Les négociants ont quitté le dernier comité national de l'Inao. Ils ont voulu marquer leur opposition à une modification du décret des bordeaux supérieurs, dont la conséquence sera d'empêcher les replis. Ils tiennent à conserver cette possibilité, essentielle pour leurs marques.
C'est le propre des sujets tabous : ils sont explosifs, mais tout le monde s'accorde pour les éviter. Jusqu'au jour où... ils arrivent sur la table. L'un de ces sujets s'est invité à celle du dernier comité national de l'Inao. La réunion s'est tenue à Paris, les 9 et 10 novembre. Le Syndicat des bordeaux et bordeaux supérieurs demandait une modification du décret de l'AOC Bordeaux supérieur. Sa mesure visait à imposer un élevage jusqu'au 1 er juillet suivant la récolte. Défendue comme une amélioration qualitative, elle a été adoptée par 35 voix contre 22. Elle a provoqué la colère des négociants qui ont quitté la séance. Ces derniers y voient une atteinte à leur stratégie de marques. Explications de Louis-Régis Affre, délégué général d'Entreprises de grands vins de France (EGV) : ' Comme la durée d'élevage pour l'AOC Bordeaux supérieur constitue une condition plus restrictive que celle des Côtes de Bordeaux, cela rend impossible de les replier en Bordeaux supérieur. C'est d'autant plus absurde que d'autres fondamentaux, comme les densités de plantation, n'ont pas été arrêtés ! '
Selon l'EGV, ' la modification demandée par le Syndicat des bordeaux a été adoptée dans l'urgence. Notre syndicat a écrit au ministre de l'Agriculture pour lui demander de ne pas signer le décret modifié '. Pour sortir de cette crise, une commission d'enquête doit se rendre en Gironde. Elle devra étudier, avec les AOC susceptibles d'être repliées en Bordeaux supérieur, la mise en place d'une durée d'élevage commune. Reste que même si cette solution est trouvée, le clash du 10 novembre n'est que la partie émergée de l'iceberg qui gèle les relations amont-aval. En pleine crise sur les AOC génériques, le repli au négoce est la pomme de discorde idéale !
Du côté de la viticulture, on estime que les volumes repliés perturbent l'équilibre des marchés. André de La Bretèche, directeur du Syndicat de Beychac-et-Caillau (Gironde), s'emporte : ' On nous dit de maîtriser notre volume de production, mais on ne nous donne pas les moyens d'agir sur les volumes vendus sous le nom de notre appellation ! On n'a même pas une information fiable sur le sujet des replis au négoce ! Nous voulons l'application de l'accord interprofessionnel passé en juin 2004. Il prévoyait que les vins repliés fassent l'objet d'un agrément par le syndicat de l'AOC de repli. '
Du côté du négoce, on argumente que les replis sont indispensables aux stratégies de marques, lesquelles sont des locomotives des appellations. Les interdire reviendrait à tuer la poule aux oeufs d'or. ' Attention à ne pas prendre les replis comme bouc émissaire de la crise, prévient Pierre-Henri Gaget, directeur général de la maison Louis Jadot, basée à Beaune (Côte-d'or). Tous les négociants qui présentent des vins de qualité irréprochable pratiquent les replis. Les grands producteurs le savent bien. Par exemple, Clos de Tart préfère parfois produire du morey premier cru. C'est le propre d'une politique qualitative. '
' Dans notre beaujolais-villages, il peut y avoir un peu de brouilly, de chenas, de régnié. La part de ce cru peut représenter jusqu'à 30 % d'une bouteille. Nous sommes prêts à payer plus cher pour être sûrs de la qualité. Cette année, l'AOC Brouilly a décidé un rendement supérieur à celui de l'AOC Beaujolais-villages. Nous ne pourrons pas le replier. En revanche, Régnié s'est aligné sur les rendements des villages. Les producteurs savent bien que plus de la moitié des volumes produits sous cette AOC est en fait vendue en villages ! '
Même stratégie chez Marcel Guigal, négociant de la Vallée du Rhône : ' Je fait plus ou moins de replis. Une mauvaise année comme 2002, je suis monté jusqu'à 75 % de communales dans mon côtes-du-rhône régional ! Cette pratique représente mon fonds de commerce. Si la politique menée par Bordeaux devait être étendue, j'irai m'installer ailleurs qu'en France ! '
Allan Sichel, président de l'Union des maisons de Bordeaux, préfère distinguer le fond et la forme du débat lancé à l'Inao : ' Nous ne sommes pas opposés à la mise en place d'une durée minimum d'élevage pour les bordeaux supérieurs. Le vrai problème est de voir comment le sujet a été traité ! Il y a une volonté sous-jacente d'interdire toutes formes de repli. Nous avons perdu la bataille avec les bordeaux supérieurs, sur lesquels nous replions environ 60 000 hl d'appellations hiérarchiquement supérieures. Mais nous ne nous laisserons pas faire avec le bordeaux régional, sur lequel les replis représentent 135 000 hl ! '