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GUIDE PHYTOS - ENVIRONNEMENT

Phytos La vérité sur les risques

La vigne - n°201602 - février 2016 - page 6

Les produits phytosanitaires ne sont pas anodins. Ils peuvent favoriser certains cancers et la maladie de Parkinson. Le point sur les connaissances scientifiques.
DES ÉQUIPEMENTS DE PROTECTION INDIVIDUELLE  doivent être portés au moment de préparer la bouillie. © GUTNER

DES ÉQUIPEMENTS DE PROTECTION INDIVIDUELLE doivent être portés au moment de préparer la bouillie. © GUTNER

Les agriculteurs sont globalement moins atteints par des cancers que le reste de la population. Tel est le constat de l'étude française Agrican, menée depuis 2005 sur plus de 180 000 affiliés au régime agricole. Selon cette enquête, chez les agriculteurs, la mortalité par cancer est inférieure de 30 % à celle du reste de la population masculine française. Chez les agricultrices, l'écart est de 24 %. L'étude AHS aux États-Unis (plus de 50 000 agriculteurs) aboutit à des résultats similaires. Certains cancers sont toutefois plus fréquents chez eux : ceux de la prostate, du sang, des lèvres, et de la peau. Le lymphome non-hodgkinien, un cancer du sang est d'ailleurs reconnu maladie professionnelle en agriculture (voir encadré).

Les viticulteurs ont-ils plus de risque de développer un cancer que le reste de la profession agricole ? Non, d'après Pierre Lebailly, chercheur au Centre de lutte contre le cancer François-Baclesse, à Caen (Calvados), et coordinateur de l'étude Agrican. Mais les études se poursuivent, notamment sur les liens entre les différentes familles chimiques et les risques de cancers.

Sur ce point, des chercheurs ont mis en évidence l'impact des organophosphorés (notamment du chlorpyriphos) et, peut-être, du glyphosate. Selon l'Inserm, les agriculteurs en ayant utilisé ont montré un risque accru de lymphomes non hodgkinien et de tumeurs de la moelle osseuse. D'après l'institut, les personnes exposées aux pesticides de par leur profession ont également un risque plus élevé de développer une maladie de Parkinson. Là encore, ce sont les organosphophorés qui seraient en cause. Cela a été montré en viticulture par l'épidémiologiste Isabelle Baldi, de l'Institut de santé publique, d'épidémiologie et de développement de Bordeaux. Les ouvriers viticoles exposés aux insecticides organophosphorés, qu'elle a suivis en Gironde, ont présenté des détériorations cognitives, portant sur la mémorisation visuelle notamment.

Une prise de conscience des risques liés aux phytos s'est alors opérée dans la profession.

Désormais, des salariés viticoles touchés, ou certains de leurs proches, saisissent la justice. En 2015, le tribunal de grande instance de Paris a ainsi ouvert une enquête pour homicide involontaire conséquente à une exposition aux pesticides. Une première en France. Elle fait suite à la plainte contre X déposée par Valérie Murat, la fille d'un vigneron girondin décédé d'un cancer bronchopulmonaire reconnu comme maladie professionnelle liée à l'utilisation de l'arsénite de soude.

En 2014, les parents et l'épouse de Frédéric Ferrand, un autre viticulteur décédé d'un cancer de la vessie lié aux phytos, ont déposé devant un tribunal civil une requête pour « mise en danger d'autrui », visant les vendeurs et les fabricants des produits, ainsi que l'État. La même année, une ancienne ouvrière viticole, intoxiquée par des résidus de produits phytosanitaires alors qu'elle effectuait des travaux en vert, est parvenue à faire reconnaître par la justice la faute inexcusable de son employeur. Celui-ci n'avait pas respecté le délai de réentrée de 24 heures après le traitement.

En Gironde, Marie-Lys Bibeyran,la soeur d'un salarié viticole mort d'un cancer à 47 ans, poursuit son combat pour que le lien entre le décès de son frère, et l'exposition aux phytos soit reconnu. « Elle fait preuve d'un courage énorme en parlant au nom des salariés viticoles », déclare Paul François, président de l'association Phyto-Victimes. Cet agriculteur gravement intoxiqué en 2004 au Lasso, un herbicide de Monsanto qui était homologué en grandes cultures, est parvenu à faire condamner la firme. « Actuellement, une quarantaine de procédures sont en cours, indique Paul François. Nous recevons de plus en plus d'appels. Et cela va encore progresser. L'impact des phytos sur les agriculteurs sera sans doute pire que celui de l'amiante. »

L'UIPP (Union des industries de protection des plantes) se défend. « Le nombre de matières actives toxiques et les doses utilisées ont beaucoup baissé. À ce jour, il a rarement été prouvé l'existence d'un lien direct entre une maladie grave et une exposition aux produits phytosanitaires. Le cancer d'un agriculteur peut aussi être lié au soleil, aux mycotoxines et aux gaz d'échappement du tracteur », indique Julien Durand-Réville, responsable de la santé à l'UIPP.

« Certes, les produits les plus dangereux ont été retirés, mais on les a utilisés pendant 10 ans, voire plus, rétorque Paul François. Et il y a encore des produits homologués qui peuvent être cancérigènes. L'homologation doit reposer sur l'examen du produit complet et non molécule par molécule. Nous demandons aussi que l'homologation soit indépendante et basée sur les pratiques des agriculteurs, qui ne sont pas tous équipés d'une cabine assurant une protection optimale. »

Pour l'UIPP, Julien Durand-Réville signale que « l'encadrement des phytos dans l'Union européenne est le plus strict au monde, et la France est encore plus restrictive ».

Il n'empêche, Paul François appelle les vignerons à signaler tout incident au réseau Phyt'Attitude de la MSA. Et, il se bat pour que davantage d'études soient menées sur les impacts des phytos sur la santé. Pour l'heure, l'étude Agrican et les recherches d'Isabelle Baldi se poursuivent. De son côté, l'Anses devrait bientôt publier un rapport sur les expositions des travailleurs agricoles aux pesticides.

Certaines pathologies reconnues

En 2006, pour la première fois, le tribunal des affaires de sécurité sociale a reconnu comme pathologie professionnelle la maladie de Parkinson dont souffrait un ancien salarié d'une exploitation agricole dans le Berry. Mais ce n'est qu'en 2012 qu'un arrêté du ministère de l'Agriculture a inscrit cette maladie au tableau des maladies professionnelles en agriculture. Le texte indique que les « travaux exposant habituellement aux pesticides sont susceptibles de provoquer » cette maladie. L'année dernière, le lymphome malin non hodgkinien a lui aussi été inclus au tableau des maladies professionnelles agricoles. Le décret du 5 juin 2015 indique que cette grave maladie du sang peut être provoquée par l'exposition aux organochlorés (DDT), aux organophosphorés, au carbaryl (un insecticide utilisé en vigne et interdit aujourd'hui), et à l'atrazine (un herbicide également retiré du marché en France). Le tableau des maladies professionnelles en agriculture comprend aussi les affections provoquées par les dérivés de l'arsenic (dont l'arsénite de soude) et par certains carbamates.

Respectez les règles de base

Privilégiez les produits les moins dangereux. Préparez votre bouillie dans un local dédié, en évitant de manger, de boire, de fumer et de téléphoner. Portez des EPI (équipements de protection individuelle) : gants nitrile, cotte en coton et polyester avec traitement déperlant, tablier et bottes. Gardez ces équipements de protection pour le remplissage et le lavage du pulvérisateur. Pendant le traitement, revêtez une cotte et des bottes. Si votre pulvérisateur est dépourvu de cabine, portez un masque en plus si l'étiquette du produit le mentionne. En cas d'intervention sur le pulvérisateur pendant le traitement, arrêtez la pulvérisation et avancez d'au moins 5 mètres pour ne pas descendre dans les embruns de produit. Mettez des gants pour manipuler les buses ou l'élément qui pose un problème. Après le traitement, retirez vos EPI, lavez-vous les mains et prenez une douche sur l'exploitation. Lavez vos EPI sur l'aire de lavage du pulvérisateur puis rangez-les une fois secs dans une armoire spécifique hors du local phyto et hors domicile.

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