L'évolution était déjà en marche. Ces dix dernières années, les distributeurs ont développé la lutte raisonnée. L'objectif pour les vignerons étaient de justifier leurs interventions, dans un contexte de pression sociétale en faveur de la protection de l'environnement. Aujourd'hui, avec la crise, l'intérêt est devenu économique. ' Elle oblige les vignerons à réfléchir à chaque intervention ' , constate Xavier Besson, de Loire Vini Viti distribution (LVVD), dans le Maine-et-Loire. ' Ils font moins de fertilisation systématique et plus d'analyses de sol, de bois, de feuilles. Ils appliquent des antimildious seulement si cela est justifié. Les antibotrytis ne viennent qu'en dernier lieu, après toutes les mesures prophylactiques et la lutte insecticide raisonnée. Nous passons plus de temps sur le terrain. '
Alain Bretaudeau fait le même constat : les vignerons sont de mieux en mieux formés, mais sollicitent beaucoup plus leur distributeur. ' Ils sont débordés. Ils essayent de vendre leurs vins. Ils 'sous-traitent' la protection de la vigne. Ils ont aussi besoin qu'on les rassure, qu'on les conforte dans leur prise de décision ' , analyse-t-il.
Du coup, ses commerciaux ne comptent pas leurs heures. ' Du mois de mai jusqu'à début août, ils y sont de 8 h jusqu'à 20 h, voire 21 h. '
' Nous n'avons pas changé notre fusil d'épaule. Mais l'écoute des vignerons vis-à-vis de la lutte raisonnée est meilleure ', rapporte Tristan des Ordons, des Etablissements Touzan, en Gironde. Ce dernier propose des programmes de lutte raisonnée à la carte. ' Il s'agit de programmes théoriques, que l'on adapte en fonction de la phénologie, du climat, de la capacité d'intervention et de la technicité du vigneron. ' Il fait le maximum pour informer les vignerons de l'évolution de la réglementation. Là encore, la présence sur le terrain est maximale.
Faut-il faire payer le service ? ' C'est le dilemme. On passe de plus en plus de temps sur le terrain pour un chiffre d'affaires moindre ', déplore Xavier Ato, technico-commercial des Etablissement Perret. Certains distributeurs ont tranché. C'est, par exemple, le cas de LVVD. Ce négoce a mis en place, depuis quatre ans, un contrat où le technicien s'engage à faire huit visites par an, au lieu de quatre à cinq. Ce dernier passe sur les parcelles engagées depuis la période de désherbage jusqu'aux vendanges. A la fin des observations, il remet au vigneron un compte-rendu, lui permettant de voir s'il doit traiter ou non. Le coût est de 300 euros par an pour un ilot de 2 à 3 ha en moyenne. Xavier Besson cite le cas d'un vigneron en appellation Anjou-village Brissac qui sous-traite cette prestation depuis trois ans. ' Il a diminué ses coûts de 15 %. ' En outre, le fait de déléguer les suivis du vignoble permet aux vignerons de dégager du temps pour s'occuper de la commercialisation.
De son côté, la CAPL a mis en place Nutricop, un suivi de la fertilisation sur trois ans. Il comprend une analyse de sol complète la première année, et deux analyses pétiolaires tous les ans, le tout couplé à trois visites d'exploitation. Le coût est de 230 euros la parcelle de 1 à 2 ha. La coopérative a aussi mis en place le suivi phytosanitaire du vignoble, comprenant six visites à des stades phénologiques précis. Le technicien fait les observations et remplit des fiches parcellaires validées par la Protection des végétaux de Paca. Il élabore ensuite une stratégie de protection avec le vigneron. Le coût est de 250 euros l'ilot de 10 à 15 ha. ' Il suffit d'économiser un traitement pour s'y retrouver financièrement. Lors d'une année à forte pression, on peut gagner 1 à 1,5 traitement, soit 80 euros/ha. Et comme les traitements sont mieux positionnés, on gagne en qualité ', estime Vincent Mélé, responsable du secteur de Bollène à la coopérative. De plus, pour éviter toute ambiguité, cette structure a dissocié les techniciens des commerciaux.
Autre exemple : les Etablissements Fortet-Dufaud dans le vignoble de Cognac. Depuis une dizaine d'années, ils proposent à leurs clients le service Optimus. Comme son nom l'indique, il permet aux vignerons d'optimiser leurs traitements, grâce à des suivis plus poussés. ' Au lieu d'avoir un coût moyen des produits phytosanitaires de 350 à 400 euros/ha, nos clients passent à 250 euros ', estime Gérard Garnier, PDG de Fortet-Dufaud.
Toutefois, des vignerons vont trop loin dans la prise de risque. ' En 2005, dans les Côtes du Rhône, des attaques d'oïdium ont été mal contrôlées. En fin de saison, cela a eu une incidence sur la qualité ' , déplore un distributeur. Mais ces derniers veillent au grain.
Chez Audecoop, on n'hésite pas à remettre les choses dans leur contexte. ' Il ne faut pas oublier que les engrais et les phytos ne représentent que 15 à 20 % de charges à l'hectare pour un vigneron de la région. S'il diminue le nombre de traitements ou s'approvisionne en Espagne, au détriment du service technique, il prend d'énormes risques par rapport aux économies qu'il peut faire. Un traitement contre les vers de la grappe mal positionné, un traitement mildiou décalé... auront d'énormes impacts. Tout ne doit pas se faire au détriment de la qualité ', assène Michel Delhomme, d'Audecoop. Des propos partagés par bon nombre de distributeurs.