Le preneur qui exerce son droit de préemption, peut demander au tribunal paritaire des baux ruraux de fixer le prix de la transaction. Il court alors le risque d'une annulation de la vente.
Le statut du fermage offre au locataire un droit de préemption en cas de vente de la propriété qu'il exploite. Pour l'invoquer, il doit être exploitant en vertu d'un bail écrit ou verbal sur une superficie supérieure aux petites parcelles de l'article L 411-3 du code rural. Il doit encore exercer sa profession d'agriculteur depuis trois ans et ne pas être propriétaire de plus de 3 SMI (surface minimum d'installation).
Imaginons un bailleur décidé à vendre sa propriété. Il trouve un futur acquéreur. Même si les deux parties sont d'accord, le notaire chargé de la vente doit, par lettre recommandée avec accusé de réception, avertir le locataire du projet de vente. A réception de cette notification, le preneur a deux mois pour réagir. Trois options s'offrent à lui.
En premier lieu, il reste silencieux ou répond qu'il n'exerce pas sa préemption. Il renonce alors à son droit.
En second lieu, il déclare acquérir aux conditions proposées. La vente est alors parfaite. Toutefois, pour être opposable aux tiers, la mutation doit faire l'objet d'un acte, publié à la conservation des hypothèques. A compter du jour où il a accepté l'offre, le preneur dispose d'un nouveau délai de deux mois pour signer l'acte de vente et en régler le prix. S'il ne s'exécute pas, le vendeur doit le mettre en demeure. Si le preneur n'obtempère pas dans les quinze jours, il est déchu de son droit de préemption.
La troisième option est la plus attentatoire au droit de propriété. Dans les deux mois qui suivent la notification de la vente, le preneur fait savoir au propriétaire qu'il entend exercer sa préemption tout en contestant le prix de la transaction. Il doit alors saisir le tribunal paritaire d'une action tendant à la fixation du prix. L'article L 412-7 précise que si le bailleur n'accepte pas le prix décidé par le tribunal, il peut renoncer à la vente.
D'aucuns concluraient que pour faire échec à la préemption, il suffit de ne pas notifier la vente. Grossière erreur ! Dans cette hypothèse, le preneur a six mois à compter du jour où il a eu connaissance de la transaction pour en obtenir l'annulation !
C'est au regard de la troisième option que l'arrêt du 19 janvier 2005 est intéressant. M me X. est propriétaire d'un domaine qu'elle loue à M. Y. Elle veut vendre son bien à M. W., pour 13 millions de francs (20 millions d'euros). Le notaire notifie le prix et les conditions de la vente au locataire. Dans le délai de deux mois, celui-ci fait valoir à M me X. qu'il préempte, mais pas au prix proposé. Il saisit donc le tribunal paritaire d'une action en révision du prix.
M me X. déclare que dans ces conditions, elle renonce à la vente. Le tribunal n'en procède pas moins à l'évaluation. Il conclut que les biens valent bien les 13 MF demandés. M. Y. décide alors d'accepter l'offre. M me X. s'y refuse. Elle fait valoir que, dès sa première comparution, en l'état de la contestation du prix, elle avait renoncé à la vente. Les juges vont lui donner raison. M. Y. aura beau faire valoir l'article L 412-7. Ce texte prévoit que c'est seulement après la fixation du prix par le tribunal que le propriétaire peut renoncer à la vente. Or, dans cette affaire, le prix fixé judiciairement - et accepté par le preneur - est le même que celui initialement prévu par M me X.
Pour comprendre la solution adoptée, il faut revenir aux principes fondamentaux du droit. Pour qu'une vente soit parfaite, l'acquéreur doit accepter le prix proposé. Or, M. Y. l'a contesté. Il n'y a donc pas eu accord sur la chose et sur le prix dans le délai de deux mois.
Pour être complet sur la préemption, voici quelques précisions sur les Safer. Celles-ci peuvent non seulement préempter, mais à un prix déterminé par elles. Si le propriétaire refuse leur contre-proposition, il a six mois pour réagir. Il peut renoncer à la vente ou saisir le tribunal de grande instance (TGI). Dans ce cas, la Safer sera tenue d'acheter au prix fixé par le TGI si le propriétaire le lui demande. Dernière précision : si le preneur achète dans le cadre de la préemption, les droits d'enregistrement sont de 0,60 % (au lieu de 4,80 % dans les ventes ordinaires). Si la Safer se porte acheteuse, la mutation n'entraîne aucun paiement au profit du Trésor.
Référence : cas 3e chambre civile, 19 janvier 2005, n° 03-16 899.