Pour réduire leurs coûts, des vignerons du Midi s'approvisionnent en produits phytosanitaires en Espagne, bien que ce soit illégal. La procédure officielle d'importation parallèle, inadaptée à l'achat individuel, reste peu utilisée.
'Depuis trois années, j'achète l'essentiel de mes phytos en Espagne. Je préférerais m'approvisionner près de chez moi, pour faire vivre les distributeurs locaux. Mais le prix du vin a été divisé par deux, et je dois trouver des solutions pour réduire mes coûts ', explique un vigneron du Languedoc-Roussillon. Il pratique l'agriculture raisonnée et ne prend pas de risques par rapport à l'environnement ou à la santé. ' Je n'achète que des produits similaires à ceux homologués en France. Avec huit spécialités, je couvre mes besoins de base pour le désherbage, les traitements contre l'oïdium, le mildiou, le botrytis et les vers de la grappe. Je me fais livrer par un transporteur, ce qui me coûte 140 euros/palette, et je règle en trois fois. '
Le différentiel de prix est d'autant plus grand qu'il s'agit de produits chers. Il peut atteindre 30 %. ' Sur un désherbant comme le Katana, j'économise 76 euros/ha. Mais tout n'est pas aussi intéressant. Certains produits peuvent même être plus chers en Espagne qu'en France ', précise-t-il.
Pour conserver leurs parts de marché, les distributeurs français proches de la frontière essayent de réduire leurs tarifs. ' Sur les produits à base de cuivre, le prix a baissé de 20 % en deux ans. Je ne les achèterais plus en Espagne. Mais ces réajustements restent ponctuels. Sur 60 ha, j'économise encore 8 000 à 9 000 euros. C'est loin d'être négligeable ! '
Les achats de produits ne disposent pas d'une autorisation de mise en marché française, ils restent donc illégaux. Les Douanes et la Protection des végétaux réalisent des contrôles au cours du transport et dans les exploitations. En 2005, ils ont établi une dizaine de procès-verbaux en Languedoc-Roussillon, qui ont été transmis au parquet. Le dernier procès s'est tenu à Carcassonne, en juin 2005. Deux vignerons ont été condamnés à une amende, avec sursis, de 1 500 euros chacun. Des peines plus lourdes avaient été prononcées dans des affaires antérieures.
Malgré les risques encourus, ces achats se poursuivent. D'après plusieurs estimations, ils représenteraient de 10 à 15 % des produits phytosanitaires utilisés en Languedoc et 15 à 25 % en Roussillon. Les distributeurs espagnols affirment avoir également quelques clients dans la vallée du Rhône et le Bordelais, qui leur passent des commandes par téléphone ou par fax.
Au sein de l'Union européenne, la libre-circulation des produits est un principe de base. Mais des freins aux échanges subsistent pour les phytos. Cela laisse le champ libre aux fabricants pour différencier les tarifs en fonction des pays. L'harmonisation réglementaire avance lentement. L'homologation des nouvelles matières actives se fait au niveau européen. Celles qui existaient déjà sont réévaluées selon des critères uniques, mais le travail est loin d'être achevé, ce qui explique que certaines molécules, comme la terbutylazine, sont interdites en France, pas en Espagne.
L'autorisation de mise sur le marché concerne les produits formulés, prêts à l'emploi. Elle est accordée par les autorités de chaque pays. Pour permettre malgré tout les échanges, l'Union européenne a mis en place une procédure d'importation parallèle pour les produits similaires (voir encadré). Il a fallu attendre 2002 pour qu'elle soit complètement opérationnelle en France.
Christophe Novara, président du Syndicat des Jeunes agriculteurs du Gard, ne s'en contente pas. ' Nous demandons à ce que les agriculteurs et les consommateurs européens soient pris en considération de la même façon dans tous les pays de l'Union ', affirme-t-il. Après avoir rencontré le président du Parlement européen en juillet 2005, les Jeunes agriculteurs ont été invités, le 16 novembre, à exposer leurs revendications lors d'une réunion du groupe parlementaire Intervins à Strasbourg. ' Nous avons aussi demandé à nos distributeurs de trouver une solution pour réduire les prix en France. Nous ne pouvons plus continuer à payer les phytos au prix fort ! '
Les distributeurs se sont retournés vers les fabricants. Mais les négociations ont du mal à aboutir. ' Nos fournisseurs parlent de hausse pour 2006, pas de baisse ! Pour réduire le différentiel, ils essayent plutôt d'augmenter leurs tarifs en Espagne ', affirme Jean-François Brichet, directeur d'Euramed, une coopérative implantée en Midi-Pyrénées et en Languedoc-Roussillon.
L'union de coopératives d'approvisionnement In Vivo a obtenu, il y a déjà deux ans, une autorisation d'importation pour le Katana distribué en Espagne. Ses adhérents n'utilisent pas cette possibilité pour l'instant. Mais cela pourrait changer si rien ne bouge au niveau commercial.
Des groupements de producteurs ont franchi le pas. ' Nous demandons des autorisations d'importation pour des pays européens. Ensuite, nous cherchons celui qui a les tarifs les moins élevés. Ce n'est pas toujours l'Espagne. Actuellement, le vignoble démarre en Pologne et les tarifs sont intéressants. Le transport ne coûte pas cher. Nous rétrocédons toute la marge récupérée et, sur ces produits importés, nous arrivons à réduire les prix à nos adhérents de 10 à 15 % ', affirme l'acheteur de l'un de ces groupements.