Ecrasé par les difficultés financières, un couple de viticulteurs se montre incapable de poursuivre le plan de continuation de son exploitation. Il est placé en liquidation de biens. Comme le veut la pratique, le liquidateur est chargé de réaliser l'actif, en d'autres termes, de vendre les biens des liquidés pour payer leurs créanciers. Un juge-commissaire est désigné pour veiller au bon déroulement de cette liquidation.
Le liquidateur a l'idée d'une vente aux enchères sur saisie, mais il se heurte au peu d'intérêt des agriculteurs du coin à acquérir les biens immobiliers du couple en faillite. Inutile d'organiser un tel événement. Finalement, un agriculteur est intéressé par les bâtiments d'exploitation. Un accord est donc passé sur une vente de gré à gré au prix de 50 000 euros. Le juge-commissaire, après avoir entendu des experts, approuve le prix de vente.
La transaction est notifiée à la Safer. Celle-ci souhaite alors exercer son droit de préemption, mais au prix de 33 000 euros. Peut-elle ainsi réviser à la baisse le prix de la transaction ? Pour répondre à cette question, les juges vont analyser l'article L. 143-10 du code rural. Ce texte est ainsi rédigé : « Lorsque la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) déclare vouloir faire usage de son droit de préemption et qu'elle estime le prix exagéré [...], elle adresse au notaire du vendeur [...] une offre d'achat établie à ses propres conditions. Si le vendeur n'accepte pas l'offre de la Safer, il peut soit retirer le bien de la vente, soit demander la révision du prix proposé par la Safer au tribunal compétent. »
On notera qu'il s'agit là d'un privilège de la Safer. En effet, les choses sont différentes dans le cas de la mise en vente d'un bien loué à bail rural où le preneur détient, lui aussi, un droit de préemption. Dans une telle situation, lorsque le preneur veut exercer son droit de préemption et qu'il trouve le prix proposé trop élevé, il doit assigner le bailleur devant le tribunal paritaire aux fins d'évaluation du prix. Il ne peut pas, comme la Safer, préempter à un prix fixé par lui, charge au vendeur d'aller défendre ses intérêts devant un tribunal, de grande instance en l'occurrence.
Dans l'affaire qui nous concerne, le liquidateur refuse de vendre à 33 000 euros à la Safer un bien pour lequel il peut obtenir 50 000 euros. Il saisit donc le tribunal pour évaluer la propriété dans les six mois de la préemption. Celui-ci juge que la vente de gré à gré du bien du liquidé entraîne non seulement le droit de préemption de la Safer mais aussi la possibilité pour elle de réduire le prix. La cour d'appel confirme cette décision.
Le liquidateur formule alors un pourvoi en cassation et finit par obtenir gain de cause. La Cour de cassation a jugé l'affaire le 19 septembre 2012 et cassé l'arrêt de la cour d'appel au motif que la Safer n'a pas le droit de réduire un prix qui a été fixé par un juge-commissaire, lequel est une autorité judiciaire. Dans notre affaire, la Safer ne pouvait préempter qu'au prix demandé par le liquidateur. La Cour de cassation, s'appuyant sur la faculté donnée au vendeur de faire fixer le prix par la justice (article 143-10), estime que le prix déterminé par un juge-commissaire équivaut au prix qui aurait été décidé par un tribunal.
Que se serait-il passé si le liquidateur, au lieu de réaliser l'actif, avait cédé l'exploitation à un repreneur prêt à poursuivre l'activité ? La Safer aurait-elle également eu le droit de préempter les biens ? Le code rural (art. L. 143-4) répond par la négative : « Ne peuvent faire l'objet d'un droit de préemption [...] les biens compris dans un plan de cession totale ou partielle d'une entreprise en redressement [ou en] liquidation judiciaires. »
Lorsque la cession est impossible, le liquidateur peut procéder à la vente aux enchères des biens immobiliers sous forme de saisie. Dans ce cas, la Safer est en droit de préempter à l'encontre de l'adjudicataire mais au prix résultant de la dernière enchère (article L. 143-11 du code rural). Enfin, si la vente aux enchères n'est pas possible, et qu'une vente de gré à gré est négociée par le liquidateur en accord avec un juge-commissaire, alors la Safer peut toujours préempter mais sans réviser le prix.
Cour de cassation du 19 septembre 2012 n° 10-218-58