Christian Barthel a construit son vignoble sur des friches. Il vend sa récolte en raisins. Un acheteur les vinifie séparément pour mettre en valeur le pinot noir d'Albé, et lui en rétrocède une partie afin qu'il s'en fasse, lui aussi, le défenseur.
Pendant vingt ans, Christian Barthel est employé de banque. Durant tout ce temps, la vigne est un à-côté qu'il cultive ' pour le plaisir '. En 1997, elle devient son nouveau métier. A 42 ans, il s'installe sur 2,3 ha à Albé, la commune où il a toujours vécu. Il possède des économies et pourra s'agrandir. C'est l'époque où ce vignoble, situé au fond d'une vallée qui entaille le versant alsacien des Vosges, retrouve des couleurs. De 10 ha environ dans les années soixante, il repasse à 50 ha, sur les 75 ha classés en AOC.
' Presque toutes mes parcelles sont d'anciennes friches. J'ai planté entre 30 et 50 ares par an, dont une grosse partie en coteau. Il a fallu dessoucher, niveler, parfois aménager des terrasses. Une parcelle moyenne atteint 5 ares. L'achat du foncier et la préparation me sont revenus à 50 000 euros/ha. Financièrement et humainement, j'ai énormément investi ', raconte Christian Barthel. Le coût de ces aménagements l'a incité à rester prudent dans les autres domaines. Il a acheté d'occasion ses deux tracteurs vignerons et sa herse rotative. Construire et équiper une cave n'est pas encore à l'ordre du jour. ' J'ai quatre fils, dont deux jumeaux de 16 ans qui sont en apprentissage chez deux viticulteurs. Il faudra attendre leur choix ', observe Christian Barthel.
Sans cave et à 15 km de la route des vins, il ne pouvait que vendre en raisins. Il commence avec trois acheteurs. ' J'ai évolué en fonction de leur stratégie. L'un d'eux avait un projet pour le pinot noir local, mais il m'a pris moins de raisins que prévu. J'ai arrêté de lui vendre. Aujourd'hui, la Maison Lorentz, à Bergheim, achète tous mes blancs et l'essentiel de mon pinot noir. Un autre négociant prend le reste. '
C'est avec la Maison Lorentz que Christian Barthel travaille le plus étroitement. Il voit régulièrement le chef de culture, qui visite ses vignes. ' Aucun cahier des charges n'est imposé. Je me fixe mes propres règles. Je plante à une densité de 7 500 pieds/ha. Je pratique l'enherbement total des vignes de plus de cinq ans. Dans les pentes, je sème un mélange de ray-grass et de trèfle souterrain, dont la vigueur est moindre en été qu'en hiver. Pour les traitements, je m'inspire des recommandations de Tyflo, qui prône la viticulture raisonnée. Les fils ont un écartement de 30 cm. Je vise un rendement de 1,8 à 2 kg de raisin par pied, soit 70 hl/ha. '
Ce mode de conduite a pour objectif de tirer profit au maximum des conditions particulières d'Albé. Isolé du reste de l'AOC, le vignoble subit moins la pression des ravageurs et des maladies. Il se situe à une altitude plus élevée. ' Les nuits, plus froides à la véraison, freinent le botrytis. L'état sanitaire du pinot noir est irréprochable. En général, je ne le vendange qu'à la mi-octobre, entre 11°5 et 12°5. '
Christian Barthel mise sur ce cépage qui fait la réputation de sa commune. Il occupe 4,5 des 6,3 ha de sols légers de l'exploitation, dominée par les schistes noirs. La Maison Lorentz a fait le même pari. Elle vinifie ces raisins à part. Elle vend le vin sous le nom de Rouge d'Albé. D'où l'idée de Christian Barthel de demander au négociant, à partir de 2004, de lui rétrocéder une partie de son vin embouteillé. ' Je vends mon pinot noir à 6,50 euros/col. Je réalise une toute petite marge. C'est un accord gagnant-gagnant basé sur une confiance réciproque. Il m'évite d'investir, tout en ayant du vin avec l'étiquette Rouge d'Albé. Cela donne une identité à la commune et me permet de lancer mon nom. Je veux donner une identité à mon vignoble. C'est important dans la perspective d'un successeur. '
Christian Barthel prépare cette échéance. Il élargit sa gamme de blancs. Il a planté du riesling. Cette année, ce sera du gewurztraminer. ' Ces cépages sont inconnus ici. Il s'agit d'essais. Le rouge, je maîtrise. Mais en blanc, je manque un peu d'expérience. Mes vignes sont encore jeunes . ' A sa demande, la Maison Lorentz vinifie, embouteille et lui rétrocède déjà son pinot blanc, son pinot gris et son crémant, car ' le seul pinot noir ne suffit pas à faire une carte '.
Christian Barthel a rapidement engagé des efforts commerciaux. Sa stratégie est de se rattacher aux événements festifs de l'été : une soirée médiévale, une marche gastronomique, un marché du terroir... Il fait visiter ses vignes aux touristes et présente ses vins à ceux qui séjournent au village de vacances d'Albé. Il livre aussi quatre restaurants. Si des acheteurs demandent à être livrés, il passe par l'expéditeur de la Maison de négoce Lorentz.
Les premières ventes de bouteilles, en 2004, sont tombées à pic. Elles ont fait oublier 2003, une année catastrophique en raison de la sécheresse. Maintenant, elles compensent la chute du prix des raisins. ' Ils me sont payés selon la grille interprofessionnelle. Avec la crise, ils vont baisser. Je m'étais fixé un objectif de 1 000 cols, j'en ai vendu 4 000 en 2004. En 2005, si je parviens à 6 000 cols, soit 10 % de la production, ce n'est pas mal. Dans tous les cas, le négociant restera toujours un partenaire. '