nordiques sont très réceptifs à cette approche.
En France, elle connaît un regain d'intérêt. Dans ses appels d'offre, la grande distribution exige, de plus en plus, des fournisseurs justifiant d'initiative de développement durable. »